Dans le contexte du récent conflit en Géorgie, Jean Quatremer, journaliste spécialisé dans les questions européennes, a publié dans la rubrique "Rebonds" de Libération, le 9 septembre 2008, un article intitulé "De l’ "Europe par la paix à l’Europe par l’épée" ", tiré d’un billet de son blog qui a suscité de nombreux commentaires.
Jean Quatremer prend le contre-pied du courant de pensée "néo-kantien" qui envisage l’Europe comme une union cosmopolitique. Jean-Marc Ferry, principal représentant de ce courant, a développé cette pensée dans son ouvrage de référence L’Europe, la voie kantienne . Celui-ci s’inspire du Projet de paix perpétuelle de Kant et de sa définition du droit cosmopolitique comme droit régissant les rapports entre un État et des ressortissants d’un autre État. Le droit est envisagé ici comme un vecteur de civilisation et le fondement d’une nouvelle citoyenneté, dans la lignée des travaux de Jürgen Habermas sur le patriotisme constitutionnel. Selon ce courant, l’Europe politique se trahirait si elle se construisait à partir d’une identité substantielle comme la nation. De la dissolution du lien entre la citoyenneté et le territoire national par le droit cosmopolitique émergerait une citoyenneté européenne reposant sur une identité juridique ou constitutionnelle permettant à chacun de faire valoir ses valeurs socioculturelles au sein de l’espace européen.
Construisant sa réflexion à partir des propos de Peter Van Ham et faisant implicitement écho au dernier ouvrage de Robert Kagan , Jean Quatremer pose la question de la nécessité d’un ennemi commun pour forger l’identité collective de l’Europe. La logique de l’exclusion primerait in fine sur celle de l’inclusion devenue désuète. Qualifiant la politique européenne du soft power de "vision du monde "woodstockienne" ", devenue subitement inepte avec l’invasion Russe de la Géorgie, le journaliste prône le retour d’une postmodernité illusoire et stérile à une modernité bien réelle. Il s'agirait de remettre l'Europe dans la voie hobbesienne, qu'elle aurait par égarement, depuis les années cinquante, quittée. L’anarchie de l’ordre international imposerait à la rêveuse Europe de prendre enfin son épée, ou du moins de la forger. Pour Peter Van Ham, il faudrait dépasser le simple objectif de l’Europe de la défense pour envisager son réarmement, voire même "collectionner des scalps" (sic), nécessité pour se faire respecter. Pour une Europe virile ?
En effet, on pourrait déceler dans ces propos un "complexe de virilité" qui semble affecter certains intellectuels européens depuis que Robert Kagan a rapproché l’Europe à Vénus (et les Etats-Unis à Mars) . Sans s’interroger sur la contradiction mortelle d’une Europe des États-Nations qui se construirait elle-même sur le modèle de l’identité nationale, Jean Quatremer en viendraient à remercier Poutine pour l’invasion de la Géorgie qui "va obliger les Européens à prendre plus rapidement leur destin en main".
L’article de Jean Quatremer offre une nouvelle illustration de l’impossibilité pour les intellectuels français de penser le politique en dehors du cadre de la nation. Or, la construction européenne renvoie à des schèmes différents de ceux de l’État-Nation et du droit public. La pensée française gagnerait à s'ouvrir aux travaux universitaires étrangers, notamment anglo-saxons et allemands qui contribuent depuis une dizaine d'années à un renouvellement majeur du constitutionnalisme
* Jean Quatremer, "De l’ "Europe par la paix" à l’ "Europe par l’épée" ", Libération, 09.09.2008
* Le billet de Jean Quatremer sur son blog, "L’Europe par l’épée"
* À lire également sur nonfiction.fr :
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Sous la direction de B. Geremek et R. Picht, un ouvrage passionnant qui, par-delà le constat d’une crise de l’Europe, cherche à dessiner des perspectives d’avenir.
- la critique du livre de Robert Kagan, The Return of History and the End of Dreams (Alfred A. Knopf) par Alexandre Barthon de Montbas.
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