"Mon Dieu, j'espère qu'ils ne sont pas tous comme ça", s'inquiète le fonctionnaire européen de la caricature publiée par le Prague Post. Sur le dessin réalisé par Brian Adcock, le fonctionnaire s'apprête à passer une écharpe "présidence de l'Union européenne" à Václav Klaus, président de la République tchèque, vêtu d'un T-shirt "EU sucks", portant un sac "héritage historique", et s'admirant dans une glace en pensant "Je suis génial".
"Nous ne sommes pas tous comme ça" est, en substance, l'idée défendue par Martin Jan Stránský dans la tribune "Prelude to the present" publiée par le Prague Post . Dans une lettre ouverte adressée au reste de l'Europe, Martin Jan Stránský, physicien, éditeur et homme politique tchèque essaie de donner "une explication à l'attitude et à l'approche déconcertantes" de la République tchèque vis-à-vis de l'Union européenne.
À quelques semaines de la présidence tchèque du Conseil des ministres de l'Union, le climat est en effet tendu. La République tchèque n'a pas encore ratifié le Traité de Lisbonne. Si la Cour constitutionnelle a jugé le traité conforme à la constitution tchèque le 26 novembre, le président Václav Klaus a menacé de ne pas le signer, en avançant que le traité menaçait la souveraineté tchèque. Le parlement doit, néanmoins, le ratifier en session extraordinaire le 9 décembre. La politique nationale est marquée par d'importantes dissensions entre Václav Klaus, président de la République eurosceptique (il avait, par exemple, refusé de faire flotter le drapeau européen sur la château de Prague avant de se déclarer "dissident de l'Union européenne" au mois de novembre), et Mirek Topolánek, premier ministre pro-européen, pourtant tous deux issus de l'ODS ("Občanská demokratická strana", le Parti démocratique civique), parti libéral-conservateur.
Le vice premier ministre en charge des Affaires européennes, Alexander Vondra, avait également interpellé Nicolas Sarkozy sur ses déclarations à propos du bouclier antimissile dans une tribune intitulée "Un peu de respect, M. le président", publiée dans Le Monde (19.11.2008).
Et, dernier épisode en date, le magazine tchèque Reflex a publié la semaine dernière une conversation "confidentielle" entre Nicolas Sarkozy et Mirek Topolánek, à propos de la future présidence de l'Union européenne .
Dans un tel contexte, Martin Jan Stránský essaie de rassurer les partenaires européens en s'exprimant au nom des Tchèques. Ainsi essaie-t-il d'expliquer les ambiguïtés de la République tchèque et sa méfiance vis-à-vis de l'Union européenne en se référant à l'histoire tchèque.
Martin Jan Stránský revient sur les "contradictions" qu'il explique par l'histoire de la République tchèque, marquée par de "grandes étapes" plutôt que par des "pas réguliers". Parmi ces étapes, il cite notamment les Accords de Munich de 1938 quand, "préparés à sacrifier leurs vies face au fascisme d'Hilter, [les Tchèques] ont été vendus pour une fausse paix par les grandes puissances" ; ou encore le Printemps de Prague en 1968, quand, "alors que les tchèques cherchaient de nouveau la liberté et appelaient l'Ouest à l'aide, rien n'est venu". Il rappelle que "les empires n'ont jamais rien signifié de bon" et explique la méfiance vis-à-vis de l'Union européenne : "pour beaucoup de Tchèques, Bruxelles et l'Union européenne réveillent cette sensibilité : un autre souverain distant et des lois que personne ne se donne vraiment la peine d'expliquer". Il revient plus loin sur "les politiques schizophrènes" pour la politique étrangère : soutien à l'OTAN mais opposition aux projets de bases radar américaines ; pour l'appartenance à l'Union Européenne, mais contre l'euro...
Il justifie ensuite l'attitude tchèque par la "jeunesse" de la démocratie. Citant Tomáš Garrigue Masaryk, philosophe et premier président de la Tchécoslovaquie (de 1918 à 1935), il explique que "la démocratie nécessite 50 ans pour se mettre en place". Si les institutions démocratiques existent, il juge absent l'esprit démocratique et cite plusieurs handicaps de la République tchèque témoignant de la "jeunesse" de la démocratie, dont la corruption, l'anéantissement des élites ou encore l'abstention. Une situation d'autant plus contradictoire que la République tchèque "excelle dans les sports, la culture ou les sciences et est à la tête de l'Europe pour le nombre d'athées ou de divorces".
Surtout, la République tchèque est comme un "adolescent de 19 ans qui a grandi sans recevoir une éducation correcte" explique Martin Jan Stránský. "Face à l'incroyable opportunité de conduire l'Europe, un tel adolescent peut réagir avec humilité et s'atteler à la tâche, ou régresser en gonflant la poitrine et fanfaronner". Ainsi pointe-t-il l'absence de préparation de la prochaine présidence tchèque, en particulier l'absence de programme, de points précis à mettre en œuvre et de discussion sur les questions clés de la présidence. Le président de la République tchèque Václav Klaus constitue à lui seul l'exemple topique de cette adolescence. Martin Jan Stránský le qualifie de "pur produit de l'État communiste" et de "narcissique". Le constat est sans appel : "nous entendons l'appel du futur, mais nous sommes incapables de remiser le poids du passé".
"Je vous demande de ne pas nous sous-estimer."
Pour autant, Martin Jan Stránský se veut rassurant. Les questions de politique étrangère et européenne sont une prérogative du Premier ministre, et non du président de la République. Le gouvernement actuel, rappelle-t-il, est pro-européen ; et, malgré leur opposition, les deux principaux partis font tous deux des efforts en vue de la présidence de l'Union européenne.
Il appelle ainsi à tout simplement "rayer de toutes les listes d'invitation potentielles" Václav Klaus. Déjà dans l'éditorial du 26.11.2008 , le Prague Post invitait le président à "faire une faveur : se taire". Le décrivant comme un "embarras international", le journal invitait tout simplement à "l'ignorer" et "à cesser de lui prêter attention et d'attacher de l'importance à ses cabotineries".
Enfin, après avoir affirmé que l'intérêt de la République tchèque n'est pas "de se draper dans le drapeau tchèque" mais qu'il réside "dans une Europe forte et unifiée", Martin Jan Stránský demande de ne pas "sous-estimer la République tchèque, consciente de ce qu'elle peut, ou ne peut pas, accomplir".
"Nous sommes extrêmement prudents, mais si besoin nous sommes extrêmement courageux", conclue-t-il. "Je vous demande, à vous le reste de l'Europe, d'être généreux et de travailler avec nous de telle manière que nous puissions mesurer ce qu'un vrai partenariat signifie. Nous croyons que, comme des démocraties matures, vous reconnaissez vous-même que, pour qu'un réel succès soit possible, il doit avoir lieu de tous les côtés"
* À lire également sur nonfiction.fr :
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