"Un retour aux pratiques bolcheviques", "la presse ne sera plus en mesure d’écrire tout ce qu’elle veut", "c’est la fin du journalisme d’investigation"… Les journalistes tchèques n’ont pas de mots assez forts pour exprimer leur indignation face au nouveau Code criminel qui contient un passage restreignant les pratiques des journalistes lors des affaires judiciaires.

L’amendement rend criminelle la publication d’informations obtenues à l’aide d’écoutes téléphoniques, et interdit aux forces de police de communiquer sur l’identité de mineurs et de victimes de crimes menaçant la vie, la santé, la liberté individuelle ou la dignité humaine, par des peines pouvant s’élever à 200 000 euros d'amende et 5 ans d'emprisonnement. En outre, la publication d’informations concernant les suspects (en France, depuis le Code de procédure pénale de 1993, nous dirions les "mis en examen") sera fortement restreinte, et soumise à autorisation par le Bureau de la protection des données personnelles, qui statuera au cas par cas. Approuvé par la Chambre basse le 31 octobre, le nouveau Code criminel doit maintenant être examiné par le Sénat puis par le président. Mais il est peu probable que le projet ne parvienne pas à son terme. En France, ces mesures visant à protéger les droits des personnes engagées dans une procédure judiciaire sont inscrites dans les textes, bien que peu respectées dans les faits. Mais le contexte est tout autre en République tchèque, où le souvenir de l’autoritarisme communiste est encore bien prégnant.


La fin d’une ère

"Tout simplement néfaste et stupide"   , s’insurge le Prague Post   , journal anglophone tchèque, qui voit dans la loi une "tentative injustifiée de censurer la presse"   : "C’est la fin d’une ère durant laquelle la police renseignait les journalistes afin de rendre publics les liens entre le crime organisé et les gouvernants." Dans un éditorial engagé, le journal dénonce "une ruse habituelle" : celle de justifier la censure en mettant en avant les abus des médias. "Il y a des abus dans les médias, comme dans toute institution étendue et à multiples facettes"  

Cette restriction des pratiques journalistiques fait tache à quelques semaines de l’accession de Václav Klaus   à la présidence de l’Union européenne. L’Association européenne des éditeurs de journaux a d’ailleurs pointé du doigt l’amendement lors d’une conférence, le 7 novembre dernier. En République tchèque, la colère soulevée par l’amendement semble être partagée par la totalité des salles de rédaction. Si la protection des mineurs ne fait pas de doute quant à sa nécessité, et que beaucoup d’observateurs reconnaissent de manière lucide que l’intérêt général et le droit à l’information ne sont souvent pas les premières motivations des policiers qui coopèrent avec la presse, les journalistes tchèques n’acceptent pas que l’accès à des sources d’une telle importance leur soit purement interdit.


"Comme dans l’univers de Franz Kafka"

"Les législateurs ne protègent pas le droit à la vie privée mais bien les criminels potentiels", écrit Martin Fendrych, de l’hebdomadaire Týden.   Et les paroles d’apaisement exprimées par la ministre de la Justice, Zuzana Steinerová, sont loin de rassurer. Les journalistes tchèques tiennent à conserver leur grande latitude d’action. Sans quoi, s’inquiète Karel Steigerwald, du Mladá fronta Dnes, “comme dans l’univers de Franz Kafka, des milliers de gens étranges en costume noir défileront dans les rues de Břevnov sans que personne ne sache pourquoi."