Laure Adler rend hommage à Agnès Varda dans un essai biographique illustré par 150 photos inédites issues des archives de l’artiste : magnifique !
Agnès Varda est à l’honneur cet automne, avec l’exposition « Viva Varda ! » à la Cinémathèque française (11 octobre 2023-28 janvier 2024) et la diffusion sur le site d’Arte d’un grand nombre de ses films et d’un documentaire de Pierre-Henri Gibert consacré à cette figure inclassable dont toute l’œuvre compose une sorte d’autobiographie en éclats. Que ce soit au cinéma, dans la photographie ou dans les arts plastiques, les œuvres d’Agnès Varda mêlent son immense créativité, ses engagements féministes et sa vie de femme qui travaille sans cesse et fait jouer ses enfants dans ses films. Sa fantaisie est aussi teintée d’une mélancolie dont témoigne entre autres La Pointe courte (1954), son premier film, tourné à Sète, avec l’héritage de son père, grand industriel belge qu’elle n’aimait pas et dont la mort représenta pour elle une aubaine ; dont témoigne, aussi, Cléo de 5 à 7 (1961), où une jeune chanteuse très belle, qui attend les résultats d’un examen médical, erre dans Paris, hantée par la mort, mais ouverte à la vie et aux autres au cours de sa déambulation en temps réel.
Le regard d’une amie de longue date
Laure Adler, journaliste, historienne, écrivaine et productrice à Radio France, a bien connu Agnès Varda et a passé du temps avec elle dans la célèbre maison-atelier de la rue Daguerre. C’est de cette maison que Varda filma son documentaire Daguerréotypes en 1975 : après la naissance de son fils Mathieu, en effet, elle ne pouvait s’éloigner de son foyer que de la distance d’un câble. Le titre est aussi un clin d’œil à l’inventeur de la photographie, qui fut le premier métier d’Agnès Varda : après avoir décidé de changer son prénom de naissance (Arlette), elle passa un CAP de photographie et choisit de mener une vie libre, loin du destin que lui réservait sa famille bourgeoise d’industriels belges.
Le livre de Laure Adler permet justement de suivre Agnès Varda quand elle décide de bifurquer pour éviter ce destin tracé d’avance. Quand l’exode conduit les Varda à Sète, la famille vit sur un bateau en face de la maison des Schlegel, dont les trois filles auront une influence déterminante sur la jeune femme. Grâce à l’aînée, Andrée, qui épousera Jean Vilar, elle deviendra photographe de plateau au festival d’Avignon et découvrira le travail d’une troupe et la nécessité d’un art populaire exigeant. Avec la sculptrice Valentine Schlegel, elle vivra une histoire d’amour, loin des contraintes et des conventions sociales.
Laure Adler retrace le parcours exceptionnel d’Agnès Varda, qui ne fut pas seulement témoin de son temps, mais sut s’engager pour les plus précaires, les marginaux, les révoltés, comme dans son film Sans toit ni loi (1985), qui remporta le Lion d’or à la Mostra de Venise et valut à Sandrine Bonnaire le César de la meilleure actrice. C’est une veine qu’elle illustre encore dans Les Glaneurs et la glaneuse (2000), à l’aide d’une caméra numérique qui lui permet d’être au plus près de ceux qu’elle interroge et qui deviennent les héros de son film. Son travail de plasticienne est également bien mis en valeur dans ce portrait sensible et très informé qui explore tous les aspects de sa vie et de son œuvre en éclairant l’esprit d’une époque et l’évolution des mentalités.
Les archives inédites de l’artiste ouvertes par sa fille Rosalie
Ce livre très riche à lire est également un album à feuilleter pour le plus grand plaisir de l’œil, grâce à plus de 150 photos inédites issues des archives personnelles d’Agnès Varda, qui travaillait sans cesse, avait un regard très singulier et une créativité sans bornes qui lui permit de créer son propre univers. C’est ainsi que le lecteur tombera sous le charme de Jacques Demy et Agnès Varda, photographiés par Rosalie Varda à Noirmoutier au début des années 1970, à côté de tournesols qui rappellent le film Le Bonheur (1964). La photographie d’enfants chinois, prise en 1957, avec lunettes d’aviateur et masques, semble annoncer les images inimaginables de la pandémie de Covid. Les photographies des mains complices, un des derniers projets de l’artiste, en 2019, sont particulièrement émouvantes, puisqu’il s’agit de mains de personnes qui s’aiment, photographiées par celle qui affirmait : « Que reste-t-il à la fin ? L’Amour. » Et surtout : « Il n’y a qu’un seul âge : vivante ! »
Ce très beau livre ne fait pas mystère de la détermination d’Agnès Varda dans son travail de création, qui pouvait avoir quelque chose d’âpre et de brutal pour ses équipes. C’est sans doute à ce prix qu’elle a pu se faire une place exceptionnelle dans la photographie, le cinéma et les arts plastiques, se renouvelant sans cesse, pour inspirer aujourd’hui de jeunes artistes qui puisent dans son parcours la liberté d’être soi, sans jamais renoncer, malgré les obstacles et les projets avortés.