« Le Salon vert » nous propose une immersion dans le Palais de l’Élysée et nous fait découvrir l’architecture et l’histoire politique de l’une de ses pièces les plus intrigantes.

Le Salon vert nous immerge dans l’ambiance du Palais de l’Élysée. Dans leur livre écrit à quatre mains, la journaliste Marie-Béatrice Baudet et l’historien David Gaillardon consacrent une dizaine de rubriques – rattachées alternativement à l’histoire politique, à l’art et l’architecture – à l’analyse d’un lieu hautement historique mais largement inconnu du grand public. Compilation de paroles rapportées, souvent collectées auprès d’anciens collaborateurs ou de proches des présidents successifs, et anecdotes sur la vie privée quotidienne du Palais rythment le propos. Les petits chapitres se succèdent, sans autre lien entre eux que celui de se rattacher géographiquement, mais mollement, au Salon vert.

Le Salon, qui a acquis sa couleur verte sous la IIIe République, est situé au premier étage du Palais de l’Élysée. « D’une trentaine de mètres carrés », cette petite salle adjacente au bureau du président de la République (le Salon doré) se différencie des autres pièces du Palais « par sa couleur pastel ». Sa décoration, comme sa fonction, auront largement évolué au fil du temps, entre salon de mariage, mausolée temporaire et lieu de réunion stratégique sur l’avenir du pays. Les têtes couronnées s’y seront succédées en maintes occasions officielles comme officieuses, la dépouille de Paul Doumer, assassiné en 1931 par un réfugié russe, y aura été temporairement exposée et Gaston Doumergue et Nicolas Sarkozy s’y seront respectivement mariés dans la plus parfaite discrétion. Sa vocation première étant dorénavant moins hôtelière que stratégique, le lieu intrigue l’observateur. Pour les deux auteurs, le Salon vert est devenu « le pré carré du président », un lieu « crucial » et stratégique « dans lequel les décisions qui ont été prises ou s’y prennent encore ne peuvent qu’engager le destin de la France » en accord avec sa couleur, le vert, « couleur du destin ».

Les multiples changements d’affectation

L’analyse la plus intéressante du livre est incontestablement contenue dans les quelques chapitres dédiés à l’histoire des lieux. Les deux auteurs remontent en effet jusqu’en 1720 quand, sous la régence de Philippe d’Orléans, est achevé un hôtel particulier sis en limite du Faubourg Saint-Honoré ; il est destiné au comte d’Évreux. Il ne le sait pas encore, mais sa « maison de ville » connaîtra un destin exceptionnel qui suivra l’histoire constitutionnelle – monarchique, impériale et républicaine – de la France. Après être passé entre des mains fameuses sous l’Ancien Régime (La Pompadour notamment), l’ancien hôtel d’Évreux sera achevé par Joachim Murat et son épouse Caroline Bonaparte (la sœur de l’Empereur). Il traversera la période révolutionnaire, les émeutes de la Commune et les deux Guerres sans subir de réel dommage. Tour à tour lieu de distraction (d’aucuns diront même maison de plaisirs), simple pied-à-terre, lieu de villégiature ou parc de logements privés, le Palais voit sa vocation politique définitivement assise sous la Seconde République. Il faudra cependant attendre la IIIe République pour qu’un président, le maréchal de Mac Mahon, loge à plein temps à l’Élysée.

Le Salon Vert, lui, n’est pas central immédiatement. Après avoir été le QG des aides de camp de l’Empereur Napoléon III, il servira un temps d’appartement d’appoint pour recevoir les souverains étrangers (et accueillera par exemple en 1948 Elisabeth, alors princesse d’Angleterre) avant que cet usage ne soit définitivement supprimé par le général de Gaulle. Modernisé par spores au fil du temps – l’électricité y est installée en 1889, le chauffage central en 1932, internet en 2022 –, l’ancien salon d’étage du XVIIIe siècle est aujourd’hui une pièce importante du Palais. Comme le soulignent les deux auteurs, il a « enfin épousé son temps » et est littéralement devenu, au cours du XXe siècle, « l’antichambre du pouvoir ». En effet, situé au plus près de l’aile ouest, « l’aile du pouvoir » par mimétisme avec la West Wing de la Maison blanche, ses portes communiquent directement avec le bureau présidentiel. Pour l’anecdote, il sera occupé pendant dix ans par Jacques Attali, conseiller spécial du président Mitterrand, puis à son départ par sa remplaçante Anne Lauvergeon. Il sera ensuite le lieu de prédilection de François Hollande lorsqu’il devra « enfiler ses habits de chef de guerre » : il y tiendra ses nombreux Conseils de défense, devenus hebdomadaires en raison du contexte sécuritaire tendu lors de son quinquennat. Emmanuel Macron, lui, à l’instar du général de Gaulle, l’utilise plutôt pour « gouverner en format réduit » ; s’y déroulent désormais les réunions ministérielles.

Une décoration étonnante

Plusieurs sections plaisantes du livre de Marie-Béatrice Baudet et David Gaillardon sont dédiées à la décoration de la pièce. Sa configuration actuelle émane de la campagne de rénovation de l’Élysée lancée sous le Second Empire. Le Salon y est embelli et « décoré dans le style Louis XV » par le peintre Jean-Louis Godon et le sculpteur Ovide Savreux, qui n’hésiteront pas à incruster sur les boiseries qui ornent la pièce des panneaux à motifs pompéiens. Sa viridité actuelle provient d’un choix de l’impératrice Eugénie. Si elle affectionne particulièrement le vert tilleul, choisir cette couleur pour décorer ce qui aurait dû être sa salle à manger apparaît à l’époque « transgressif », notamment en raison d’une rumeur colportée depuis l’Allemagne ; le pigment vert, fabriqué industriellement à partir de copeaux de cuivre dissous dans l’arsenic, pourrait bien empoisonner les occupants des lieux en s’évaporant. On optera plus sagement pour le jaune pour décorer le reste de l’Élysée.

On apprend également, au détour d’un chapitre, l’histoire du « Phaéton sur son char », la pendule qui a succédé en 2019 à « Minerve » sur la cheminée de marbre blanc du Salon vert, ou encore quelques anecdotes sur Éléphantasque, la singulière table à huit pieds et plateau de bois signée Kristian Gavoille, qui occupe aujourd’hui, de façon pérenne, le centre de la pièce. Conçue par le designer en 1995 à la demande du Mobilier national, le « pachyderme stylisé » a d’abord eu pour fonction d’accueillir les réunions des membres de la Commission d’avance sur recettes du Centre national du cinéma et de l’image animé. La table, « sécable avec un trou en son centre afin de symboliser un meuble "ouvert" comme le débat doit l’être » est finalement livrée au Palais de l’Élysée en décembre 2019 ; ce sera la table de conférence du Salon vert. Auparavant, la pièce ne disposait pas de mobilier permanent et quand un président souhaitait y tenir une réunion, on dressait à la hâte un plateau en bois sur des tréteaux recouvert d’une feutrine de couleur verte.

Un lieu d’intrigues politiques

Tout au long du livre, Marie-Béatrice Baudet et David Gaillardon scénarisent les lieux. L’analyse politique de la gestion de la crise des gilets jaunes par le président de la République en est un exemple topique ; le Salon vert ne s’y rencontre que géographiquement, dans une sorte de mise en scène de la décision politique. On peut lire également que « les doubles portes étouffent le bruit des conversations, le tic-tac de sa pendule rythme les réunions cruciales qui s’y tiennent, à l’abri des regards. Sur la table longtemps recouverte d’une feutrine verte, les dossiers brûlants de la République ». Le rattachement direct des événements politiques relatés au sein du livre avec le Salon vert est alors ténu par endroits et obtenu, nolens volens, par le truchement d’historiettes éculées. Plus généralement d’ailleurs, le registre du livre est essentiellement dramatique, à l’instar de la description scénarisée d’une réunion de crise en introduction – les auteurs parlent de « men in black » aux « costumes-cravates aussi sombres que leurs regards ». Les auteurs se fendent aussi d’une description, courant sur plusieurs pages, des séances de relecture des discours par les présidents de la Ve République. Ils y détaillent l’ambiance « bon enfant » qui règne le samedi dans le Salon vert sous la présidence de Jacques Chirac, « fervent adepte de la méthode Flaubert » (le gueuloir), qui tranche avec les séances cauchemardesques de relecture de François Mitterrand.

Écrire un livre sur le Salon vert n’est finalement qu’un prétexte pris par les deux auteurs pour balayer, en une centaine de pages, quelques grands moments de la vie privée des locataires de l’Élysée. Grâce à (ou à cause de) la multiplication des anecdotes, on en apprend finalement plus sur l’ambiance générale du Palais et les petites manies des dirigeants français que sur les fonctions historiques de ce lieu de pouvoir stricto sensu. De longues pages sont par exemple consacrées au mariage de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy. Et si on ne compte plus les livres sur le sujet des lieux de pouvoir, ces espaces qui intriguent autant qu’ils fascinent, il est malheureusement difficile de trouver dans le livre de Marie-Béatrice Baudet et David Gaillardon la richesse d’une documentation puisée dans des sources nouvelles. Sur la forme comme dans le fond, l’approche des deux auteurs est par trop journalistique et on regrettera quelques longueurs digressives lorsque les deux auteurs relatent certaines anecdotes – comme le chapitre quasi entier consacré au décryptage de la démission de Nicolas Hulot ou la retranscription un peu burlesque d’un échange téléphonique entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky quelques heures après l’invasion de l’Ukraine par les russes.