Dans un ouvrage mythique enfin réédité, Robert Greenfield suit pas à pas les Rolling Stones sur leur tournée américaine de 1972.
Please to meet you, cher Yves Jolivet. En effet, le directeur des éditions Le Mot et le Reste a eu l’idée lumineuse de rééditer le récit légendaire du journaliste américain Robert Greenfield. Épuisé pendant plus d’une trentaine d’années, S.T.P. À travers l’Amérique avec les Rolling Stones est un ouvrage pour le moins digne d’une pierre qui roule. Il a été initialement publié en 1977 par les éditions Les Humanoïdes Associés dans l’éphémère collection "Speed 17"… dirigée par le jeune et fougueux Philippe Manœuvre. Et c’est Philippe Paringaux, ex rédacteur en chef de Rock & Folk, mais aussi ami de Greenfield, qui s’était fait un plaisir de le traduire – plaisir renouvelé pour cette nouvelle édition, reprise et corrigée par ses soins.
Également auteur d’Exile On Main Street. Une saison en enfer avec les Rolling Stones, Robert Greenfield connaît son sujet sur le bout des doigts. Son récit débute à la fin du mois de mai 1972, alors que le groupe s’apprête à débuter une tournée américaine très attendue, mais qui est également source de polémique, son dernier concert sur le sol américain ayant eu lieu dans des circonstances dramatiques : le 6 décembre 1969, à Altamont (Californie), les Rolling Stones avaient joué au milieu d’un immense désordre apocalyptique, généreusement nourri par les Hells Angels rémunérés en bière pour gérer la sécurité (!) ; Meredith Hunter, un jeune homme noir de dix-huit ans, avait été poignardé à mort au milieu d’une foule de jeunes gens plus drogués les uns que les autres ; le lendemain matin, les Stones étaient dans l’avion qui les ramenait en Angleterre.
Ce Stones Touring Party américain qui débute promet donc d’être mémorable. En première partie, le groupe a convié Stevie Wonder. Même si l’auteur de Superstition possède déjà, à 22 ans, une discographie plus qu’honorable, cette invitation représente pour lui un joli cadeau, qui lui permet de se tailler enfin une notoriété auprès du public blanc. Quant aux musiciens des Rolling Stones, ils sont eux-mêmes en grande forme, bien que tous un peu absents psychiquement (pour cause de responsabilités familiales, de projets personnels ou simplement de lassitude). Enfin, et surtout, leur équipe est complètement surexcitée. Tant par le show que par la menace qui plane sur celui-ci : les Hells Angels, très échauffés par le scandale d’Altamont, menacent de kidnapper Mick Jagger.
Greenfield est ici un spectateur amusé et bienveillant, qui suit les aventures de ce S.T.P. avec le (juste) pressentiment que tout cela ne pourrait plus se reproduire, du moins de façon aussi intense. Si son livre contribue à l’entreprise de glorification du "mythe Stones", il est bien plus subversif et sincère que son pendant cinématographique, le Cocksucker Blues de Robert Frank.
Intrigué autant par les dieux stoniens que par les gardes du corps, les journalistes, les groupies et même les badauds, Greenfield relate avec force détails croustillants (et non racoleurs) cette tournée pour le moins exceptionnelle, au cours de laquelle on croise beaucoup de beau monde : Truman Capote, Annie Leibowitz, la Princesse Lee Radziwill, Peter Hill Beard…
Ce livre est également l’occasion de découvrir également quelques aspects drolatiques de la personnalité des membres du groupe. Sans toutefois rien apprendre de très surprenant : Mick Jagger est charismatique, Keith Richards est une teigne, Bill Wyman est sarcastique, etc. À travers l’Amérique avec les Rolling Stones réussit à faire revivre au lecteur l’atmosphère débridée des concerts, les soulèvements de foule, la panique des organisateurs. Et aussi les parties orgiaques organisées dans les chambres d’hôtels, les bagarres pour un oui ou pou un non, le tout sous l’usage excessif et permanent de substances en tout genre. Toutefois, ce ne sont ni le solide Keith Richards, ni Mick Jagger qui deviennent fous de drogues, de groupies et de paranoïa, mais plutôt les membres de leur entourage, le petit personnel du S.T.P.
Comme l’ironise Greenfield, avec son malicieux sens de la formule : "Pour quelqu’un qui a grandi dans les banlieues quelque peu puritaines et aseptisées des États-Unis, être en tournée avec les Stones, c’est comme avoir la clef de la confiserie. Ça n’arrête jamais, et tous les parfums sont disponibles." Et le lecteur de savourer par procuration ce bonbon aux effluves de road trip musical – surtout s’il a un faible pour les auteurs de You can always get what you want