Loin des clichés, F. Constant et J-C. Gay dirigent un atlas très riche, qui met en lumière les problématiques environnementales, sociales, et (géo)politiques de ces territoires souvent méconnus.
Quoi de commun entre Hawaï, le Groenland, Mayotte et les îles Caïmans ? Dispersés dans le monde, très divers de par leurs environnements, leurs caractéristiques socio-économiques, comme leurs statuts, ils se définissent pourtant tous comme des territoires d’outre-mer. Héritiers d’un passé colonial, ils restent marqués par des dynamiques de domination et de dépendance, même s’ils sont traversés par un renouvellement profond des enjeux environnementaux, politico-économiques et géopolitiques. Fred Constant et Jean-Christophe Gay en offrent dans leur Atlas des outre-mer un panorama essentiel, dont l’originalité repose sur une approche croisée et multidisciplinaire.
Un kaléidoscope d’outre-mer
L’irréductible diversité territoriale des outre-mer justifie une première approche de type monographique (une diversalité que les auteurs empruntent à Chamoiseau, Barnabé et Confiant), qui propose une première exploration par autorité de tutelle (outre-mer états-uniens ou européens) ou régionale (Indopacifique). Au-delà des outre-mer français, mieux connus des lecteurs français, cette première partie ouvre des portes sur des horizons moins familiers, comme les Antilles néerlandaises ou les possessions australiennes ou chiliennes du Pacifique. Elle permet de prendre la mesure de ces territoires, de leur dispersion mondiale et des enjeux stratégiques qu’ils représentent pour les États administrateurs : l’importance de Guam dans le dispositif de défense américain ou le verrou de Gibraltar contrôlé par les Britanniques suffisent à rappeler le rôle géopolitique de ces « confettis d’empire ».
Car, par-delà cette diversité, le dénominateur commun réside dans la problématique postcoloniale. Le processus historique de domination européenne, qui s’est enraciné dans des contextes historiques et régionaux aux spécificités irréductibles, se prolonge dans les sociétés contemporaines par des inégalités toujours fortes, pour partie héritées et pour partie renforcées. La complexité de la gouvernance et des statuts contemporains dont jouissent ces territoires (l’infographie sur les territoires ultramarins européens est très éclairante de ce point de vue), plus ou moins autonomes vis-à-vis des anciennes puissances coloniales, relève aussi de cette réalité. La désignation même d’« outre-mer » fait débat, tant elle demeure « métropocentrée » — comme le rappelle le débat en France sur l’emploi du terme « métropole » auquel certains acteurs souhaitent substituer l’expression d’« hexagone ». Les conflits postcoloniaux demeurent prégnants dans de nombreux territoires, comme en témoigne l’actualité néo-calédonienne, groenlandaise ou encore celle des Chagos. Deux doubles pages consacrées aux langues, aux autochtonies et aux identités créoles mettent l’accent sur la richesse culturelle de ces territoires de rencontres, construits par des flux migratoires successifs et entremêlés, pour certains contraints (héritage de l’esclavage et du travail engagé).
Des territoires originaux
Les outre-mer restent des territoires marqués par de fortes spécificités territoriales et démographiques. Sans être exclusive, l’insularité et ses différentes déclinaisons (hypoinsularité, hyperinsularité) sont une caractéristique récurrente aux nombreuses implications. À la fois contrainte en raison de l’enclavement qu’elle implique, elle peut également être utilisée comme un atout par le tourisme qui valorise les formes de retranchement, ou dans un cadre économique et stratégique dès lors qu’elle permet de contrôler d’immenses étendues maritimes (délimitation des ZEE à partir du trait de côte).
En dépit de dynamiques démographiques très diverses oscillant entre croissance encore forte et vieillissement plus ou moins marqué, les territoires ultramarins sont souvent très contrastés, partagés entre des ruralités diverses et une urbanité aux caractéristiques très spécifiques, comme l’ont bien montré les travaux de J-C. Gay sur les outre-mer français.
La problématique sociale est aussi centrale pour des territoires fréquemment plus pauvres que la moyenne des États qui les administrent. Mayotte est, par exemple, la troisième région la plus pauvre de toute l’Union européenne.
Entre crises et recompositions
La problématique économique fait l’objet d’une quatrième partie fournie, tant ces territoires, bien que confrontés aux défis communs de l’éloignement et de la dépendance, ont des profils économiques extrêmement différenciés. On trouve dans cette catégorie aussi bien des espaces très prospères — comme Hawaï, où se sont inventées les formes contemporaines du tourisme balnéaire, ou encore les nombreux paradis fiscaux des Antilles qui tirent parti de la spécificité de leurs statuts et constituent des points d’appui de la mondialisation (touristique ou financière) —, que des territoires traversés par des crises multiples — à l’image de Mayotte ou du Groenland, qui s’interroge sur la possibilité de soutenir son indépendance financière vis-à-vis du Danemark. Les nombreux atouts des outre-mer (ressources multiples et pour certaines stratégiques, biodiversité exceptionnelle) sont mis en regard des importants handicaps à leur développement, tels que la dépendance extérieure, la faiblesse de leur intégration régionale ou les nombreuses menaces qui pèsent sur des environnements fragiles.
Enfin, les mutations sont aussi géopolitiques, comme le montre la partie conclusive. Périphériques par définition, certains territoires ultramarins reviennent paradoxalement au cœur du jeu géopolitique, notamment à la faveur de la montée en puissance chinoise. L’influence croissante de ce nouvel acteur dans le Pacifique, notamment via un soft power multifacettes (aide au développement, diplomatie de la dette), alimente une concurrence géopolitique avec Taïwan et surtout des tensions grandissantes avec les États-Unis, à l’heure où cette partie de plus en plus centrale de l’espace océanique mondial connaît des recompositions géopolitiques de grande ampleur. La conclusion, recentrée sur le cas français, souligne à nouveau la valeur propre de ces territoires dans un monde contemporain en profonde recomposition.
Très complet, cet ouvrage s’affirme au total comme une référence indispensable, qui, loin des clichés, replace les outre-mer dans leurs contextes multiples et leur singularité, à la croisée d’enjeux environnementaux, politiques, économiques et sociaux, et bien sûr géopolitiques. Il vient ainsi très utilement compléter, enrichir et actualiser le numéro de la Documentation photographique consacré en 2018 par Jean-Christophe Gay aux « Outre-mer européens ».