Dans un ouvrage foisonnant, une trentaine de géographes tentent d’expliquer par les cartes le concept fuyant du développement durable : pari réussi.

Le développement durable a envahi les discours. Envisagé comme une solution miracle au "global change" qui menace la survie même de la planète, l’introduction de l’ouvrage vise à débusquer l’ "idéologie"   qui sous-tend "cette nouvelle utopie"   . Pour combattre le "catastrophisme"   véhiculé par certains tenants de la "Deep ecology"   , la géographie et ses outils scientifiques se doivent d’explorer la diversité des situations.

Ce concept devenu paradigme   est en fait "un cadre de débat politique et d’action publique", "un horizon programmatique"   et surtout désormais une obligation éducative : l’éducation à l’environnement et au développement durable   .

Pour le comprendre et le faire comprendre, cet atlas promeut l’outil majeur du géographe : la carte. Cela en fait un outil très pédagogique de compréhension d’un phénomène complexe. On retrouve cette complexité, définie comme l’interaction entre plusieurs systèmes - ici économique, social et environnemental –   dans le titre même de l’ouvrage. L’Atlas des Développements durables démontre que ce concept fluctue selon les territoires, leurs échelles et leurs enjeux propres.

Les auteurs se détournent donc d’un discours globalisant   , initié par des ONG écologistes   comme l’Union internationale pour la conservation de la nature, et explorent l’ensemble des échelles de projet et de réalisation des développement durable.

La démarche suivie est dialectique. Elle reflète la démarche géographique des auteurs, une géographie résolument ancrée dans les sciences sociales.


Au commencement est un monde…inégalitaire  

La première question posée par les auteurs est : que révèle la promotion du développement durable sur l’état du Monde ? Le développement durable est d’abord une réflexion sur le développement, comme l’indique la définition canonique du développement durable, proposée par le Premier ministre norvégien Gro Haarlem Brundtland dans son rapport de 1987, Notre Avenir à tous qui révèle un monde inégalitaire sur le plan économique et social.

Dans l’atlas, une batterie d’indicateurs analyse les inégalités pour l’accès à la nourriture   , l’accès au logement   , l’accès aux moyens de transports rapides   , l’accès à l’éducation   , l’accès à des systèmes de santé performants   .

Les inégalités ne concernent pas seulement la satisfaction des besoins vitaux mais aussi la vulnérabilité des territoires face aux risques "naturels"   , industriels   .

Dans cette partie, les analyses s’appuient surtout sur l’échelle globale avec des indicateurs nationaux. Et seule une approche internationale permet de les comparer. Par ailleurs, des analyses à échelle plus grande sont développées lorsque les indicateurs existent et les contrastes parlants   .

À travers ces thèmes, apparaît une vision transversale de la géographie, insistant sur l’importance des inégalités : celles-ci obligent à repenser le concept de durabilité, épistémologiquement et dans ses modes opératoires.


Qu’est ce que la durabilité ?  

La durabilité est définie par rapport au développement. Le rapport Brundtland en donne une caractéristique fondamentale : la solidarité intergénérationnelle : "Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs." Les auteurs, en spécialistes de l’espace, ont montré, par l’analyse des inégalités, que la solidarité intra-générationnelle était tout aussi nécessaire. Cette double solidarité est la base de la durabilité. Elle doit être celle des ressources, des activités et des aménagements pour rendre les espaces vivables aujourd’hui et demain. Ses moyens de mise en œuvre sont l’objet de débats, car dépendants de décisions politiques.

Ainsi P.Arnould développe les ambiguïtés de l’écocertification des forêts   . On observe que ce dossier, qui pourrait pourtant apparaître comme consensuel (sauver les "poumons verts" de la planète) ne l’est nullement. Ce sujet crée des conflits, notamment entre Nord et Sud, à propos de la vente des bois tropicaux ; faut-il en boycotter l’achat dans la perspective de préserver la ressource "naturelle" ou participer à son exploitation afin d’aider au développement économique et social des populations locales ? Ces conflits révèlent des intérêts d’ordre économique et politique, entre les labels d’écocertification FSC (promus par les ONG comme WWF) et PEFC, mis en place par des forestiers européens.

Les auteurs considèrent souvent, avec raison, que la durabilité, pose plus de questions qu’elle n’en résout. Les titres des chapitres de l’ouvrage sont le plus souvent interrogatifs   . La notion peut être considérée comme intéressante d’un point de vue heuristique mais beaucoup moins pour la mise en œuvre sur le terrain. On peut se demander, en voyant les meilleurs spécialistes de tous les domaines de recherche étudier le développement durable, si celui-ci, en donnant à la géographie une visibilité nouvelle, ne tend pas à phagocyter toutes les autres interrogations géographiques.
   
Le concept concerne donc toutes les activités humaines et a pour ambition de transformer les lieux de vie des populations : l’espace rural agricole, les villes du Nord comme du Sud ou l’espace littoral   . Les objectifs sont différents dans chacun de ces espaces - ce que révèlent astucieusement les pictogrammes présents sur chaque double page, symbolisant les trois piliers du développement durable. Ainsi, la durabilité du développement dans les villes du Nord vise à renforcer l’écocompatibilité de l’espace urbain en promouvant "une ville compacte" et des modes de transports doux alors que la durabilité dans les villes du Sud s’appuie d’abord sur la satisfaction des besoins sociaux primaires, notamment l’accès à une eau potable, non polluée par divers effluents (comme le Lac de Guiers à Dakar, à la fois source principale d’eau d’irrigation des cultures vivrières et lieu de rejet des résidus organiques).

L’atlas multiplie les exemples d’"expériences novatrices"   mais créatrices elles-même de nouvelles inégalités entre Nord et Sud.


Les échelles des développement durable : l’apport spécifique de la géographie à l’appréhension de phénomènes complexes  


Après avoir passé en revue les secteurs économiques et les espaces spécifiquement concernés par les développement durable, les auteurs développent quelques exemples, objets de débats pour l’avenir comme le changement climatique   , les zones humides   ou la biodiversité   . La géographie est ici pleinement pensée comme un outil d’aide à la décision.

 M. Tabeaud met, par exemple, en évidence le caractère très politique de la lutte contre le "changement climatique", comparant les émissions de CO2 par pays en 2005 et le statut d’adhésion au protocole de Kyoto. La sémiologie graphique parle d’elle-même   : plus pollueur est le pays, plus il a de réticence à ratifier le protocole de Kyoto (États-Unis, Australie, volte-face du Canada qui l’a ratifié mais qui veut ouvrir de nouveaux champs d’exploitation de schistes bitumineux en Alberta pour profiter de la manne pétrolière   ).
   
Puis, l’atlas présente des initiatives de mise en œuvre concrètes du développement durable en proposant une géographie régionale multiscalaire.

La problématique étant globale, deux exemples transnationaux sont développés: les Alpes et le Rhin   .

Ces espaces sont au cœur de la dorsale européenne : leur développement économique est donc primordial pour l’Europe. La Convention alpine est ainsi le premier exemple d’application régionale des principes du rapport Brundtland, dans un contexte où la préservation du paysage est centrale dans la valorisation touristique du massif. La difficulté est donc de trouver un équilibre entre exigence économique et écologique.

Mais on peut se demander si le slogan "penser global, agir local" ne conduit pas parfois à une standardisation des mises en œuvre. L’Agenda 21, traduction réglementaire de la ville durable, en est un exemple frappant. Aussi reconnaît-on dans le plan du quartier durable du Grand Large à Angers, les mêmes recettes qu’à Dongtan près de Shanghaï   : tramway ou monorail, parcs, plan compact en damier.

À l’échelle nationale, les pays émergents   , gros pollueurs, sont très suivis par la communauté internationale. Mais, ils n’en sont pas au même stade dans la "prise de conscience environnementale"   . Leur politique, plutôt embryonnaire, contraste avec le cas malgache   . Madagascar est un lieu unique d’expérimentations des politiques environnementalistes menées notamment par WWF. Cette ONG a sanctuarisé une part non négligeable du territoire au nom d’une biodiversité exceptionnelle. Ce processus se fait au détriment des paysans locaux et du développement humain, puisque depuis 1991 et le début du Plan national d’action environnementale, Madagascar est entré dans le club peu envié des Pays les moins avancés.

Le développement durable, déséquilibré dans ses objectifs, peut donc être contre-productif.
 

Au final, malgré une bibliographie peu développée mais signalant les ouvrages de base   , cet atlas peut être considéré comme un ouvrage accessible et complet présentant une très bonne introduction à la grille de lecture géographique du développement durable, qui ravira curieux, enseignants et agrégatifs