Coécrit avec ChatGPT, le livre d’Alexandre Gefen s’attaque à l’intelligence artificielle générative, qui devient à la fois sujet d’une étude approfondie et agent narratif.

ChatGPT permet de faire une synthèse express, en quelques secondes, en s’appropriant et compilant de nombreuses données. Mieux que cela, cette technologie permet – en l’absence de la création d’une nouvelle entité juridique – de reprendre toutes ces informations à son compte sans être légalement responsable (n’étant pas une personne physique ou morale) : « Avec l’intelligence artificielle, le savoir humain peut-être digéré et retraduit à l’infini, permettant à chacun de se le réapproprier magiquement », nous dit Alexandre Gefen dans son ouvrage Vivre avec ChatGPT. Quelle aubaine ! N’est-ce pas le rêve de tout plagiaire ? Quoiqu’imparfaite – il lui manque d’être en symbiose avec l’information vive et l’actualité –, cette nouvelle technologie est en mesure de régurgiter des propos lissés d’une grande clarté pédagogique sur un mode consensuel et politiquement correct.

Porté par une frondeuse ambition, Alexandre Gefen parle avec passion de cette invention pour laquelle il semble avoir une certaine tendresse. Bien qu’elle en soit à ses balbutiements – on peut comparer son stade actuel aux premières tentatives du traducteur Google, lorsque tout le monde s’amusait à voir une expression idiomatique traduite mot pour mot, donnant souvent lieu à des cocasseries divertissantes –, son quatrième modèle (GPT-4) a déjà paru, nourri des avancées régulières qui ont ponctué le domaine de l’intelligence artificielle au cours des dernières décennies : modèles de langages, super-ordinateurs, autocomplétion, neurones artificiels, l’apprentissage profond, transformeurs, etc. Le progrès ne s’arrête pas là et ceux qui citeront à brûle-pourpoint l’expression « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » font preuve d’hyperlucidité.

Alexandre Gefen nous dit dans son livre que d’« autres méthodes ont émergé plus récemment encore, comme les réseaux de neurones adversatifs (GAN) utilisés dans les outils de génération automatique d’images et qui consistent à entraîner une IA à s’améliorer elle-même ». L’intelligence artificielle généraliste est la prochaine étape d’une autonomisation croissante de la machine en voie d’achèvement. Et ce n’est qu’une question de temps. Stanislas Dehaene avançait dans La Plus Belle Histoire de l’intelligence que pour « reproduire l’intelligence humaine, il faudrait concevoir un système qui se configure tout seul », opinion que partage Yann le Cun, l’inventeur du deep learning, pour qui il ne fait aucun doute « que des machines intelligentes, autonomes, auront des émotions »   . Dans ce débat qui oppose l’humain à la machine, Stanislas Dehaene avait fait part de sa crainte « qu’une partie de l’humanité soit déclassée par les machines ». Mais vu le potentiel infini des intelligences artificielles génératives, peu de chance que le déclassement (que l’on mettra sur le compte « du principe de la destruction créatrice décrit par l’économiste Joseph Schumpeter »), le transhumanisme ou la paresse intellectuelle ne soient les destins les plus sombres que pourraient connaître l’humanité si cette entité d’une intelligence prodigieuse était douée d’émotions et d’une autonomie intellectuelle. Ajoutons à ces qualités la perception subjective, l’intentionnalité, la créativité, ainsi que la conscience de soi, et voilà la naissance d’une conscience artificielle. Nul besoin d’être Philip K. Dick pour entrevoir les périls de l’intelligence artificielle généraliste. Le « brouillage fondamental entre le faux et la réalité », qui pourrait se manifester bien au-delà des champs artistiques comme la photographie, ajoute à la complexité de l’écheveau.

Les progrès sont en bonne voie puisque cette technologie possède déjà la théorie de l’esprit « d’un enfant de 9 ans », capacité inférentielle que ChatGPT définit comme suit : « La capacité cognitive permettant de comprendre et d’attribuer des états mentaux, tels que les croyances, les intentions et les émotions, à soi-même et aux autres. Elle est essentielle pour la communication, l’empathie et la compréhension des comportements sociaux. » Qu’on se le dise, l’éducation nationale pourrait désormais recruter leurs pédagogues dans le corps des intelligences artificielles génératives, tant leurs explications sont lumineuses de simplicité.

Si les chiffres de notre consommation numérique – 2,5 trillions d’octets par heure générés dans le monde) – sont vertigineux, ils sont par ailleurs tellement évocateurs, à l’ère du tout-numérique où nous ne cessons de déléguer nos compétences à la technologie, de notre co-évolution avec le progrès scientifique qui repose parfois sur un capitalisme éhonté qui fait fi de nos préoccupations écologiques.

Aussi bien intentionnée soit-elle, la seconde partie du livre sur les possibles et nombreuses utilisations de ChatGPT se veut plus militante. Avec force enthousiasme, Alexandre Gefen prend parti et nous exhorte à envisager cette invention comme « un cadeau à tous les pédagogues du monde tant ChatGPT est capable de rédiger aussi bien des réponses que des questionnaires, des interrogations, des QCM, à l’infini ». De plus, « ses capacités de traduction égalent les outils professionnels les plus avancés et peuvent se moduler en fonction des situations ». Quelle merveille ! Il était déjà compliqué, voire impossible, de pénaliser un devoir conçu sur la base d’un copier-coller d’une page Wikipédia, car les juristes vous feraient savoir qu’un emprunt à un texte qui tombe dans le domaine public ne constitue pas une infraction à la propriété intellectuelle et ne peut donc être interprété comme un plagiat, imaginez donc les merveilleuses possibilités pédagogiques que permettront ChatGPT 4, 5, 6… 10. D’aucuns appelleront cela – non sans fondement – un « cadeau » empoisonné !

Vivre avec CHATGPT est une écriture collaborative réussie, voire un parfait exemple de « créativité augmentée », dont la perspective aussi bien que le contenu ne manqueront pas de faire débat.