Comment la communauté latino est en train de bouleverser l’Église catholique américaine et, peut-être, la société toute entière.

L’Amérique vient d’élire un président noir, une véritable révolution qui conclue le mouvement des droits civiques initié dans les années 60. La communauté noire s’est depuis fait une place dans la société américaine, mais les Latinos, eux, doivent encore rester dans l’ombre. Leur nombre grandit et ils dépasseront demain les Afro-Américains pour devenir la première minorité des États-Unis. C’est donc une nouvelle révolution des mœurs qui s’annonce pour cette société qui a porté un métis à la présidence. États-Unis, la métamorphose hispanique (Éditions du Cerf) nous emmène à la découverte de cette minorité qui sera un acteur central des prochains débats de société : les Latinos.

Le rêve américain a permis d’assimiler des vagues successives de néo-Américains aux origines très diverses. Mais les Hispaniques arrivent en nombre et ne sont pas vraiment des hommes "neufs" lorsqu’ils débarquent sur le sol américain, dont une partie du territoire a été mexicaine. Le continent américain a longtemps été le leur, et comme le montrent très justement les témoignages recueillis dans cet ouvrage, les Latinos ne délaissent pas toutes leurs valeurs en s’installant aux États-Unis. Ainsi, alors que le mythe américain présente l’individualisme comme une opportunité, les Hispaniques y voient une menace.


La "résurgence latino" au cœur de la société américaine

Cette immigration massive pourrait modifier la tradition et la culture américaines, une évolution qui inquiète par exemple Samuel Huntington. Dans un article   , ce dernier n’avait pas hésité à qualifier les Latinos de nouvelle cinquième colonne menaçant la nation. Cette crainte pour l’identité américaine est d’ailleurs le moteur du travail de Laurence Monroe, qui insiste sur une "résurgence latino", perceptible à travers une religiosité affirmée et un sens aigu de la communauté.
 
Laurence Monroe propose donc une plongée dans cette nouvelle culture latino, mais à travers un prisme bien particulier : le catholicisme. Une orientation religieuse qui constitue le principal trait commun de tous ces migrants. Laurence Monroe choisit donc de décortiquer la nouvelle influence de cette immigration sur l’Église catholique américaine, et c’ un détail qui n’est pas anodin, puisque le livre se concentre presque exclusivement sur cette question.

Malgré son titre, États-Unis, la métamorphose hispanique n’aborde pas toutes les facettes de la communauté latino. La révolution linguistique en cours, la vie clandestine des migrants, leur poids économique dans l’économie américaine, la culture des gangs chez les jeunes… Autant de problématiques qui ne sont abordées qu’à la marge, car l’ouvrage permet surtout de partir à la rencontre des chrétiens hispaniques. Le lecteur dénué de toute culture religieuse ou privé de catéchisme durant sa jeunesse risque de le regretter et ne prendra d’ailleurs qu’un plaisir limité à la lecture de cet ouvrage.


"Une bonne nouvelle pour l’Amérique et le monde"…et l’Église catholique.

La Vierge de Guadalupe, première apparition de la vierge Marie à un indigène en 1531, est devenu la bannière des catholiques hispanique, une madone à la peau brune. Et désormais, c’est cette version métissée de la vierge qui remporte un succès grandissant au sein de l’Église catholique. Les rapports de plus ou moins bon voisinage entre ces deux branches du catholicisme sont analysés avec minutie par Laurence Monroe, qui a longtemps œuvré au service religion du journal La Croix et revendique un regard chrétien et engagé sur la société américaine.

 

 

Au fil des pages, on croise ainsi des archevêques, des théologiens, des acteurs du monde associatif ; qui, chacun à leur manière, dressent un panorama de cette Amérique catholique en pleine mutation. Laurence Monroe montre une l’Église catholique nord américaine très réservée face à ces nouveaux catholiques, perçu à la fois comme une chance et une menace. Car les Latinos amènent avec eux une religiosité bariolée, un discours social, un rapport à la communauté bien éloignés des valeurs fondamentales de la culture américaine.

Les portraits d’Américains s’enchaînent, du Texas à Boston, et leurs témoignages laissent transparaître une critique lancinante du mode de vie américain. Car Laurence Monroe considère cette montée en puissance du catholicisme latino comme une solution aux écueils de l’argent roi et de l’individualisme. Le livre se termine même par un chapitre intitulé "Évangéliser l’Amérique", qui a le mérite d’être clair : grâce aux Latinos, c’est une vision plus latine, et, somme toute, plus européenne, qui pourrait se diffuser dans la société et s’imposer au sein du clergé nord-américain.


À la rencontre des théologiens "hispaniques"


États-Unis, la métamorphose hispanique est donc le récit optimiste du nouveau leadership des Latinos parmi les minorités. Cette vision idyllique de la communauté hispanique est discutable, mais le plus regrettable pour le lecteur est de ne pas en savoir plus sur les rapports qu’entretiennent les Latinos avec les Afro-Américains. D’autant plus que les paroisses black et latinos, toutes les deux marquées par la doctrine sociale de l’Église, sont très actives dans le secteur associatif. La compétition pour bénéficier des fruits de la discrimination positive et les préjugés ethniques divisent souvent ces deux communautés. Mais elles partagent aussi de nombreuses revendications communes, si bien que certains observateurs américains prévoient l’émergence d’une coalition "Black-Brown".

Le choix d’étudier les immigrés latinos sous le prisme du catholicisme permet de découvrir une nouvelle facette des États-Unis. Les questions de dogme et de doctrine, longuement traitées dans cet ouvrage, constituent une matrice originale pour discuter les valeurs américaines. Cet angle d’attaque peut rendre la lecture fastidieuse pour les néophytes, mais il permet de découvrir des chercheurs originaux et peu connus en Europe, les théologiens "hispaniques".

Laurence Monroe est, par exemple, allée à la rencontre d’Ana Maria Diaz-Stevens et d’Anthony Stevens-Arroyo, les auteurs du concept de "résurgence latino". Mais le plus atypique reste Roberto S. Goizueta, professeur de théologie au Boston College et ancien président de la Catholic Theological Society of America (CTSA). En lutte contre l’atomisation sociale, ce théologien qui prêche un compagnonnage humain inspiré de la religiosité latino n’est rien d’autre… que le fils d’un ancien P-DG de la firme Coca-cola. Une preuve supplémentaire du pouvoir de séduction de la Guadalupe, partie à la conquête de l’Église catholique et de la société américaine toute entière