L’excellent magazine bimestriel Le Tigre profite de la rentrée pour se pencher sur le débat qui depuis quelques années agite les salles de prof et réveille en sursaut les membres de l’Académie française : le langage SMS.

Après que les immortels ont abandonné leur combat contre les anglicismes (Le Tigre rappelle d’ailleurs dans un article connexe leur vaine tentative de remplacer le verbe "chatter" par "clavarder"…), leur croisade suivante a pour scène les salles de classe du collège, lieu où selon eux se fomente un vaste coup d’État linguistique menaçant la survivance de notre chère langue française, à coup de "lol", de "jtm" ou de "ki t ?". Et les hommes politiques, enseignants et journalistes de se joindre à cette guerre sainte (et non pas "gR s1t") contre les pratiques subversives de la population collégienne (composée notamment de leur propre progéniture, pourrait-on leur rappeler) puis de réclamer des mesures draconniennes. Le Tigre a donc décidé de consacrer 13 pages de son dernier numéro et toute son érudition pour défendre cette sténographie du XXIe siècle, et parvient à chasser bon nombre d’idées reçues dans un dossier réjouissant.

On y apprend notamment que l’art de la sténographie (du grec sténo, serré) date tout bonnement de l’Antiquité, lorsque l’historien grec Xénophon rédigea en écriture abrégée les mémoires de Socrate. Plus récemment, les contraintes techniques qu’imposait le rudimentaire télégraphe obligaient ses utilisateurs à sacrifier les règles les plus élémentaires de la syntaxe. Et, en 1924, un chercheur américain, Emma Dearborn, mettait au point la méthode Speedwriting, écriture caractérisée par un mélange de sons et de lettres   et utilisée par les secrétaires pour sa rapidité.

Contrainte technique, rapidité… on retrouve les fondements de l’écriture SMS, créée pour remédier aux difficultés générées par la structure tordue des touches du clavier, le nombre limité de caractères et le coût financier d’un texto. Alors, avec le langage SMS, qu’est-ce qui change ? Pour Le Tigre, "c’est sans doute la visibilité du SMS (le fait que le téléphone portable se soit répandu dans l’ensemble des couches sociales, et ce dès le collège) qui a cristallisé les passions." De plus, "abandonnant son but premier, poursuit l’article, la rapidité, [l’écriture SMS] développe désormais tous les attributs d’une langue – se renouvellant, inventant des mots et des codes grammaticaux…" Pourtant, pas de quoi faire trembler les murs du palais de l’Institut, car c’est bien "la collectivité qui décide de l’orthographe en règle du français : ce sont les médias, les journaux, les affiches…" Ainsi, et n’en déplaise aux professeurs de français se lamentant de trouver de plus en plus souvent dans les copies des "ki" à la place des "qui", ces raccourcis semblent moins dangereux que certains oublis sur les publicités, tel le "œ", parfois remplacé par un malencontreux "oe". Ensuite, comment ne pas être admiratif devant tant d’inventivité et de ruse, qui forceraient le respect des linguistes si elle ne sortait pas de la tête de cancres incultes ne maîtrisant ni le grec ni le latin ?

On touche là au cœur du problème, car le langage SMS est avant tout une écriture d’un groupe social, celui des "jeunes", se rapprochant ainsi de la cryptographie, et qui, comme tout jargon, participe à la définition de leur identité. Les gardiens de la langue française ont-ils raison de craindre que le péril jeune ravage notre patrimoine avec ses inesthétiques et incompréhensibles codes grammaticaux ? Pour Le Tigre, rien n’est moins sûr : "les SMS ne touchent pas une langue en tant que telle : ils en constituent une forme dérivée." Les immortels peuvent dormir tranquille. 



* Le Tigre, volume XI, septembre-octobre 2008, 105 pages, 6,80 €.