Dans 'Voyage d'un européen à travers le XXe siècle', Geert Mak nous offre une plongée séduisante dans l'histoire de notre continent.

La publication en France de la somme que Tony Judt consacre à l'histoire de l'Europe, Après-guerre (dont vous pouvez retrouver des critiques ici) est l'occasion de revenir sur un autre livre important publié au printemps dernier : le Voyage d'un Européen au cœur du XXe siècle du journaliste et historien néerlandais Geert Mak.

Récit d'une succession de voyages à travers le continent entrepris tout au long de l'année 1999 pour le compte du quotidien NRC Handelsblad, l'ouvrage est organisé selon une idée simple mais lumineuse : chacune des villes traversées par l'auteur, selon un trajet qui épouse la chronologie du siècle, lui permet d'évoquer les événements historiques qui s'y sont déroulés.

L'odyssée de Geert Mak - et donc son récit du siècle - commence dans le Paris de l'Exposition universelle de 1900 pour s'achever dans le Sarajevo en reconstruction de 1999. Entre les deux, on croise Lénine lors de son trajet de retour en Russie depuis son exil suisse, voyage facilité – sinon organisé – par les Allemands pour déstabiliser l'ennemi tsariste. A Londres, on admire avec l'auteur la figure de Churchill, qui, depuis son petit cabinet londonien, dirige la résistance opiniâtre de son peuple à l'Allemagne triomphante. En Espagne, on pénètre dans la geôle de José Antonio Primo de Rivera, phalangiste romantique et haut-en-couleurs, devenu le martyr d'un régime franquiste si terne. Impossible de citer ici tous les acteurs du vingtième siècle européen évoqués par Geert Mak au fil d'anecdotes qui rendent plus humaines ces figures marmoréennes.

Parallèlement, l'auteur donne la parole à des anonymes, soldats, résistants ou simples civils, qui témoignent de leur vie quotidienne souvent faite de deuils, de privations, d'exodes. C'est ce croisement subtil entre la "petite" et la "grande" histoire qui fait la richesse du livre, tentative souvent réussie de présenter une vision totale du vingtième siècle européen.
 
Les deux tiers de l'ouvrage sont consacrés à la période qui court jusqu'à 1945, évocation haletante de la "guerre civile européenne" – pour reprendre le titre de l'ouvrage controversé d'Ernest Nolte – qui a entériné le déclin du continent. Le récit passe plus rapidement sur la deuxième partie du siècle, période pendant laquelle l'Europe semble s'être retirée de l'histoire mondiale pour devenir l'enjeu d'une lutte qui la dépasse entre les nouvelles puissances. Le journaliste-historien retrouve sa verve pour évoquer la chute de l'Empire soviétique et l'embrasement de la Yougoslavie.

Au moment de prendre congé du lecteur, dans une postface écrite dans la foulée du "non" néerlandais au Traité constitutionnel européen, Geert Mak exprime ses doutes sur la capacité des Européens à poursuivre leur aventure commune. "J'ai le sentiment, écrit-il, qu'en dépit d'une conscience beaucoup plus claire que par le passé de tout ce qui nous réunit, et de contacts plus étroits entre peuples, l'unité culturelle de l'Europe était beaucoup plus grande au printemps 1914 qu'à présent".

La facilité avec laquelle l'auteur chemine entre des pays autrefois séparés par les barbelés et les postes frontières vient rappeler, par delà le débat légitime sur ses orientations socio-économiques, que l'Union européenne est avant tout un formidable espace de libre-circulation des personnes. A l'heure où ses citoyens s'interrogent sur le bien-fondé de cette construction politique aux contours flous, c'est une évidence que la fresque magistrale de Geert Mak vient opportunément rappeler.