Cet atlas balaie des clichés et introduit d’intéressants concepts pour saisir les multiples facettes de la "Japonésie". Stimulant.

Le Japon et sa géographie sont d’actualité en 2008 : en témoigne sa position de "pays invité" au Festival international de Saint-Dié. Pour nous aider à saisir toutes les facettes de l’Orient extrême qu’est pour nous le Japon, Philippe Pelletier, le plus éminent spécialiste de la géographie du Japon en France, professeur à l’université de Lyon-II, nous offre ici une vision contrastée d’un pays en mutation, "la Japonésie"   En effet, son caractère insulaire et archipélagique fait du Japon un pays "pluriel"   .

Le plan de l’ouvrage, très classique, vise à nous faire comprendre que le Japon est entré dans l’ère de "la post-modernité" et qu’il faut, pour les Japonais comme pour le monde, y faire "face"   . Pour cela, le géographe convoque d’abord l’histoire de l’archipel, puis évoque les contraintes de l’environnement, pour s’attarder ensuite sur la société japonaise dans ses comportements socio-démographiques.

Le passage obligé de géographie régionale est abordé en deux parties : le "Japon de l’endroit" avec focus sur Tokyo ville mondiale, et le "Japon de l’envers". Ce découpage permet d’opposer des centres à des périphéries. Enfin, c’est une réflexion géopolitique sur la place du Japon dans le monde qui clôt l’ouvrage remettant en perspective l’idée selon laquelle le Japon est un géant économique mais un nain politique.


Les héritages territoriaux

Le Japon se peupla par vagues migratoires successives venues de Chine et d’Asie du Sud-est. C’est ainsi que - première idée reçue mise à mal - la dénomination de "Pays du soleil Levant" est chinoise ! L’Empire du Milieu le qualifia ainsi, non pas tant pour sa position géographique, mais par référence au culte du soleil du Shinto primitif. Les Japonais se sont donc positionnés en même temps que démarqués de leurs voisins chinois.

Le territoire fut surtout organisé par le système du shogunat, basé sur des fiefs (268 en 1868). Celui-ci a créé la trame du système urbain actuel et a conforté l’attachement au village traditionnel. Au XXe siècle, la puissance japonaise s’exprima par une volonté impérialiste de conquête, qui trouva son apogée dans la définition d’une "sphère de coprospérité" entre 1940 et 1945. Elle s’étendait de la Corée, annexée dès 1910, aux Indes néerlandaises, conquises en 1942. Dès lors, le Japon, par son Empire, passa du statut de périphérie à celui de centre polarisateur, notamment grâce aux échanges économiques. Ce statut d’Empire fut perdu de facto après la Deuxième Guerre mondiale mais les nombreux litiges transfrontaliers (au nord, avec la Russie à propos des Kouriles ou au Sud avec la Chine, à propos des littoraux riches en poissons des îles inhabitées Diaoyutai   ) témoignent que son souvenir est encore vivant dans la mémoire collective.


Une organisation centre/périphérie très marquée en but à un milieu contraignant

Le territoire japonais est très éclaté : 6872 îles. Seulement 430, formant le Hondo ou "bloc centrainsulaire" sont habitées. Elles s’opposent aux "îles éloignées" ou Rito, marquées par un renforcement des contraintes insulaires : faible superficie, peu de terres arables, pas de matières premières.

Le Japon se définit comme "le pays entre quatre mers"(sekai).C’est donc un monde en soi défini par la "surinsularité"   , propre aux archipels. Un glossaire explicitant formellement ces concepts, très intéressants heuristiquement, aurait d’ailleurs été utile.

L’éclatement topographique du territoire provient d’abord des contraintes du milieu : l’archipel est situé sur la "Ceinture de Feu" du Pacifique, une évidence géologique amenant les Japonais à parler de leur pays comme des "iles-volcans"   .

Cet éclatement concourt ensuite à un sentiment régional fort, basé sur les départements, eux-mêmes héritiers des fiefs shogunaux. Il a enfin pour conséquence double une biogéographie très variée pour l’archipel, due à l’étalement latitudinal du pays (de 46°N à 25°N, correspondant respectivement à la latitude de Québec et de Miami). Mais les ressources naturelles potentiellement induites par cette diversité sont très peu présentes hormis les ressources halieutiques et forestières, d’ailleurs peu exploitées pour cause de sanctification   .

En revanche, l’eau est abondante, surtout sur la façade occidentale du pays, permettant l’installation de nombreux barrages. Leur rendement est assuré par de fortes pentes, les plaines littorales étant fort peu étendues (une vingtaine de kilomètres au Sud d’Osaka, par exemple).
Ce milieu conduit à une forte artificialisation du territoire littoral, fragilisant ainsi l’environnement   . Philippe Pelletier donne l’exemple du triangle de Koto, à l’est de Tokyo, qui s’enfonce pour cause de pompage trop important dans la nappe phréatique.

La nature au Japon joue donc un rôle paradoxal : enclave sacrée à certains endroits, elle est fortement menacée par l’activité humaine dans les espaces urbains.


Une société composite

Les Japonais gèrent donc en permanence des risques multiples : naturels et technologiques. Les Japonais sont en majorité des gens âgés, peu féconds en général (la proportion de plus de 65 ans dépasse celle des moins de 15 ans depuis 1995 et l’indice synthétique de fécondité est de 1,3 enfant par femmes, bien au-dessous du seuil de renouvellement des générations ; pour comparaison, la France est à 2). Les contrastes interdépartementaux sont pourtant forts. Seules les mégalopoles Tokyo, Osaka et Nagoya conservent un solde naturel positif mais avec toutefois un nombre d’enfant par femme plus faible. La répartition des plus de 65 ans montre une forte dichotomie entre espace urbain et rural, ce "Japon de l’envers", sur la côte occidentale de Honshu.

Une pratique sociale, le divorce, se généralise passant de 6 pour dix mille en 1965 à 21 pour dix-mille en 2006, là encore avec de forts gradients territoriaux (plus élevé dans les villes et sur Hokkaido que dans l’espace rural).

Philippe Pelletier casse l’image d’une société égalitaire, surtout depuis la crise du Heisei, entamée en 1989. Le coefficient de Gini mesurant les inégalités de revenus est comparable à celui du Royaume-Uni, supérieur à la moyenne de l’OCDE : le Japon connaît les mêmes tendances que les autres pays industrialisés. L’auteur revient aussi sur une autre représentation sociale du Japon en Occident : le taux de suicide y serait particulièrement élevé. Ce n’est pas le cas : il est comparable à la France (25 pour 100 000 h ) mais très contrasté selon les âges (concernant surtout les plus de 60 ans) et selon les lieux (2 fois plus important à Akita qu’à Kyoto en 2005).


Les identités japonaises sont multiples. Cette multiplicité se retrouve dans l’alimentation et dans la langue. Exemple : le dialecte de Kyoto, couvrant le Sud de Honshu est différent du dialecte de Tokyo, couvrant le Nord de Honshu. En outre, si le Japon s’est construit historiquement en se pensant singulier, la "cosmopolitisation"   de la société s’accélère avec l’intégration progressive des Coréens, principale population étrangère de l’archipel et le retour de 641 000 Japonais partis émigrer en Amérique latine à partir des années 1930.


Un découpage régional dual

L’image géographique qui vient à l’esprit en parlant du Japon est la Mégalopole de 90 millions d’habitants, formée par la coalescence des agglomérations de Tokyo, Nagoya, Osaka. Elle est littorale, structurée par 4 aéroports internationaux (Haneda, Narita, Osaka, Nagoya) et surtout le Shinkansen, à partir de 1964 pour la liaison Tokyo-Osaka, prolongée au Sud jusqu’à Kyushu et au Nord jusqu’à Sendai. Un réseau de viaducs tente d’améliorer la circulation inter-îles.

Dans les trois agglomérations se concentre, respectivement en 2003, 28,8%, 15,7% et 10% de la production industrielle nationale. Se concentrent donc aussi les centrales thermiques fournissant l’énergie nécessaire à l’activité productive. Les centrales nucléaires, elles, sont plus au nord ou sur la côte occidentale. Les sources d’énergie fossile, le pétrole, importés du Moyen Orient pour 85%, profitent des installations portuaires. Philippe Pelletier développe l’exemple de l’industrie automobile : une variété d’entreprises (11 principales) mais une concentration très forte dans la Mégalopole.

Il revient ensuite sur l’idée répandue d’une soi-disante désindustrialisation du Japon en la nuançant. La localisation des industries est devenue plus diffuse, progressant hors de la Mégalopole, de même que pour les technopoles.
Quant au secteur tertiaire, il ne représente "que" 2/3 des actifs japonais mais reste l’apanage des métropoles, chacune avec sa dominante.
Tokyo, ville mondiale selon Saskia Sassen et selon le Gawc   de Peter Taylor, est spécialisée dans la finance et l’immobilier, avec pour emblème le Kabuto-Chô (La Bourse). Elle conserve néanmoins des particularités par rapport aux autres villes mondiales. Par exemple, les IDE   entrants baissent entre 1989 et 1995.
 

Les communes urbaines, communes de plus de 50 000 h. concentrent donc 79% de la population japonaise sur 28,4% du territoire soit une densité moyenne de 942 h/km2 .

Mais le Japon ne se résume pas à la Mégalopole. Le "Japon de l’envers" se "ré-ensauvage"   : 54% du territoire est considéré en "surdépeuplement"(kaso) : les communes perdent 10% de leur population entre deux recensements (2000 et 2005). Si le Gouvernement encourage les fusions communales dans ces zones rurales en difficulté pour faire baisser le nombre de communes en kaso, cela n’empêche pas les 2/3 des départements de perdre de la population en 2005.
Cette situation critique de l’espace rural n’entrave pourtant pas le développement d’une riziculture productive et spécialisée, dans un secteur agricole ne parvenant toutefois pas à satisfaire l’ensemble des besoins du pays. (Le pays importe blé, viande, fruits et légumes). Avec une baisse de la population active agricole divisée par deux en 30 ans, la riziculture se concentre de plus en plus à Hokkaido et au Nord de Tokyo. Le "Japon de l’envers" profite néanmoins du développement d’un tourisme surtout domestique avec les sources thermales d’eau chaude.


Le Japon, une puissance

Comme un résumé de sa participation à la Géopolitique de l’Asie   , l’Atlas se clôt par une réflexion géopolitique sur les leviers de la puissance japonaise. Bien sûr, le Japon, pays défait en 1945, est officiellement pacifiste. (art.9 de la Constitution de 1946). Il est dépourvu de l’arme nucléaire, sous dépendance américaine pour sa sécurité (avec 89 bases dont 75% à Okinawa), ne dispose pas d’un siège permanent au Conseil de Sécurité, mais dispose de la quatrième armée du monde "en puissance de feu" (?) et le sixième budget militaire mondial. L’armée est ainsi un corps capable de participer à des opérations de maintien de la paix partout dans le Monde.


Mais c’est surtout l’économie qui en fait un des membres de la Triade. Ce pilier de la puissance peut paraître de plus en plus remis en question. En effet, en 1993, le Japon représentait 18% du PIB mondial, en 2006, 9%. Pourtant le commerce extérieur durant cette période a progressé de 70 à 100 000 milliards de yens. La Chine devient son premier partenaire commercial devant les États-Unis et le déficit commercial japonais se réduit avec la Chine, preuve que celle-ci n’est plus uniquement un pays atelier mais aussi un consommateur avide de produits japonais.
 

Mais cette première place de la Chine en volume d’échanges, ne doit pas faire oublier que le Japon investit majoritairement en Europe et aux États-Unis en 2000-2006.
 
Philippe Pelletier nous présente, dans cet ouvrage, un Japon conscient de son identité   mais conscient aussi de sa diversité. Confronté à des difficultés structurelles qu’il partage avec les autres pays occidentaux- la démographie-, il participe pleinement à l’activité économique internationale. Si la Chine s’est éveillée, le Japon ne s’est pas encore endormi !