Saluons la venue au jour d’une nouvelle revue trimestrielle appelée Histoire et Missions Chrétiennes dont nous présentons ici le n° 3. Sa nouveauté ne tient pas seulement au fait qu’elle ne paraît que depuis un an, on pourrait dire qu’elle se distingue surtout de la plupart des revues missionnaires classiques par son style et son ton universitaires. Jean Pirotte rappelle l’objectif de la revue dans ce numéro justement : "mettre en relation et faire travailler ensemble des centres universitaires (ou des chercheurs isolés) et les riches centres d’archives des instituts et des mouvements missionnaires" (p. 11). Il s’agit bien d’une revue qui est pensée et gérée par des chrétiens même si la fonction ecclésiastique de la plupart des auteurs n’apparaît pas. À vrai dire, il faudrait faire une exégèse des articles pour le savoir, au cas où on en aurait la curiosité... Mais ce serait se tromper que d’interpréter cette discrétion comme un désir de camouflage. Il s’agit d’une revue ouverte à tous. Voici déjà longtemps que les milieux missionnaires sont acquis à l’importance des sciences humaines, dont l’histoire est une discipline maîtresse, et qu’ils ne craignent plus autant le regard critique sur leur passé.
 
Donnons les titres des quatre premiers numéros sortis en 2007 et ceux des quatre qui sont programmés en 2008 pour permettre au lecteur de se faire une idée sur l’ampleur et le contenu de la nouvelle revue :

N°1, Bilan et perspectives en histoire missionnaire, France, Belgique, Pays-Bas, Italie
N°2, Les 150 ans de la Société des Missions Africaines de Lyon
N°3, La religion africaine réhabilitée ? Regards changeant sur le fait religieux africain
N°4, Missions en Afrique orientale. Ambivalence de rencontres
N°5, Acculturation, syncrétisme, métissage, créolisation : Amérique, Océanie, XVIème-XIXème s.
N°6, Rivalités coloniales et missionnaires en Océanie, 1688-1902
N°7, A la rencontre de l’Asie. La Société des Missions Etrangères de Paris, 1658-2008
N°8, Vous avez dit « Pères Blancs » ? La Société des Missionnaires d’Afrique, 1868-2008

Rien qu’à la lecture de ces titres, on est frappé par l’étendue de l’histoire missionnaire dans le temps et dans l’espace qu’entend couvrir la revue. Cette extension n’est possible que grâce à l’accès aux archives des congrégations missionnaires qui ont, depuis des siècles, amoncelé, classé et, dans la plupart des cas, rendu accessibles les lettres, les rapports, les études des missionnaires dans le monde entier. Mais l’intérêt de la revue et sa nouveauté résident davantage dans la liberté du regard porté sur la Mission. Ce n° 3, intitulé "La religion africaine réhabilitée ? Regards changeant sur le fait religieux africain" et paru en septembre 2007 (il reproduit les Actes du colloque tenu sur le sujet au département d’histoire de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve en mars 2005), en est la preuve. Examinons plus précisément le titre du numéro : il comporte un point d’interrogation. La religion africaine est-elle aujourd’hui réhabilitée ? En a-t-elle besoin ? Si tel est le cas, cela signifie qu’il y a un consensus sur son existence. Or le mot même de "religion" semblait ne pas exister dans les langues africaines. Françoise Raison le signale pour le malgache dans son article "La coutume des ancêtres. Regards sur le XIXème siècle malgache" (p.63). L’apparente absence de religion établie et d’un vocabulaire approprié – sur le modèle du moins du christianisme et de l’islam – a retardé aux yeux des missionnaires la reconnaissance de la valeur des cultes ancestraux. Mais aujourd’hui, l’existence de la religion africaine ne fait plus question, moyennant des éclaircissements, comme le fait Philippe Denis dans son papier intitulé "La montée de la religion traditionnelle dans l’Afrique du Sud" : "Mais qu’entend-on par religion traditionnelle africaine [écrit-il] ? Cette expression, que certains auteurs préfèrent mettre au pluriel, prête presque inévitablement à confusion. Si l’on entend par religion un ensemble de croyances et de pratiques relatives à une réalité transcendante, une définition qui convient à la plupart des grandes religions, on ne fait pas justice à la religion traditionnelle africaine, dont l’objet principal est d’assurer l’harmonie entre les vivants et les "morts vivants" ou ancêtres" (p.122).



Pourquoi alors se demander si cette religion africaine a bien été réhabilitée et ne pas s’en tenir dans le titre à l’affirmation de son existence ? Il me semble que c’est tout l’enjeu de ce numéro. Il y a unanimité chez les dix auteurs européens et africains du dossier principal pour reconnaître la validité de l’emploi du terme "religion" (au singulier ou au pluriel) mais point sur le statut à lui reconnaître. Les différences tiennent d’abord aux angles d’approche. Si l’on s’en tient à la religion des ancêtres, antérieure à la venue des missionnaires, ou si l’on décrit la façon dont elle se "reconstruit" aujourd’hui dans les villes d’Afrique ou dans les communautés africaines d’Europe et d’Amérique, bien sûr que les auteurs divergeront. Sans doute ces différences sont-elles à mettre sur le compte du genre littéraire d’un colloque où chaque conférencier adopte son angle de vue sans s’informer au préalable de celui des autres. Mais il me semble que le véritable enjeu des différences entre auteurs porte sur le contenu du mot "religion".

Chez certains, comme Philippe Denis, déjà cité, le terme est employé dans un sens si large qu’il englobe toutes les formes historiques connues, permettant ainsi d’englober aussi bien les religions dites révélées – principalement le christianisme et l’islam – que les religions ancestrales. Mais il n’en est pas ainsi pour tous. Certains, comme François Kabalese Lumbala (prêtre catholique congolais), mettent en question l’application du terme "révélé" aux seules religions missionnaires : "Au point de vue de l’histoire des religions [écrit-il], rien ne peut justifier l’affirmation selon laquelle la divinité n’aurait parlé qu’à un seul peuple et encore moins à une seule religion… Nous avons toujours été persuadés que la bible judéo-chrétienne n’était pas le sommet de la révélation divine dans l’expérience humaine" (p. 108 et 109). Pour être bien comprises, ces affirmations devraient être remises dans le contexte complet de son article "Révélation de Dieu dans les traditions luba", elles ne sont en aucun cas révélatrices d’un débat inachevé. La question demeure donc encore : y a-t-il une hiérarchie de valeur dans les religions ?


"La religion africaine réhabilitée ? Regards changeants sur le fait religieux africain", numéro dirigé par Jean Pirotte, Histoire et Missions Chrétiennes n°3, Kathala, 199 pages, 17,10 €.