La climatologue Katharine Hayhoe offre des conseils pour communiquer sur la crise climatique et avancer vers des solutions communes.

La question du rapport entre religion et crise écologique fait l’objet de débats, entre ceux qui voient dans le christianisme l’une des sources de nos maux contemporains et ceux qui considèrent a contrario que la foi devrait amener naturellement au respect et à la protection de la Création. Défi et espérance pour le climat. Plaidoyer réaliste et apaisé d’une climatologue, bien qu’écrit par une chrétienne revendiquée, ne revient pas sur cette controverse mais offre une réflexion – ainsi que de nombreux outils pratiques – inspirée par une double perspective : celle d’une scientifique et d’une croyante. Katharine Hayhoe n’est d’ailleurs pas seulement climatologue et chrétienne. Elle est canadienne et réside au Texas (un État républicain), où elle enseigne à l’université. Elle prend très régulièrement la parole sur la question du changement climatique devant des audiences très variées, et pas forcément toujours acquises à la question.

C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt de son livre, traduit par l’association A Rocha   , un mouvement chrétien en faveur de l’écologie. Hayhoe aborde bien sûr, de manière claire et pédagogique, les défis liés au dérèglement climatique tout comme les nombreuses solutions existantes (fiscalité, transition énergétique, électrification, solutions fondées sur la nature, etc.). Toutefois, dans un style narratif très nord-américain, son livre est tramé d’histoires issues de son expérience personnelle ou recueillies lors de rencontres publiques. La démonstration optimiste, tout en restant extrêmement lucide, de Hayhoe repose sur l’idée que « la chose la plus importante que vous pouvez faire [concernant le changement climatique], c’est d’en parler. »

Le changement climatique : un problème compliqué par nos émotions et identités

À première vue, une telle démarche peut apparaître naïve ou utopique, surtout dans le contexte de polarisation politique – à différentes échelles – dont pâtit la défense du climat, et tout particulièrement aux États-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, ouvertement climatosceptique. Ce constat d’une opposition sur une question qui devrait, dans un monde idéal, nous unir au regard des dangers encourus par l’ensemble de l’humanité, est pourtant le point de départ de Hayhoe. Comme elle l’écrit : « le plus grand défi que nous rencontrons n’est pas le déni scientifique. C’est un combiné d’esprit de clan, de complaisance et de crainte. » À cette liste, il conviendrait aussi d’ajouter le poids des intérêts des producteurs d’hydrocarbures, ainsi que leurs actions pour freiner la lutte contre le changement climatique – intérêts qu’elle mentionne cependant dans son livre.

La majorité de la population mondiale est de fait convaincue de la réalité du changement climatique et du rôle de l’humanité dans celui-ci. Pour autant, Hayhoe estime que persuader via la communication de données scientifiques ou en jouant sur la peur (bien que légitime) est voué à l’échec, voire contribue à renforcer la polarisation sur le sujet. Elle propose bien plutôt de privilégier l’écoute et de mettre en avant ce qui nous réunit, davantage que ce qui nous divise, et de faire vibrer la corde morale qui nous anime tous, mais différemment, lors de conversations au sujet du climat : « En définitive, pour se sentir concerné par le changement climatique, il suffit d’une chose : être une personne qui vit sur la planète terre et qui souhaite un avenir meilleur. Il y a de grandes chances que vous soyez déjà cette personne ainsi que les gens qui vous entourent. »

Dans son analyse, Hayhoe rappelle le poids des émotions quand il s’agit d’aborder le sujet. Certaines réactions sont davantage liées à des problématiques identitaires d’appartenance à un groupe, qu’à des réelles controverses scientifiques. Les négationnistes du climat sont minoritaires (environ 7 % aux États-Unis) et, d’après elle, très difficiles à convaincre puisque leur déni du changement climatique est devenu une part de leur vie. Dialoguer avec eux dans l’espoir de les faire changer d’avis, en s’appuyant sur des faits scientifiques, est donc malheureusement une perte de temps. Pour le reste et la majorité de la population, il existe toute une gradation de relations à la crise environnementale et l’échange constructif est possible, en partant de points communs (l’appartenance à un même territoire, à une même religion, la pratique d’un même hobby, etc.), de valeurs partagées ou encore d’expériences personnelles, et en mettant en avant des actions envisageables, plus que des données effrayantes. Dans son cas, Hayhoe estime que c’est tout simplement sa foi chrétienne qui l’a conduite à devenir climatologue, afin de prendre soin de ceux qui souffrent ou souffriront du fait de la crise écologique. Autrement dit – et cela peut sembler paradoxal venant d’une religieuse –, pas besoin de convertir au changement climatique, il est plus efficace de relier ses effets à des valeurs et identités existantes, en montrant en quoi elles seront affectées concrètement par cette menace.

Hayhoe rappelle bien sûr au passage quelques données importantes sur le changement climatique, afin de réfuter certains des contre-arguments les plus courants, et montre les mécanismes à l’œuvre dans sa négation (sélection d’informations, poids des émotions et des identités). En effet, le changement climatique, quand il touche à certains aspects de nos modes de vie, peut être vécu comme une remise en cause personnelle, touchant à notre perception individuelle (être une bonne ou une mauvaise personne) ou à notre appartenance à un collectif (notamment partisan), qui conduit rapidement à se braquer. La peur peut conduire à l’incapacité, la culpabilisation est tout aussi contre-productive, en particulier en l’absence d’alternative viable (par exemple, pour un automobiliste, ne pas bénéficier de transports en commun adaptés pour se rendre au travail).

Se rassembler autour de solutions concrètes alignées sur des valeurs préexistantes

S’il est sûrement nécessaire d’être inquiet pour agir, il faut également disposer de solutions concrètes et s’appuyer sur la mobilisation de valeurs qui font sens pour les concernés. La perception des menaces et des solutions à l’échelle locale est fondamentale pour se mettre en action. Elle permet souvent de dépasser les clivages politiques. De même, prendre conscience de l’impact du changement climatique sur notre santé, et des nombreux co-bénéfices de solutions environnementales sur celle-ci, peut être aussi un facteur de mobilisation.

Pour autant, force est de constater qu’une « bonne part de la résistance aux questions climatiques est en fait un rejet de ce que les gens prennent pour des solutions désagréables ou difficiles à supporter. » Ce rejet est souvent lié, encore une fois, à des problématiques identitaires (les solutions sont proposées par la gauche, donc elles sont forcément mauvaises). Celles-ci sont également alimentées par un travail de sape des industries et pays producteurs d’hydrocarbures, qui n’ont de cesse de décrédibiliser les nombreuses solutions collectives existantes. Le dilemme environnement/économie est souvent mis en avant. Pourtant, pour ne donner qu’une illustration, dans les pays en voie de développement, l’adoption de panneaux solaires contribue directement à la réduction de la pauvreté. Katharine Hayhoe invite à créer du lien autour du changement climatique, à se rassembler autour de solutions qui donnent envie, car elles apportent plus qu’une simple réponse au changement climatique.

En conclusion, elle revient sur la notion d’espoir, qu’elle distingue clairement d’une foi en un miracle (divin) venant sans effort nous sauver. Ainsi, « l’espoir authentique ne s’invite pas comme cela dans nos pensées. Si nous voulons le trouver, il nous faut retrousser nos manches et partir à sa recherche. Il y a alors des chances que nous le rencontrions. Ensuite, il nous faut le mettre en pratique. […] Le futur qui se présente collectivement à nous sera forgé par nos propres agissements. Le changement climatique se situe entre nous et un avenir époustouflant, exaltant. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester paralysés par la peur ou la honte. Nous devons agir avec énergie, amour et bon sens. »