Dans son article paru dans le numéro automnal de Commentaire, Donatien Grau retrace un bilan concis et construit de la dernière édition du festival d’Avignon qui s’est tenue en juillet dernier. Abordant tour à tour la passation de la direction du festival, les années difficiles de la première manifestation du spectacle vivant à échelle internationale, et le regain d’intérêt du public pour l’évènement 2008, le chroniqueur dresse un bilan plus que positif d’un festival acclamé tant par la presse que par les spectateurs.


Le public du in et les publics du off

En soulevant la question de la diversité du public, chère à Jean Vilar qui fonda le festival en 1947, Donatien Grau s’interroge sur le succès des recherches sur l’innovation qu’ont privilégiée les trentenaires Vincent Baudriller et Hortense Archambault, dès l’édition 2004 - date de leur élection à la tête du festival. En effet, l’ambition et l’exigence intellectuelle propres à la direction du in ne sont-elles pas légèrement excessives ? Plus particulièrement en regard du "festival bis" dit off, qui réunissait cette année plus de mille spectacles, et dont le recul de l’ouverture n’a fait que creuser davantage un décalage entre les deux manifestations parallèles.

Donatien Grau établit ainsi une distinction fondamentale entre "les publics" du off, et "le public" du in, en séparant d'une part un public massif et de tout âge en quête de divertissement et de "théâtre" au sens traditionnel du terme, et d'autre part, le public de la difficulté, de la recherche et de la complexité qui caractérisent le in, ce même public singulier qui constituait l'auditoire de Jean Vilar proclamant haut et fort : "Le public n’est pas intelligent."

Reprenant par ailleurs l’étude sociologique sur le public du festival d’Avignon d’Emmanuel Ethis, co-écrite avec Damien Malinas et Jean-Louis Fabiani   , Donatien Grau insiste sur cette différence évidente et prouvée, statistiques à l’appui, entre les spectateurs du in (cadres supérieurs et issus de professions libérales ou intellectuelles...) et ceux du off, plus majoritairement constitués d’ouvriers.


Vers un divertissement aux ambitions intellectuelles 

Fusionner les deux manifestations afin de réconcilier les deux publics, et de démocratiser davantage le spectacle vivant, cette perspective utopique n'aurait aucune chance de voir le jour sans le développement de l’éducation et de la communication, les deux priorités du festival. Car malgré les initiatives "sociales" proposées par le in (offre d’un certain nombre de places au profit du secours populaire, et invitations offertes à cinquante-quatre lycéens provençaux), celles-ci n’ont pas l’envergure des initiatives de Jean Vilar, qui invitait des centaines de milliers de jeunes en Avignon.

Face à la baisse effrayante du budget du ministère de la Culture, il devient certes difficile de financer de telles initiatives, néanmoins Donatien Grau ne manque pas de soulever des idées intéressantes et à suivre, comme encourager et favoriser les mécénats, ou élargir les subventions à l’échelle européenne (l’Europe étant largement représentée au sein de la programmation du festival).

En outre, le rôle de la presse et d’internet doit rester prépondérant, la profusion d’articles dans la presse tant locale qu’internationale, l’engagement essentiel de la chaîne Arte et la multiplication de blogs consacrés au festival sont autant de moyens d’ouvrir le festival vers un public toujours plus large.

Le texte de Donatien Grau, s’il est riche en informations et en propositions, dénote cependant un certain scepticisme quant à l'accessibilité de certaines pièces. Par exemple, lorsqu’il évoque l'incompréhension d'une classe d'élèves face à l’adaptation très moderne d’un texte classique par le flamand Guy Cassiers (Atropa, à voir dans son Tryptique du pouvoir présenté au festival d’Automne dès septembre, au Théâtre de la Ville), selon lui, dès lors que les élèves ne saisissent pas les correspondances entre littérature antique et politique actuelle, "toute l’entreprise ne sert à rien". Ainsi, celui-ci ne cesse de soutenir que sans le sens ou une connaissance accrue de la littérature et de l’histoire, on ne peut jouir pleinement de certaines œuvres présentées au festival in. Pourtant, il n’est pas nécessaire d’avoir lu les quinze mille vers de La Divine Comédie pour se plonger avec délectation dans l’adaptation très libre du texte de Dante par Romeo Castellucci qui convoque davantage les sens que le sens même. C’est justement dans cette liberté et dans la pluralité des sensations que les "propositions" du in offrent au spectateur, que réside le succès croissant d’un festival qui n’a pas fini de nous surprendre



* Donatien Grau, "
Le dilemme d’Avignon", Commentaire, automne 2008


* À lire également sur nonfiction.fr :

- la critique du livre de Nicolas Truong, Le Théâtre des idées (Flammarion), par François Thomas

- la critique du livre d'Emmanuel Ethis, Jean-Louis Fabiani et Damien Maulinas  sur Avignon ou le public participant. Une sociologie du spectateur réinventé (L'Entretemps), par Emmanuelle Loyer.