Le développement durable, on l’a suffisamment répété, devait être l’un des chantiers prioritaires de la présidence française de l’Union européenne. Si les débats autour des enjeux énergétiques et climatiques ont largement trouvé un relais dans les médias, de nouvelles voix commencent à se faire entendre, signalant que ces défis sont étroitement corrélés avec ceux de l’éducation et de la recherche.

Selon cette nouvelle perspective, la promotion du développement durable se joue sur deux terrains. D’une part, elle nécessite une prise de conscience écologique rapide, une volonté politique forte, et l’adoption de mesures rationnelles et exigeantes pour préserver l’environnement. D’autre part, elle suppose que la société se donne les moyens de maintenir cette politique sur le long terme, par le biais de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation.

En d’autres termes, l’Europe du développement durable ne se fera pas sans l’Europe de la connaissance. Cette idée semble logique au regard du consensus actuel, qui veut que dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, de la médecine, des transports ou de la gestion des ressources, la recherche et l’innovation soient les éléments clés du progrès.

Or, cette Europe de la connaissance, si essentielle pour le développement de l’Union, est la grande absente dans le programme politique de la présidence française et dans le débat public qui y est associé.

Pourtant, lorsque la question vient à l’ordre du jour, médias et responsables politiques se rejoignent sur une conclusion : l’Europe ne pourra exister comme espace unifié, ni défendre son modèle démocratique sur la scène internationale, que si elle devient un acteur de premier plan dans les domaines de la science et de la technologie. Il est également admis que le développement durable nécessitera une transformation profonde de nos habitudes de vie, et que celle-ci commencera, en premier lieu, dans les écoles et les universités.

Le rapport Une stratégie européenne pour la mondialisation de Laurent Cohen-Tanugi (Odile Jacob), document stratégique de première importance pour la présidence française, insiste tout particulièrement sur la nécessité de développer l’Europe de la connaissance. Il relève que l’enjeu n’est pas uniquement l’innovation économique à court terme, mais le maintien durable des pôles de recherche, et donc des centres de décision et d’expertise, sur le territoire de l’Union. L’auteur conclut son analyse par un avertissement clair : "L’Union européenne devra faire de l’enseignement supérieur la grande priorité de l’après-2010."

Ce combat est loin d’être gagné. En effet, Laurent Cohen-Tanugi dresse un bilan en demi-teinte de la Stratégie de Lisbonne, lancée en mars 2000 avec l’ambition de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Il relève qu’en matière d’éducation et de recherche, l’Union accumule un retard critique face aux puissances concurrentes, États-Unis et Japon en tête. Pour y remédier, il prône la relance et le renforcement des objectifs de Lisbonne par le biais d’une nouvelle stratégie, baptisée "Lisbonne Plus", ainsi que leur intégration dans une vision stratégique globale pour l’Europe, dénommée "EuroMonde 2015". 

Si ce rapport avait obtenu la place qu’il méritait dans le débat public, il nous aurait donné une bonne occasion de sonder l’état actuel de la question et les principaux courants d’idées en présence. Il en fut autrement : le débat a brillé, certes, mais uniquement par son absence, et les politiques ne se sont pour l’instant guère prononcés sur la manière dont ils comptaient suivre, ou pas, les recommandations de Laurent Cohen-Tanugi.

Pourquoi cet enjeu majeur de l’Europe de la connaissance ne trouve-t-il pas davantage d'échos aux niveaux politique et médiatique ? Pourquoi, alors même que le développement durable s’impose comme une priorité, propose-t-on si peu de pistes pour revoir le rôle de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation ? Malgré un consensus général pour faire de l’Union un modèle éducatif et scientifique, et une grande puissance en termes de technologie et d’innovation, il existe encore très peu de visibilité pour ce chantier.

Il est admis par tous que la France, durant ces six mois à la tête du Conseil de l’Union, ne peut pas trouver toutes les solutions aux défis de l’Union, ni infléchir du tout au tout la politique européenne. Il n’en demeure pas moins que durant cette période, elle dispose d’un pouvoir exceptionnel pour orienter certains dossiers majeurs. Dans cette perspective, des voix pourraient s’élever pour réclamer que les enjeux de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation soient davantage débattus.

Affaire à suivre, donc. Hasard du calendrier, le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) a inauguré dernièrement le LHC (Large Hadron Collider ou "grand collisionneur de hadrons"), le plus puissant accélérateur de particules jamais conçu, outil essentiel pour la poursuite des recherches en physique fondamentale. Lors de son entrée en fonction, l’éditorial du Monde (10 septembre 2008) a résumé en une seule phrase le potentiel de la place scientifique européenne : "Quand les Européens s’associent, ils peuvent être des champions de la big science et en remontrer à tous leurs rivaux."

Nous savons accélérer des particules, il nous reste à accélérer le débat d’idées

 

* Article publié en partenariat avec les Jeunes Européens - Universités de Paris.