Inspiré par une théorie communicationnelle, l’écrivain offre un roman sur les différents mondes cohabitant à Tel-Aviv.

Il n’y a pas de création littéraire sue generis. Nul doute que le romancier israélien Yaniv Iczkovits, auteur du roman virtuose La Vengeance de Fanny dont nous avions rendu compte, connaît son Romain Gary par cœur. Il a lu et compulsé La Vie devant soi et Adieu Gary Cooper, tout comme L’Angoisse du roi Salomon.

Pour La Vie devant soi Gary était allé chercher la couleur locale, la silhouette de ses personnages lors d’une virée à Barbès. Iczkovits a lui autant arpenté les rues de Tel Aviv et de Haïfa que Modiano celles de Paris.

L’autre affinité d’Iczkovitz avec Gary est son goût pour la provocation et une certaine forme d’humour, propre aux Juifs issus de l’immense Zone de résidence de l’Empire russe, dans laquelle ils furent astreints de vivre jusqu’à la révolution d’Octobre.

Malgré les tours ultra-modernes de Tel Aviv, ses ingénieurs qui créent et revendent des sociétés de hightech, les Juifs en Israël ont conservé quelque chose du shtettl. Ils se disputent sans fin et s’opposent entre tradition religieuse et modernité.

Sur le boulevard Rothschild à Tel Aviv, en moins de cinq cents mètres, vous croisez des Juifs à payes et tsitsits, des dragqueens en patins à roulettes, des hommes d’affaires pressés, des homosexuels en short et marcel, enlacés, mais aussi des gens en jean et tongs, tatoués partout où il y a de la place, qui promènent des chiens en laisse et ramassent leur caca pour le compte des plus riches qu’eux, et qui n’ont pas le temps. Tous s’ignorent et se tolèrent du bout des lèvres.

L’histoire que nous conte Izczkovits n’est pas innocente, même si elle se présente d’abord presque naïve. Suis-je entrée dans un roman policier ? se demande-t-on dans les premières pages, car dans la salle de dissection de la Faculté de Médecine de Haïfa, on découvre deux cadavres de trop ; deux macchabés qui n’ont pas été identifiés. Avides, nous voulons savoir quel est le méchant qui a occis deux inconnus et a réussi à les introduire dans la morgue de l’Institut Technion.

Iczkovtiz sait comme personne conduire le lecteur dans un labyrinthe de narrations au cours desquelles nous rencontrons nombre de personnages qui semblent n’avoir rien à faire les uns avec les autres. Détrompez-vous !

Mais si, mais si ! avec beaucoup de patience, le lecteur comprend que ce livre est un puzzle dont il doit assembler toutes les pièces afin que l’histoire soit parfaite. C’est un peu Le Palais des vases brisés du regretté et grand David Shahar.

De fait, Iczkovitz est non seulement romancier, mais aussi philosophe, sociologue, ethnologue, analyste, anthropologue, biologiste, voire un peu mathématicien. Sa Weltanschaung est inspirée par l’approche systémique de Pao Alto, d’où le titre de ces histoires qui illustrent la conception et le destin de ses personnages. Les problèmes qu’ils rencontrent ne sont pas seulement le résultat de leurs conflits internes, mais sont étroitement liés à l’environnement et aux interactions sociales dans lesquels ils évoluent.

Cette théorie, dite « systémique », n’est pas tout à fait manichéenne. Personne n’est complètement sain d’esprit, complètement bon, complètement méchant. Chacun interagit depuis son cinéma intérieur avec les cartes dont il a hérité au début de sa vie.

Ainsi, nous allons rencontrer un poète arabe qui n’écrit pas réellement de la poésie, ainsi que nous nous la figurons. Il accueille dans sa maison délabrée, il s’agit plutôt d’un squat, des femmes des enfants sans toit au-dessus de leur tête, des adolescents en rupture de famille fortunée. Ce poète arabe, également laveur des vitres des immeubles géants de la ville hédoniste « qui ne dort jamais », entretient quelques liens secrets avec la Madame Rosa d’Emile Ajar. Il a le privilège d’observer les riches, les hommes d’affaires dans leurs luxueux bureaux, tandis qu’harnaché de cordes, il passe sa brosse sur leurs vitres. Mais eux ne le voient pas.

Cependant, tout le monde n’est pas aveugle. L’épouse d’un de ces self-made man se pique de poésie. Elle est éprise de justice. Elle méprise son riche époux, et veut réparer le monde. Elle vit certes dans une somptueuse villa, mais c’est entre les bras du poète arabe qu’elle trouve l’extase érotique. Elle veut le sauver. Je ne vous dirai pas si l’un et l’autre seront sauvés.

Quoi qu’il en soit, Iczkovitzs n’est pas candide. Les adolescents, progénitures de familles nageant dans le Pactole, comme bientôt Ralph Benatzky, le maître d’hôtel de l’opérette L’Auberge du cheval blanc, ne trouvent pas le bonheur dans la rivière d’or familiale. Ils fuguent. Ils cherchent évidemment la paix, dans le squat crasseux du poète arabe.

On comprend que quoi qu’on fasse, qu’on soit bavard ou mutique, « il est impossible de ne pas communiquer », ainsi que l’affirme la théorie de Pao Alto.

Roman profus, aussi drôle que tragique et, finalement, on l’a vu, très théorique. Le romancier veut persuader son lecteur qu’au terme des récits qui unifient son livre, on peut tout expliquer. Voire.