La numérisation de la presse du siècle dernier offre un large champ d'investigation aux historiens du cinéma, qui mettent ici en valeur son rôle décisif dans le parcours des stars de l'époque.
Ce livre collectif s’appuie sur le recensement systématique des textes consacrés à l’actualité cinématographique dans la presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle. Son objectif est de démontrer comment la presse cinématographique naissante a contribué à façonner l'image des vedettes dès le début des années 1910, imitant le mouvement de construction de la popularité des acteurs de théâtre et des chanteurs d’opéra au XIXe siècle.
L'ouvrage comprend neuf chapitres regroupés en trois parties. La première porte sur des genres journalistiques permettant cette « fabrique des vedettes » : les entretiens ou visites à celles-ci, et les jeux proposés aux lecteurs afin de tester leur érudition les concernant. C’est ainsi que se met en place la première cinéphilie populaire à partir d’octobre 1913 dans Le Journal et le mois suivant dans Le Matin, deux quotidiens qui offrent à leurs lecteurs une rubrique sur le cinéma. La deuxième partie rassemble quatre études de construction de carrière de vedettes françaises très différentes les unes des autres : Jeanne de Balzac, Claude Mérelle, Eve Francis et Fernandel. La troisième partie porte sur le parcours médiatique d’acteurs étrangers en France – Dita Parlo et Ivan Mosjoukine – et d’une actrice française à l’étranger, Lily Damita. Il y en a donc autant pour des comédiens restés à la postérité (Fernandel, Mosjoukine) que pour des stars d’alors désormais oubliées (Jeanne de Balzac, Lily Damita).
Quelques rubriques journalistiques consacrées au cinéma
Anne Bléger analyse dans le premier chapitre « l’interview comme dispositif artificiel au service de la starification ». Elle a dépouillé un corpus de 1657 interviews retrouvés dans les revues Le Film, Cinéa-Ciné pour tous, Cinémagazine, Mon Ciné et Pour vous. Elle montre que progressivement les têtes d’affiches (Jean Angelo, Jaque-Catelain, Gina Manès, Rudolph Valentino, Raquel Meller, Stacia Napierkowska, Maurice Chevalier, etc.) deviennent les sujets principaux des articles signés par les journalistes les plus expérimentés, tels René Jeanne, Emile Vuillermoz, Jean Tedesco, Roger Régent et Nino Franck.
Toutes ces interviews sont mis en scène par les journalistes de manière théâtrale et anecdotique présupposant une certaine proximité avec l’acteur tout en maintenant une distance marquant une forme de respect. La vie de l’artiste est mise en récit, romantisée, voire idéalisée, le journaliste endossant le rôle du narrateur. Il décrit l’espace où a lieu l’échange et s’intègre lui-même au récit, comme le fait Henri Fescourt, rendant visite à Renée Carl pour Mon Ciné en 1925. Les journalistes jouent également la carte de la familiarité lorsqu’il s’agit par exemple « de prendre le thé avec Lil Dagover ». Le but est de révéler certains aspects cachés de la vie des stars, à partir de confidences recueillies « au coin du feu de cheminée », selon une métaphore conventionnelle.
Dans le second chapitre, « Joue avec les stars - Connaissance des vedettes et pratique ludique de la cinéphilie (années 1920 et le début des années 1930) », Myriam Juan étudie les jeux proposés aux lecteurs afin de tester leur connaissance des films et celle de la filmographie des acteurs. Ces jeux se généralisent dans les années 20 et vont jouer un rôle décisif dans la formation de la cinéphilie populaire ou savante. Ils ont été jusqu’à présent plutôt délaissés par les chercheurs car considérés comme superficiels. Myriam Juan en démontre au contraire l’intérêt, attesté par ailleurs par une déclaration du cinéaste et théoricien d’avant-garde Jean Epstein, qui, lors d’une conférence à la Sorbonne en 1924, soutient qu’il a « beaucoup apprécié le récent concours organisé par une gazette de cinéma ».
Ces jeux se présentent d’abord comme des concours et des classements d’acteurs ou de films par le vote des lecteurs ayant pour but de fidéliser ces derniers, alors récompensés par des prix à gagner en espèces ou sous forme d’abonnements, de photos avec dédicace, des visites de studios, jusqu’aux brèves rencontres avec certaines vedettes comme Maurice Chevalier (escorté par son épouse). On retrouve déjà le goût des listes des films préférés, comme par exemple dans Pour Vous organisant « le jeu de la veille de Noël » en 1928. Ces listes peuvent également concerner des catégories particulières d’acteurs. Ciné-Miroir organise par exemple un concours de l’acteur pour incarner « le meilleur prince charmant », et c’est Henri Garat qui est plébiscité par les lecteurs (et surtout lectrices). Le journal publie alors en pleine page un portrait de l’acteur en bel uniforme blanc d’officier de marine, avec casquette et gants blancs posés sur la poignée d’une épée .
Toujours dans Ciné-Miroir, une pleine page en octobre 1931 annonce le concours « Les yeux inconnus », avec quatre paires en gros plans recadrés en losange avec la question « A qui appartiennent ces yeux ? » et une récompense de 100 000 francs en espèces ou en nature à la clé. Il était alors fréquent que les publications proposent à leurs lecteurs de tenter d’identifier des vedettes en produisant des photographies de fragments de leurs corps (les yeux, mais également les mains, les jambes, le front, le nez, etc.). Un autre concours a pour thème « Et si vous étiez metteur en scène ? » proposant une liste de dix films, de L’Atlantide de Feyder avec Stacia Napierkowska à Mélo de Paul Czinner avec Gaby Morlay, et pose la question « Auriez-vous choisi les artistes effectivement engagés ? ». En 1931, l’apparition récente du cinéma sonore amène un concours de la voix la plus phonogénique dans Pour vous. C’est alors Jeannette MacDonald, actrice et cantatrice américaine et francophone qui est plébiscitée, alors qu’elle tourne les versions françaises de ses films musicaux avec Maurice Chevalier.
Quatre vedettes françaises de l’entre-deux guerres
Dans son enquête méticuleuse portant sur l’actrice Jeanne de Balzac, Béatrice de Pastre pose la question : « Qui se cache derrière la star de papier ? ». Aujourd’hui oubliée, Jeanne de Balzac est propulsée au rang de star internationale par un article de Cinémagazine, numéro 29 du 18 juillet 1924, autour de l’adaptation à l’écran du roman de Gustave Flaubert, Salammbô. Toute la promotion du film repose sur les épaules de l’actrice principale, alors quasi-inconnue du grand public, et présentée comme la petite nièce ou arrière petite nièce du célèbre écrivain. Le journaliste de Cinémagazine indique qu’elle serait née en 1891 à Tours, avant de se lancer dans une expérience d’actrice aux États-Unis, interprétant une autre adaptation de Balzac, La Peau de chagrin (Slave of Desire) réalisé en 1923 par George D. Baker. Or Béatrice de Pastre n’a trouvé aucune trace de la naissance de Jeanne de Balzac à Tours dans les années 1890, et l'actrice ne figure pas dans la distribution du film de George D. Baker. Aucune trace non plus de Jeanne de Balzac dans la descendance des frères et sœurs d’Honoré de Balzac.
Après Salammbô, la comédienne interprète le rôle de Colette Duflos dans un film allemand en 1925, Die Unberührte de Constantin J. David, distribué en Allemagne, et en Angleterre sous le titre The Untouched Woman, mais inédit en France. En 1926, elle joue le rôle de la comtesse Mirador dans une série adaptant un roman populaire de Pierre Gilles en quatre épisodes et dix-huit chapitres, Titi, 1er roi des gosses, réalisé par René Leprince. En 1927, La Revue des revues - Paris qui charme, film réalisé par Joë Francis et Alex Nalpas, enchaîne les numéros filmés au Moulin Rouge, aux Folies Bergère et au Palace, avec notamment Mistinguett et Jeanne de Balzac. L’année suivante, celle-ci est Madame Tallien dans le film de Gaston Ravel consacré à Madame Récamier et son dernier film la même année est un court métrage de Jean Petithuguenau, Nadia l’enjôleuse. Sa filmographie se résume à ces titres.
Par contre, le nom Jeanne de Balzac réapparaît régulièrement dans les programmes de music-hall, dans les spectacles de cabarets parisiens, dans les photos érotiques du magazine Paris-Plaisirs en 1927, dans la célèbre « Danse des éventails » au Palace, et en modèle de sculpture pour Geneviève Granger et Diane Chasseresse, tireuse à l’arc. Un article de Paris Midi annonce sa mort dans le journal du 5 mai 1930. Elle aurait été enterrée dans un cimetière de Versailles, mais là encore, aucune trace officielle de son décès dans les registres des mairies concernées. Jeanne de Balzac a donc été une étoile filante sous ce nom, mais il s’agit sans doute d’un pseudonyme. Son identité réelle reste à ce jour mystérieuse.
Après l’enquête à la Sherlock Holmes de Béatrice de Pastre, le chapitre 4 écrit par Anne Bléger, pose la question : « Que reste-t-il de Lise Laurent dans les portraits de Claude Mérelle ? » Lise Laurent est le nom d’une jeune actrice née à Colombes près de Paris en 1888, qui débute sa carrière chez Gaumont, sous la direction de Louis Feuillade en 1912 dans Les Noces siciliennes. Elle interprète douze films sous la direction de Feuillade jusqu’au Roman d’une midinette en 1914. Cependant, ces rôles initiaux n’attirent pas spécialement l’attention des journalistes de cinéma, comme ce sera en revanche le cas à partir du moment où elle prend le pseudonyme de Claude Mérelle en 1918.
Par contre, l’actrice fait la Une des journaux lors d’un fait divers en date du 23 janvier 1914 où elle tire avec un revolver deux ou trois balles sur son compagnon l’acteur Paul Guidé, lors d’une rupture amoureuse passionnelle alors que celui-ci allait retrouver son amant. Ce drame de la jalousie est cité 191 fois dans la presse entre janvier et décembre 1914, ce qui n’empêche pas l’actrice de continuer à tourner chez Gaumont. Lise Laurent est acquittée le 7 décembre 1914 pour circonstances atténuantes et parce que les blessures de Paul Guidé se sont révélées moins graves que les 8 ou 9 balles évoquées par les journalistes de La Gazette des tribunaux et du Petit Parisien. Si cet épisode criminel marque les débuts de sa carrière, cela ne l’empêche pas d’enchaîner les rôles. Elle tourne dix films en 1915 et sept en 1916, depuis Le Rêve d’Yvonne de Georges Denola et Chantecocq, l’espionne de Guillaume d’Henri Pouctal jusqu’à La Fille d’Eve de Gaston Ravel.
Anne Bléger démontre que ce crime passionnel guide la lecture des journalistes, qui créent une sorte de légende noire de Lise Laurent, loin de son parcours professionnel. Dans leurs articles biographiques, tous les clichés du récit mélodramatique sont repris sans distance. Elle est ainsi qualifiée de : « femme sans guide (sic.) obligée de travailler durement dès sa plus tendre enfance » ; « celle qui aima Paul Guidé à la folie » ; « lui dira : "Je te suivrai partout ; il y aura du sang" ». Elle est décrite comme se lançant dans la séduction, se transformant en « riche entretenue ». On la qualifie « d’amie délaissée », de « demi-mondaine ». On évoque son passé lointain, son divorce, l’enfant qu’elle confie à sa grand-mère, elle qui, sans ressource, se serait alors lancée dans la haute galanterie. « Son ex-mari jaloux et violent avait fait feu sur elle, la blessant légèrement. »
Ce n’est qu’au lendemain de l’acquittement que la légende se retourne et évoque son statut de comédienne au Théâtre Sarah-Bernhardt. Elle prend alors en 1918 le nom de scène de Claude Mérelle, qui va se substituer à « Lise Laurent » au générique des Croisades de René Le Somptier en 1919, alors qu’elle est encore « Lise Laurent » dans celui de Au Travail, la série d’Henri Pouctal adaptant Zola la même année. Les deux identités cohabitent même dans la revue Mon Film de décembre 1919, qui montre deux portraits différents de la même actrice comme s’il s’agissait de deux personnes différentes, Claude Mérelle à gauche, Lise Laurent à droite.
Un nouveau basculement de l’opinion et de l’image publique de la comédienne est la révélation apportée dans ses Mémoires par le réalisateur Henri Diamant-Berger. Lors du tournage des Trois Mousquetaires en 1921, il offre le rôle de Milady de Winter à Claude Mérelle et celui du cardinal de Richelieu à la vedette Edouard de Max, qui était précisément l’amant que Paul Guidé allait retrouver en janvier 1914. L’homophobie recouvre alors la misogynie dans le récit de Diamant-Berger : « La bonne entente de règle dans la troupe manque d’être rompue le jour où de Max reconnaît en Claude Mérelle l’ex-Lise Laurent. C’était en effet à cause de lui, dont les mœurs spéciales étaient publiquement affichées, que l’acteur Guidé avait quitté Lise Laurent. Ce pourquoi elle l’avait gratifié de deux balles de révolver qui ne lui firent pas trop de mal. Elle obtint un acquittement triomphal en cour d’assises où ses avocats flétrirent la dépravation de la victime. »
Mais l’image médiatique de femme fatale ou de maîtresse diabolique persiste, et peut se retrouver à l’examen de la liste des rôles qu’incarne la nouvelle Claude Mérelle, depuis la Milady des Trois mousquetaires, prolongeant l’espionne redoutable de Chantecoq, jusqu’à l’indomptable Coréto, la cheffe des bandits de Rapa-Nui dans le film de Mario Bonnard (1927), en passant par la bohémienne maléfique du Roi de Camargue d’André Hugon (1922). Claude Mérelle incarne alors, durant cette période, la rivale machiavélique et perverse de Musidora.
Le texte suivant, signé Paola Palma, a pour objet « le statut et l’image de la presse cinématographique d’Ève Francis dans les années 1920 ». Il met d’abord en valeur le talent aujourd’hui méconnu d’une actrice de théâtre très ouverte aux auteurs modernes, en citant notamment ses interprétations brillantes des pièces de Paul Claudel (L’Otage en 1914, L’Annonce faite à Marie en 1921, L’Echange en 1937). Selon le critique Henri Guillemin, « Ève Francis possédait un sens inné de ce que Paul Claudel avait toujours voulu faire et qu’il avait tout de suite constaté un accord miraculeux et comme substantiel entre la diction de l’actrice et son propre souffle, l’économie sonore de ses propres vers et leur texture secrète. » Grande amie de l’écrivain de son vivant, Eve Francis lui dédiera une biographie, Un Autre Claudel, parue en 1973.
La carrière actorale d’Ève Francis débute en 1909 lorsqu’elle interprète une pièce de Marinetti au Théâtre Marigny, Le Roi Bombance. Lorsqu’en 1913 l’acteur Jean Hervé du théâtre de l’Odéon lui présente Louis Delluc (qui deviendra son compagnon), celui-ci est un jeune poète et critique de théâtre de vingt-trois ans, s’intéressant peu au cinéma. De son côté, Eve Francis est une cinéphile précoce, et en tant que comédienne elle débute sur la toile dans La Dame blonde de Charles Maudu. Viennent ensuite Un homme passe d’Henri Roussel en 1916, Le Roi de la mer de Jacques de Baroncelli en 1917, Frivolité de Maurice Landry en 1918, etc. Sa rencontre avec la cinéaste Germaine Dulac va être décisive pour le versant cinématographique de sa carrière puisqu’en 1918 elle joue dans Le Bonheur des autres en 1918 et surtout dans La Fête espagnole (sur un scénario de Delluc), deux films de cette réalisatrice. Entre temps, Eve Francis initie Delluc au cinéma et lui fait notamment découvrir en 1916 Forfaiture de Cecil B deMille (The Cheat, 1915), un film qui bouleverse le jeune critique et lui révèle les possibilités esthétiques du cinéma.
Eve Francis épouse Delluc en 1918 mais leur union ne durera que quatre ans jusqu’en 1922. C’est dans cette brève période qu’elle devient une vedette de cinéma, notamment grâce aux longs métrages qu’elle interprète pour Delluc : Fumée noire (1919), Le Silence (1920), Fièvre (1921), La Femme de nulle part (1922) et L’Inondation (1924), mais aussi El Dorado (1921) et Prométhée…banquier (1921) de Marcel L’Herbier. Plus tard, Eve Francis devient l’assistante-réalisatrice de Marcel L’Herbier pour dix de ses longs métrages sonores de 1933 à 1939, parmi lesquels L’Epervier (1933), Le Scandale (1933), Le Bonheur (1934), Forfaiture (1937) et La Brigade sauvage (1939). Elle joue un rôle important dans la direction d’acteurs en multipliant les répétitions vocales, notamment pour la diction des personnages et le timbre de leur voix.
Mais la partie la plus méconnue de l’activité touche-à-tout d’Eve Francis est sans doute son rôle dans la presse féministe. Elle rédige ainsi la chronique cinématographique du mensuel La Revue de la femme créée en décembre 1926. Mais elle a publié auparavant d’autres textes et développé ses analyses dans des entretiens, comme en témoigne son recueil, Temps héroïques- Théâtre-cinéma, publié en 1947, livre méconnu que Paola Palma réhabilite à juste titre. Eve Francis ne peut donc se réduire au seul statut de vedette des années 1920 et d’épouse de Louis Delluc. C’est une actrice d’avant-garde tant au théâtre qu’au cinéma, au jeu très moderne, une théoricienne du cinéma et une créatrice féministe. Dans le paysage culturel français des années 1910-1940, elle a tenu une place comparable à celle qu'occupera une Delphine Seyrig dans les années 1960-1990.
La transition entre Eve Francis et Fernandel est assez brutale, l’ouvrage nous faisant alors passer de l’avant-garde des années 1920 à la vedette comique la plus célèbre des années 1930, dont le parcours est analysé dans l’ambitieux article d’Adrien Valgalier. Depuis son modeste rôle de groom vierge dans Le Blanc et le Noir de Robert Florey (1931, d’après une pièce de Sacha Guitry) à celui de L’Héritier de Mondésir d’Albert Valentin (1939), Fernandel a joué dans quarante-trois films en dix ans, et il est alors devenu une très grande vedette comique, statut qu’il conservera jusqu’à la fin de sa carrière et son décès en 1971 après plus de cent trente films. Il fait partie du petit groupe d’acteurs l’unissant à Louis de Funès, Bourvil, et Jean Gabin qui ont pu réunir plus de 100 millions de spectateurs en salles lors de leur carrière.
S’appuyant sur les données statistiques de fréquence du nom de l’acteur dans la presse de la décennie 1930, Adrien Valgalier distingue trois périodes dans cette ascension : « 1931-1933, les débuts prometteurs » ; « 1934-1936, la reconnaissance » ; « 1937-1939, la consécration ». Il affirme d’emblée que la carrière artistique de Fernandel se distingue par la constance de sa persona, c’est-à-dire de la relation étroite entre son jeu à l’écran, son identité en tant qu’individu et son type de personnage. Il remarque que dans les médias, Fernandel est fréquemment confondu avec ses personnages, d’un film à l’autre, « oscillant entre le simplet et le bon vivant à la faconde intarissable ». C’est le rôle d’Isidore dans Le Rosier de Madame Husson de Bernard-Deschamp qui attire l’attention des critiques en 1931, alors que Fernandel a déjà interprété quatre films sous la direction de metteurs en scène réputés, Le Blanc et le Noir donc, On purge Bébé de Jean Renoir, Paris Béguin d’Augusto Genina et Cœur des lilas d’Anatole Litvak. Dans Paris Béguin, qui se passe dans le milieu du music-hall, Fernandel est un petit truand alors complice d’un cambrioleur incarné par Jean Gabin, qu’il retrouve dans Cœur des lilas.
Ces rôles inauguraux succèdent à un début de carrière très précoce comme chanteur de music-hall et animateur de numéros dans les cabarets et salles de spectacles de Marseille puis de Paris. Fernandel se situe dans la tradition du comique troupier d’artistes comme Gaston Ouvrard et Bach avec lesquels il partage des scénettes burlesques et un grand succès populaire. Il retrouve d’ailleurs Ouvrard dans Les Bleus de la Marine en 1934 et Bach dans Le Train de 8 heures 47 la même année. Il prolonge cette veine troupière par toute une série de films comme Les Gaîtés de l’escadron avec Raimu et Jean Gabin (Maurice Tourneur, 1932), Le Coq du régiment avec Charles-Prince Rigadin dans son dernier film (Maurice Cammage, 1933), La Garnison amoureuse avec Pierre Brasseur et Raymond Cordy (Max de Vaucorbeil, 1933).
Après Le Rosier de Madame Husson, film matriciel, la seconde période de reconnaissance du talent de Fernandel se déroule entre 1934 et 1936, trois années au cours desquelles son talent d’acteur est célébré, tant comme comique que dramatique, grâce notamment à sa composition du personnage de Saturnin le valet de ferme d’Angèle en 1934. Il prolongera cette collaboration avec Marcel Pagnol dans Regain (1937) puis Le Schpountz (1938), l’un de ses plus grands rôles. Ces deux derniers films appartiennent à la période de la consécration de Fernandel devenu grande vedette, entre 1937 et 1939, moment où il intervient dans des films à grand succès, comme François 1er, Les Dégourdis de la 11ème, deux films de Christian-Jaque, après Un de la légion et Josette, puis Les Rois du sport de Pierre Colombier et Les Cinq Sous de Lavarède, de Maurice Cammage. En 1939, il retrouve Michel Simon avec Arletty dans Fric Frac que réalisent Maurice Lehman et Claude Autant-Lara, l’un des films les plus drôles de la décennie où Fernandel incarne un employé de bijouterie rencontrant à l’occasion d’une course cycliste un couple exubérant à l’allure canaille, Jo et Loulou (Michel Simon et Arletty) qui mettent en valeur les dialogues écrits en argot par Michel Duran.
Comme le précise Adrien Valgalier tout au long de son texte, cette ascension fulgurante est suivie de près par la presse quotidienne et hebdomadaire qui multiplie les appréciations favorables commentant son visage, son sourire chevalin, et son accent marseillais (« Fernandel, la tête chevaline, les dents longues dans une bouche généreuse, les yeux aux stupeurs opaques possède un excellent physique », écrit Louis Léon-Martin dans Le Petit Parisien en 1930). Les journalistes s’intéressent à sa biographie qu’ils reconstituent en reprenant les anecdotes offertes par l’acteur lui-même, comme son attitude lors d’un procès en diffamation de l’un de ses anciens patrons. Toute la presse participe à cette fabrication de la vedette, comme l’indique la diversité des titres cités dans l’article, réunissant Le Matin, l’Intransigeant, Le Petit Parisien, Le Petit Marseillais, Comoedia, l’Echo d’Alger, Paris Soir, Ce soir, La Petite Gironde, Le Populaire, etc.
Dans un entretien paru dans Le Matin, Fernandel indique que « dans un film particulièrement dramatique comme La Porteuse de Pain, le rôle d’un comique consistait surtout à distraire un peu l’esprit du spectateur » . On remarquera toutefois une hiérarchie esthétique sélective reprise d’articles en articles, valorisant les rôles sérieux de l’acteur chez de grands auteurs, tel Marcel Pagnol, et un certain mépris de classe pour les films trop populaires issus du comique troupier, alors qu’ils témoignent d’une forme de populisme à la source du succès de la vedette. Revus aujourd‘hui, La Garnison amoureuse, Le Coq du régiment, Nuits de folies, Les Bleus de la marine, Les Rois du sport et Fric-Frac retrouvent un pouvoir burlesque assez paradoxal. Ils permettent de mieux apprécier les essais d’Irénée Fabre prononçant l’article du code civil « Tout condamné à mort doit avoir la tête tranchée », selon les tons les plus divers, dans l’un des moments les plus connus du Schpountz, un sommet de l’art de Fernandel.
Trois vedettes « cosmopolites »
Dita Parlo est une actrice allemande née à Stettin dans l’Empire allemand en 1908. Douée pour les langues étrangères, elle parlait aussi bien l’allemand, le hongrois, l’anglais, le français et l’espagnol, nous apprend Solène Monnier, citant Jean Giltène et son article de 1938, « Mlle Dita Parlo, vedette lettrée » . Elle suit les cours de l’École d’art dramatique de la UFA à Babelsberg, en même temps que des cours de danse, d’escrime et de patinage. Elle décroche un premier rôle dans une opérette La Dame au masque en 1928 (réalisée par Wilhelm Thiele), puis enchaîne trois films : Le Chant du prisonnier de Joe May, dans lequel elle a le rôle féminin principal, puis Shéhérazade d’Alexandre Volkoff et Rhapsodie hongroise d’Hans Schwarz.
Schwarz l’intègre ensuite dans le premier film allemand parlant, La Maladie du cœur, dans lequel elle interprète le rôle d’une jeune campagnarde hongroise venue à Budapest : devenue femme de chambre et séduite par un militaire elle perd son emploi et en retrouve un dans une boîte de nuit. Ce scénario préfigure celui de L’Atalante où l’on retrouve une campagnarde allant visiter Paris. En 1930, Julien Duvivier lui donne le rôle de la jeune héroïne dans Au bonheur des dames, adaptant le roman d’Emile Zola pour son dernier film muet. Dans Manolesco, prince des sleepings (1930) de Victor Tourjanski, elle a pour partenaire Ivan Mosjoukine et Brigitte Helm qui sont déjà des vedettes. À l’ère des versions multiples, elle interprète ensuite à Hollywood les versions allemandes de plusieurs films dans des mises en scène signées William Dieterle, Lloyd Bacon ou Paul Fejos, fait une croisière en Orient puis joue dans Mr Broadway de Johnny Walker en 1933.
C’est l’année suivante que commence véritablement sa carrière française, avec L’Atalante de Jean Vigo et Rapt de Dimitri Kirsanoff en 1934. Elle voyage à nouveau avant de participer à La Grande Illusion en 1937 et d’enchaîner sur sept films français : L’Affaire du courrier de Lyon (Autant-Lara), Mademoiselle Docteur ou Salonique nid d’espions (G. W. Pabst), L’Inconnue de Monte-Carlo (André Berthomieu), Paix sur le Rhin (Jean Choux), Ultimatum (Robert Siodmak), La Rue sans joie (André Hugon) et l’Or du Cristobal (Jacques Becker). La sortie de tous ces titres est accompagnée d’articles de presse rappelant les débuts de la carrière de la comédienne, avec une trajectoire d’actrice européenne avant tout franco-allemande, et une parenthèse américaine bien remplie. Dans ses interviews, Dita Parlo se déclare parisienne de cœur, et en janvier 1933, internationale par ses longs voyages. Au moment de l’hitlérisme, elle ne retourne pas en Allemagne pendant trois ans et s’autorise à commenter (prudemment) l’actualité politique de ce pays, ce qui est rarissime à cette époque pour une actrice de cinéma.
Solène Monnier décrit Dita Parlo comme une étoile qui ne cherche pas à briller, une personnalité intelligente et curieuse qui a le goût de l’écriture, désire publier des romans, et compose des vers pour le plaisir. Elle dit fuir les mondanités, désire se retirer à la campagne, être une petite paysanne et labourer la terre. C’est aussi l’une des rares actrices capables d’aborder les grands sujets politiques et sociaux. À l’écran, elle transforme rapidement son image initiale d’ingénue pour aborder des rôles de femme de marinier, de paysanne veuve, d’espionne, de jeune autrichienne dont le mari est emprisonné. La plupart de ses rôles, à partir de Rapt jusqu’à La Rue sans joie où elle reprend le rôle de Greta Garbo, livrent une vision très noire de l’inégalité des classes sociales et de l’exploitation des femmes. Sa carrière s’interrompt en 1940, et elle ne jouera plus que dans deux films, Justice est faite d’André Cayatte en 1950, et La Dame de Pique de Leonid Keigel en 1965, d’après la nouvelle de Pouchkine. La raison principale en est son attitude controversée pendant l’occupation et les problèmes qui ont suivi jusqu’au « non-lieu » de 1949.
Ivan Mosjoukine est, sans aucun doute, l’une des plus grandes stars internationales des années 1920 mais son triomphe s’est concentré sur une période assez courte, comme le démontre le texte de Myriam Tsikounas à partir de l’analyse de la presse entre 1920 et 1926, lors de son arrivée en France, puis son départ aux États-Unis où son expérience est très décevante auprès de l’Universal. Le premier mérite de ce chapitre est de démystifier les anecdotes développées autour de son départ de Crimée jusqu’à son arrivée à Marseille puis à Paris. Myriam Tsikounas confronte ainsi sa « biographie de papier » avec sa biographie de documents vérifiés qu’elle reproduit : attestation officielle de réforme, autorisation de se rendre à Paris, via Constantinople en 1917, certificat d’hôtelier à Marseille, etc.
Lorsque Mosjoukine commence une nouvelle carrière en 1920 aux studios de Montreuil, il a déjà derrière lui une décennie bien remplie d’interprétations théâtrales, plus d’une vingtaine de pièces dans des villes de régions différentes de l’Empire russe et près de cent-vingt films, dont les derniers réalisés par Iakov Protazanov l’ont fait connaître hors des frontières, notamment en France, avec des films comme La Dame de pique (1916) et Le Père Serge (1917). La liste des pièces jouées et des films a été établie par le dépouillement systématique des revues de programmes en langues russes conservées au fonds du RGALI (Archives d’Etat de la littérature et de l’art à Moscou). Sa trajectoire familiale et professionnelle est décrite avec précision, illustrée par une photo de groupe en 1912 où Mosjoukine est présent avec Olga et Alexandre Téléguine-Zarechni, de la troupe théâtrale itinérante venue à l’hiver 1907-1908 à Penza. Il va alors les suivre et faire les premiers pas de sa carrière.
La première partie du texte détaille ainsi la biographie de l’acteur depuis sa naissance jusqu’à son départ aux États-Unis en 1926. Il est situé dans sa famille, le plus jeune des quatre fils, avec un frère chanteur d’opéra au Bolchoï. Sa ville de naissance, Penza, est riche en théâtres et il suit une troupe ambulante dès la fin de ses études de 1908 à 1912. Sa carrière d’acteur démarre à Moscou en 1911 quand il entre aux studios Khanjonkov où il devient l’ami de Tourjanski. En 1914, il a déjà joué dans 40 films ; il entre alors au Théâtre dramatique de Moscou où il reste jusqu’en 1917. Il devient « la star des studios Ermoliev et sa poule aux œufs d’or ». À partir de 1915, il écrit quelques scénarios comme Grimaces dans la Grande ville (1915), Le Procureur (1916) et Les coulisses de l’écran (1917).
En 1918, il suit la troupe d’Ermoliev à Yalta en Crimée où celui-ci construit des studios. Devant l’aggravation de la situation militaire, la troupe d’Ermoliev quitte Yalta pour Constantinople puis Marseille en mars 1920. Mosjoukine y reste seul quelque temps avant de rejoindre Ermoliev aux studios de Montreuil en juin. Pendant le périple entre Yalta et Marseille, la troupe réalise le film L’Angoissante aventure en convoquant les décors des lieux traversés (Sébastopol, Constantinople, Marseille, Paris), avec Mosjoukine et Nathalie Lissenko comme acteurs principaux. Mosjoukine reste ensuite trois ans et demi dans les studios de Montreuil et ne ménage pas sa peine ; il est sur tous les fronts, acteur, scénariste, réalisateur, enseignant et présent dans tous les genres, film unitaire, film à épisodes, comédie, drame, fiction historique et anticipation. Avec Kean, désordre et génie réalisé par Alexandre Volkoff en 1924, il atteint le sommet de sa carrière et de sa célébrité.
La deuxième partie du chapitre est consacrée à l’analyse des articles de presse consacrés à Mosjoukine, avec un double mouvement. La première phase est celle de l’ascension dans la construction du vedettariat avec l’expression d’une admiration sans limite pour un acteur considéré « comme l’un de nos plus parfaits artistes et l’égal des plus grands, Chaplin, Frédéric Lemaître, Severin Mars ou Sarah Bernhardt ». La seconde phase est celle de la remise en cause, à partir de la fin 1924. La vedette des films Albatros venue de Russie est notamment victime de la presse d’extrême droite et de la xénophobie qu’elle développe. Mais il est maintenant admiré par le grand public, par-delà le cercle des cinéphiles. Cette consécration est confirmée par un festival au Vieux Colombier consacré à ses films. La presse va alors s’intéresser à l’homme et sa vie quotidienne, à ses lieux festifs de prédilection et à ses automobiles. Il est alors présenté comme un Russe Blanc, avec une insistance sur son charme slave, et relié à ses compatriotes célèbres tels Chaliapine et les danseurs des ballets russes de Diaghilev.
Le dernier texte du volume concerne une actrice franco-américaine née Liliane Carré à Blaye en Gironde en 1904 et morte à Palm Beach en Floride en 1994 à près de 90 ans. Elle a pris le pseudonyme de Lily Damita vers 1923 au début de sa carrière de jeune actrice, mais en a utilisé quelques autres comme Damita Del Maillo Rojo ou Lily Sesly. Elle est d’abord danseuse de cabaret à Paris, obtient le prix d’un concours de beauté dans Cinémagazine en 1921 et tourne ses premiers films en 1922. Corinne François-Denève se demande d’emblée « Qui connait de nos jours Lily Damita ? » Peu de lecteurs sans doute, même parmi les cinéphiles. Sa carrière se déroule entre 1921 et 1937 dans trois pays, la France jusqu’à 1924, l’Allemagne entre 1925 et 1928 (période qui la consacre comme « vedette européenne »), puis les États-Unis entre 1929 et 1936, avant un retour en France pour L’Escadrille de la chance tourné aux studios de la Victorine en 1937 avec André Luguet, sur un scénario de Jean-Michel Renaitour (un député connu des historiens pour avoir publié en 1937 un rapport parlementaire intitulé Où va le cinéma français ?)
Les périodes française et allemande de sa carrière sont aujourd’hui largement oubliées. Les débuts en France ne durent que trois ans entre 1922 et 1924, mais l’actrice, après deux films courts, est aussitôt engagée dans deux séries de six et douze épisodes, L’Empereur de pauvres de René Leprince, puis La Fille sauvage d’Henri Etiévant en 1922. Elle tourne en 1924 avec Sarah Bernhardt et Harry Baur La Voyante réalisé Léon Abrams, sur une idée de Sacha Guitry. Le film est réalisé dans l’hôtel particulier de la célèbre actrice de théâtre, qui meurt avant la fin du tournage.
Lily Damita est ensuite engagée par le réalisateur hongrois Mihàly Kertész (futur Michael Curtiz) pour tourner un premier film en Autriche produit par la Sascha Films, Célimène, la poupée de Montmartre. Le film connaît un grand succès et permet à Lily Damita d’interpréter deux autres films de Kertèsz, Le Fiacre N. 13, puis Papillon d’or en 1926, deux films de G. W. Pabst, Le Cas du professeur Mathias et On ne badine pas avec l’amour avec Werner Krauss, puis trois films de Robert Wiene, La Danseuse passionnée, La Grande aventurière en 1927 et Tu ne mentiras pas en 1928 ; enfin La Nuit nuptiale (The Queen Was in the Parlor) réalisé par Graham Cutts. Soit neuf longs métrages dirigés par certains des plus grands réalisateurs européens du cinéma muet.
Cette réussite amène Samuel Goldwynn à proposer à Lily Damita un contrat pour les États-Unis, où elle va tourner aussitôt un film américain avec Ronald Colman comme partenaire. Ce film réalisé par Herbert Brenon, d’après un roman de Joseph Conrad, s'intitule Le Forban (The Rescued) en 1929. C’est le troisième volet des aventures du capitaine Lingard, interprété par Ronald Colman, dans une île au large de Bornéo, après La Folie Almayer et Un paria des îles. Lily Damita y incarne une riche anglaise dont le yacht s’échoue devant Bornéo et qui va pertuber les projets du capitaine.
L’actrice va tourner dix-sept films à Hollywood. Parmi ces titres, on peut relever Le Pont du roi Saint-Louis (The bridge of San Luis Rey) de Charles Brabin avec Don Alvarado, qui adapte un roman de Thornton Wilder autour de la biographie du vice-roi du Pérou et de sa favorite Camila, La Périchole, une chanteuse d’opéra qu’interprète brillamment Lily Damita. Dans Têtes brûlées (The cock-eyed world) de Raoul Walsh, deux sergents en mission Flagg et Quirt (Victor McLaglen et Edmund Lowe) multiplient les aventures amoureuses sous les Tropiques et rencontrent son personnage de la belle Mariana Elenita au caractère redoutable. Soyons gais est la version française d’une comédie musicale de Robert Z. Leonard avec Norman Schearer que réalise d’Arthur Robison. Lily Damita repend le rôle de Norma Schearer, Adolphe Menjou celui de Rod La Rocque et Françoise Rosay celui de Marie Dressler. Dans La Grande caravane (Fighting Caravans ) de David Burton et Otto Brower, Gary Cooper est Clint Belmet un chef de convoi de charriots traversant le continent vers l’ouest californien. Lily Damita est Felice une jeune Française conduisant seule avec courage l’un de ses charriots.
Une heure près de toi (One Hour with You, 1932) d’Ernst Lubitsch est le remake parlant de son film muet Comédiennes (The Marriage Circle, 1924) sur les chassés croisés amoureux. Maurice Chevalier et Jeannette MacDonald interprètent le couple du docteur Bertier et sa femme Colette dans les deux versions françaises et américaines. Lily Damita y reprend le rôle de Mitsy Olivier que jouait Geneviève Tobin, la meilleure amie de Colette, qui tente de séduire le docteur Bertier. L’actrice s’adapte parfaitement au jeu de Maurice Chevalier et contribue à la réussite esthétique du film par la vivacité des dialogues et le rythme musical. Le film est un grand succès public. Lily Damita tourne également dans cette période deux films en France, le premier dirigé par Max Ophuls, On a volé un homme (1933), et son dernier, L’Escadrille de la chance (sortie 1938). Elle épouse un Errol Flynn à l’époque moins connu qu’elle en 1935, et fait bientôt le choix de ne plus jouer afin d’élever leur fils Sean, né en 1941.
Il est bien difficile d’établir une biographie plus précise de cette star oubliée. Comme le précise Corinne François-Denève, c’est « une vie en coupure de presse ». Elle n’a pas écrit de journal, ni de souvenirs. Il y a peu de témoignages sur elle en dehors des potins de presse. On sait qu’elle a gagné un concours de beauté et que celui-ci lui a permis de jouer dans un premier film court. Certains articles la font naître à Paris. On invente des ascendances fantaisistes comme matière romanesque en Espagne ou au Portugal. Les articles insistent sur ses voyages et sa connaissance des langues, mais se moquent de ses accents. Sa carrière autrichienne et allemande reste très méconnue alors que c’est Célimène la Poupée de Montmartre qui la rendue célèbre.
Elle a été la compagne de Mihàly Kertész quelques années et c’est la principale information qui ait circulé. Elle est décrite comme une danseuse et une actrice sensuelle, une comédienne méritante dont le talent est souvent ramené à ses jambes qualifiées de « spirituelles » dans Cinémonde. Quelques faits divers circulent à son sujet, comme l’éviction d’une table de jeu à l’âge de seize ans, un accident automobile qu’elle provoque renversant un piéton à Paris, une bagarre contre une rivale trop entreprenante dans une boite de nuit à Cuba, une relation avec le Prince de Prusse : bref, des rumeurs successives relevant de la rubrique du courrier des lecteurs des magazines populaires. Reste sa trentaine de films à redécouvrir, notamment L’Attaque de la caravane, facile à voir sur YouTube, est un bon western des débuts du parlant où elle forme un couple convaincant avec Gary Cooper dans une belle épopée de la conquête de l’Ouest digne de Big Trail de Raoul Walsh, ou encore Une heure près de toi, un des plus grands Lubitsch.
En conclusion de lecture de cet ouvrage collectif, il faut relever la richesse des index rédigés par Myriam Tsikounas qui apportent des informations très utiles : une biographie succincte des principaux critiques de la période de l’entre-deux-guerres (plus de cent) ; une liste des revues de cinéma citées, avec un résumé de dix lignes les caractérisant, une liste des auteurs des articles et des résumés, des index des films et des pièces de théâtre cités, et des noms propres. Un beau travail éditorial, qui montre tout l’intérêt de l’exploitation des articles de la grande presse pour mettre en évidence la manière dont sont médiatiquement construites les vedettes de cinéma.