Jacques Duret propose une synthèse de la Justice sous Vichy, institution centrale, pour mieux comprendre le fonctionnement même de l’État français.

De la fin de la « drôle de guerre » à l’effondrement de l’État français, cet ouvrage définit et présente le large spectre de la répression politique sous Vichy. L’institution judiciaire est un rouage essentiel pour comprendre l’État français et sa politique. L’approche retenue est d’embrasser l’ensemble des juridictions pénales en activité de 1940 à 1944, en s’intéressant plus particulièrement à celles relevant de la Cour d’appel de Paris. Il s’agit dès lors de s’affranchir d’une dichotomie « datée » entre justice d’exception et justice ordinaire s’agissant de la répression judiciaire sous l'État français. Les juridictions ordinaires, et plus particulièrement le tribunal correctionnel, constituent en effet le noyau central et le maillon essentiel de la répression politique tout au long de ces quatre années. Les juridictions d’exception, principalement la section spéciale et le tribunal d’État, ne font que graviter autour, en fonction des évolutions conjoncturelles et législatives de l’État français. Elles n'en demeurent pas moins le symbole du dévoiement de la Justice française durant ces « années sombres ».

Suivant un cadre chronologique, il s’agit de confronter les exigences du régime, traduites par le corpus législatif et administratif mis en place par le ministère de la Justice, à leur application sur le terrain judiciaire. Cela permet de mettre en évidence l’usage quotidien que font les juridictions pénales des possibilités qui leur sont offertes en matière de répression politique pendant cette période, notamment à Paris.

De par leur situation géographique et politique, les juridictions parisiennes occupent une place spéciale dans l'environnement judiciaire français. Les affaires traitées ont en effet une connotation particulière, tant en termes d'enjeux que d'exemplarité vis-à-vis des juridictions provinciales. Cela fait de ces tribunaux des institutions à part, et ce d’autant plus pour la section spéciale et le tribunal d’État, qui sont les premiers en action en zone occupée et en France. Les juridictions parisiennes sont donc particulièrement surveillées tant par l’État français que par les autorités d’occupation.

La répression politique ne peut s’apprécier globalement entre 1940 et 1944, et ce même si dans son ensemble une logique unificatrice apparaît. Elle suit l’évolution politique du régime. Le premier Vichy est marqué durant ses premiers mois d’existence par la mise en place de la Révolution nationale puis, à partir de l’arrivée au pouvoir de l’amiral Darlan en février 1941, par un durcissement envers les oppositions. À partir de l’été 1941, un basculement s’opère afin de pouvoir répondre au développement et aux prémices d’organisation des dissidences, en particulier communistes. Leurs premières actions à l’encontre des officiers allemands conduisent à en faire des adversaires du régime qu’il faut éliminer à tout prix. La création des sections spéciales et, dans une moindre mesure, du tribunal d’État doit permettre de réprimer avec une plus grande sévérité et efficacité ces activistes. Ce retour à la justice d’exception conduit logiquement à une refonte globale du système répressif dont la finalité est de maintenir l’ordre social et d’éliminer les premiers résistants. La fin de l’année 1942 constitue un nouveau tournant. L’évolution du conflit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la France, achève une politique répressive qui peine même à contenir une Résistance de plus en plus organisée et puissante. Le remplacement du garde des Sceaux Joseph Barthélémy par Maurice Gabolde en mars 1943 conduit à repenser intégralement la répression politique. Ce dernier impose en effet un changement global de stratégie et de système répressif. Si le basculement de l’été 1941 est initié en majeure partie à la demande des autorités d’occupation, l’État français profite des circonstances pour mettre en place un projet antérieur. En revanche, les modifications opérées en juin 1943 sont purement françaises et s’inscrivent dans une politique de collaboration plus globale. À la fin de l’année 1943 et au début 1944, la radicalité de la répression politique s’affirme encore plus par une collaboration accrue entre police et justice, au détriment de cette dernière qui perd peu à peu toute influence.

Ces différentes étapes s’inscrivent dans une logique d’exclusion des opposants et de toute personne jugée nuisible par le régime, qu’elle se soit prononcée ou non contre l’État français et/ou sa politique. En corollaire, cela permet au régime de Vichy de rassembler les Français autour de sa Révolution nationale. Très vite, cette logique d’exclusion n’apparaît toutefois pas suffisante face à des dissidences qui se développent et s’organisent et devant une opinion publique qui se détache peu à peu de l’État français. Un nouveau cycle voit donc le jour à partir de l’été 1941, celui de la répression et de la persécution.

Cet ouvrage se veut novateur à plusieurs égards. Il entreprend d’éclairer la manière de fonctionner au quotidien de la justice française sous l’Occupation, en intégrant la vision française mais également la perspective allemande. Il ouvre ensuite de nouvelles pistes d’explications sur le schéma répressif utilisé tant par l’occupant que par les autorités judiciaires françaises. Le parquet dispose en effet face à l’inflation législative de l’État français de multiples possibilités pour poursuivre les délinquants politiques. Enfin, il s’intéresse à la justice ordinaire, largement occultée à ce jour, hormis quelques travaux. Cela permet une réelle mise en perspective avec les juridictions d’exception parisiennes, qui demeurent elles aussi les parents pauvres de l’historiographie.