Nouriel Roubini brosse le tableau, particulièrement déprimant, d'un monde exposé à tous les dangers, sans solutions viables.

L’économiste Nouriel Roubini (alias Dr. Catastrophe), en plein dans son élément, traite dans ce livre des principaux dangers qui nous menacent dans les années et les décennies à venir.

On peine un peu, livre en main, à dresser la liste des dix mégamenaces qu’annonce le sous-titre, en raison des liens que celles-ci entretiennent entre elles, sur lesquels l’auteur a choisi de mettre l’accent. Ici, un danger en appelle toujours autre, au point de perdre parfois le lecteur, et surtout de faire apparaître la situation comme inextricable, ce qui est par ailleurs l’objectif poursuivi.

Des menaces financières

Essayons tout de même. Il y aurait tout d’abord une mégacrise de la dette, qui n’a jamais atteint un tel niveau et continue de croître. A laquelle il faut ajouter, s’agissant d’une «  dette implicite  » qui représente des montants très importants, la faillite annoncée des caisses de retraite et de sécurité sociale du fait du vieillissement démographique, qui touche désormais un grand nombre de pays (hors Afrique). L’auteur évoque ici le cas des Etats-Unis, mais aussi de la Pologne.

Autre danger, l’éclatement de l’une ou l’autre bulles d’actifs et de crédit, entretenues par des politiques monétaires beaucoup trop accommodantes, poursuivies sur le long terme.

Un autre danger encore, plus récemment apparu celui-ci, consiste dans l’inflation produite par différents chocs d’offre (dont le Covid et la guerre en Ukraine), dont Roubini précise qu’ils devraient se pérenniser, combinée avec une récession et un chômage élevé, soit un retour de la stagflation qu’on a connue dans les années 1970. Roubini explique qu’il ne croit pas, contrairement à d’autres économistes – dont Stiglitz par exemple – que l’inflation actuelle puisse n’être que temporaire, ce qui conduit ces derniers à conseiller que les banques centrales fassent preuve de modération dans l’augmentation du taux de refinancement.

L’argument est ici assez simple à saisir : si l’inflation persiste et oblige les banques centrales à remonter fortement les taux d’intérêt pour lutter contre celle-ci, l’augmentation de la charge de la dette risque d’être rédhibitoire et précipiter une crise de l’endettement et/ou l’éclatement de bulles d’actifs qui se sont constituées. Sauf à s’accommoder d’une inflation élevée et de ses sérieux inconvénients. C’est bien là l’équation qu’essaient de résoudre actuellement les différentes banques centrales et les gouvernements des principaux pays développés visant un atterrissage modéré. Roubini fait ainsi le pari qu’ils n’y arriveront pas.

Ce qui n’est pas sans lien avec un autre danger, monétaire celui-ci, qui verrait le dollar américain, notamment parce qu’il est de plus en plus utilisé par les Etats-Unis pour sanctionner tel ou tel pays ou parce qu’il pourrait être supplanté par les cryptomonnaies, perdre son rôle de monnaie de réserve mondiale (on a commencé à voir des banques centrales échanger leurs dollars contre de l’or en 2022), ce qui contribuerait incontestablement à accroître l’instabilité financière.

D'autres menaces, tout aussi graves, amplifient les dangers

Ces quatre dangers sont fortement corrélés et concernent principalement la sphère financière. Roubini en ajoute toutefois plusieurs autres : la montée des inégalités et le risque de pandémie tout d’abord. La première constitue une mégamenace, bien documentée par ailleurs. La seconde constitue un risque majeur que l’on peut, après le Covid, difficilement écarter.

Nous devons également craindre, poursuit Roubini, la démondialisation liée à la montée du protectionnisme qui entravera la croissance économique, diminuera les moyens de faire face à des dettes massives et augmentera les risques d’une inflation et stagflation importantes (pour donner un exemple de la manière dont Roubini relie ces différentes menaces).

Et compter également avec la menace que feront peser sur les emplois l’intelligence artificielle et l’autoapprentissage dont les machines sont, et seront davantage capables à l’avenir, voire la perte de maîtrise de notre destinée qui pourrait en résulter.

Enfin, l’actualité récente requiert de prendre en compte les tensions géopolitiques, et en particulier l’opposition grandissante entre la Chine et les Etats-Unis, qui ne sont certainement pas prêtes de retomber.

Et pour finir, le changement climatique, qui menace la vie sur Terre.

L'absence de solutions viables

Roubini explique que les solutions pour faire face à ces différentes mégamenaces sont très compliquées à mettre en œuvre, et le plus probable est ainsi que nous n’y arriverons pas. L’une ou l’autre se concrétiseront fatalement dans les décennies à venir, qui nous rendront encore moins capables de prévenir ou de remédier aux autres.

Rétrospectivement, les soixante-quinze années qui se sont déroulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale apparaissent comme une période de prospérité relative. Celle dans laquelle nous sommes entrés pourrait davantage ressembler aux quatre premières décennies du XXe siècle, où nous avons été confrontés à la Première Guerre mondiale, à la grippe espagnole, à la (première) démondialisation et à des accès d’hyperinflation, puis à la Grande Dépression, aux guerres commerciales, aux crises financières et de l’endettement, à une déflation sévère, puis à la montée des régimes populistes, autoritaires et militairement agressifs, et finalement à la Seconde Guerre mondiale et à l’Holocauste…

Dans ce contexte, les quelques pages à la fin du livre que Roubini consacre aux moyens pour des investisseurs individuels ou institutionnels de protéger «  au moins leur patrimoine financier  », à savoir remplacer dans leurs portefeuilles les obligations à long terme par des obligations à court terme, moins susceptibles de subir l’effet de l’inflation, par de l’or et des placements immobiliers, et sortir des actions à risque, quitte à en racheter lorsque leur cours aura baissé, ont un côté irréel qui semble lui avoir échappé, à moins qu’il s’agisse des conseils qu’il prodigue aux clients de sa société, moins démontés que le lecteur ordinaire par d’aussi sombres prédictions.

Le seul scénario qui pourrait nous donner quelque espoir que veut bien envisager Roubini, qui y consacre à la fin du livre un chapitre, nécessiterait une croissance forte, qui puisse se maintenir sur la durée, qui générerait des ressources pour prendre en charge des projets coûteux mais indispensables. Il repose principalement dans son esprit sur l’innovation technologique et, en premier lieu, la possibilité de retrouver accès à une énergie bon marché, sans émission de gaz à effet de serre cette fois.

On aura compris que le «  comment survivre à ces mégamenaces  » que nous promettait la seconde partie de son titre n’a reçu dans ce livre ne serait-ce que le début d’un commencement de réponses, et il faudra par conséquent les chercher ailleurs.