Deux volumes présentent une écologie ancrée dans les inégalités sociales, les conflits de classe et les formes populaires d’engagement, loin des visions abstraites de l'ontologie de la nature.

Les volumes de décembre 2024 et d’avril 2025 de la revue Actes de la recherche en sciences sociales, proposent un regard sociologique essentiel sur les enjeux contemporains de l’écologie. Coordonnés par Jean-Baptiste Comy, Séverine Misser et Franck Poupeau, ces deux numéros tissent un réseau de connaissances qui s’avère incontournable pour quiconque souhaite penser l’écologie à la fois dans ses dimensions théoriques et concrètes.

Le premier volume, intitulé « De la justice environnementale à la condition écologique des classes sociales », s’ouvre sur une citation de Georges Canguilhem dénonçant les techniques d’exploitation des ressources naturelles. Le second s’intitule « Mobilisations sociales et recomposition des rapports de classe » et se place sous l’égide d’une citation de Karl Marx sur l’usurpation du temps de vie par les exigences de la croissance.

Ces deux numéros prennent résolument le parti de lier écologie et justice sociale. Ils s’inscrivent contre une vision désincarnée de l’écologie, souvent centrée sur la « nature » ou l’« environnement » au sens large, en rappelant qu’on ne peut penser ces enjeux sans les articuler étroitement aux réalités sociales. Notamment, ils explorent la tension fréquente entre lutte contre les pollutions et défense de l’emploi industriel. Sans réduire la pensée ouvrière à la seule préoccupation de l’emploi, ces enquêtes éclairent la manière dont les classes populaires s’emparent de l’écologie – en particulier à travers la notion d’environnementalisme ouvrier. Il s’agit ici de reconnaître la pluralité des écologies politiques, au-delà des formes institutionnalisées, en mettant en lumière leurs expressions populaires.

Justice environnementale et inégalités sociales

Les différentes contributions ont en commun de sortir l’écologie du seul cadre de l’ontologie de la nature et de la considéré à partir des conditions de vie quotidiennes. Plusieurs articles analysent ainsi comment les groupes sociaux populaires et/ou minorisés sont plus exposés que d'autres aux risques environnementaux et à des milieux de vie dégradés par la pollution. Ces travaux montrent, entre autres, que des mécanismes structurels de domination sont à l’origine d’une qualité environnementale amoindrie dans les quartiers populaires, notamment dans les résidences HLM. Cela produit des représentations dévalorisantes de ces lieux, qui participent à leur dégradation et à un désengagement vis-à-vis de leur entretien.

La sociologie des nuisances et des déchets est mobilisée pour analyser comment ces réalités sont perçues, vécues, et parfois instrumentalisées par les bailleurs sociaux sous forme de campagnes de sensibilisation. Ces dernières peinent toutefois à faire émerger une véritable prise en compte des souffrances environnementales vécues. Il en ressort l’idée d’une insensibilité sociale à ces formes de mal-être écologique, autorisant à parler d’«  inégalités écologiques  ».

Les enquêtes montrent également que la conscience écologique, lorsqu’elle se développe, influe sur les styles de vie. Elle peut prendre des formes très concrètes et quotidiennes, comme le montre une série d’entretiens : modification de l’alimentation, maîtrise de la consommation énergétique, ou reconversion professionnelle vers des métiers en lien avec l’environnement. Ces engagements, d’abord privés et domestiques, peuvent ainsi ouvrir des perspectives plus collectives et sociales. D’autres articles soulignent l’ambivalence de certaines dépendances – notamment celle à l’énergie – et la façon dont la précarité oblige à une conscience accrue de sa gestion, voire à des formes de résistance.

Mobilisations populaires

Le deuxième volume approfondit ces questionnement en se concentrant sur les mobilisations sociales et les recompositions des rapports de classe face à la crise écologique. Il met en lumière des situations concrètes où les intérêts environnementaux entrent en tension avec les conditions économiques et sociales locales.

Ainsi, une enquête conduite en Andalousie analyse le soutien populaire à la réouverture de mines promettant emploi et développement, malgré les nuisances environnementales qu’elles engendrent. D’autres travaux s’intéressent au silence des ouvriers face aux controverses environnementales autour d’une usine d’alumine. Loin de l’indifférence, ce silence s’explique par un sentiment d’illégitimité à prendre la parole dans des instances perçues comme lointaines, alors même que ces ouvriers ont des choses à dire, notamment sur la possibilité de rendre leurs outils de production plus écologiques.

Une autre contribution s’attarde sur la redéfinition du métier de berger dans un contexte de retour du loup. Il montre comment ce métier traditionnel est devenu une activité de gestion de l’espace naturel par l’élevage. Il souligne aussi comment les politiques de conservation de la nature ont favorisé l’entrée dans le métier d’agents de la petite bourgeoisie culturelle, contribuant à une forme de « rénovation écologique » du pastoralisme, qui en transforme profondément le sens et les pratiques.

À travers ces deux volumes, l’écologie se révèle indissociable des questions sociales (structures sociales, conflits de classe et inégalités d’exposition aux risques). Par des enquêtes de terrain et des entretiens, chaque article donne chair à une écologie du quotidien, vécue, traversée par les rapports de pouvoir, les dépendances et les résistances.