Après la mort de l'empereur Théodose, Ambroise, évêque de Milan, se livre à une oraison funèbre dans une perspective chrétienne et qui offre une exhortation morale.

Empereur d’Orient et d’Occident depuis janvier 379, Théodose Ier meurt à Milan en janvier 395, juste après une victoire remportée sur l’usurpateur Eugène, favorable à la restauration de la religion traditionnelle contre le christianisme décrété nouvelle religion publique en 380. Confronté à cette mort soudaine, Ambroise, évêque de Milan, nouvelle résidence impériale en Italie aux dépens de Rome, se charge de l’oraison funèbre de l’empereur.

Celui qui a accédé à l'épiscopat vingt-et-un ans plus tôt s'était déjà livré à l'exercice à l’occasion de la mort de trois autres empereurs, dont Gratien, le prédécesseur de Théodose Ier. Sous le titre de Sur la mort de Théodose, Benoît Gain   donne aujourd'hui à lire ce discours De obitu Theodosii, dont la traduction avait été commencée par Yves-Marie Duval, décédé avant de pouvoir mener l'entreprise à son terme.

L’empereur Théodose dans les pas du Christ

Théodose meurt de causes mystérieuses, probablement une maladie fulgurante. A Milan, quarante jours après le décès de l’empereur   , l’évêque se livre à un vibrant hommage de Théodose devant les fils du défunt, Arcadius (17 ans) et Honorius (10 ans). Loin de se soumettre à une hagiographie du souverain, Ambroise brosse le portrait d'un « excellent empereur chrétien », comme le veut la formule que Théodose prétendait incarner (optimus princeps christianus) : un homme humble, miséricordieux et aimant Dieu de manière constante et désintéressée.

Si l’évêque de Milan prend soin, devant les jeunes fils du défunt, de rappeler les actions salutaires d’un empereur qui sut, au nom de la foi en Dieu, repousser l’impiété des « tyrans » et le « paganisme »   , il focalise son discours sur les vertus chrétiennes d’un empereur qui suivait « la route prise par le Christ »   en se comportant « comme un père [plutôt] que comme un juge »   .

Une lecture chrétienne de la vie de l’empereur

La vie de Théodose Ier et sa mort sont de fait constamment interprétées à l’aune d’une lecture chrétienne de l’histoire proposant de constants parallélismes entre les personnages de l’Ancien Testament et ceux de la famille impériale. Honorius est ainsi, par la fraîcheur de son âge, comparé au roi Josias   ou bien, dès l’exorde du discours, à Joseph présidant la sépulture de son père Jacob   .

Cette lecture chrétienne de la mort de l’empereur culmine dans l’énoncé du Psaume 114, qu’Ambroise reprend à son compte en l’associant aux paroles mêmes de Théodose dans une sorte de prosopopée saisissante. L’ensemble du commentaire se déploie à partir de la péricope 114, 1 (« J’ai aimé ») pour y revenir sans cesse, façon pour le Père de l’Eglise de décliner, comme dans un jeu de kaléidoscope, les multiples visages de l’amour et de la foi en Dieu.

Ce n’est qu’au terme de cet approfondissement de la foi que Théodose Ier, « comme un bon athlète [ayant] cherché les occasions de combat pour trouver la couronne »   , goûte aux délices des retrouvailles célestes   , pénétrant ainsi dans la « Cité de Jérusalem »   , « le pays des vivants »   car « le royaume du parfait bonheur est celui qu’on possède là-bas. »   . Et l’orateur de livrer le sens ultime du Psaume 114 : la récompense de l’amour, autrement dit l’accès à « la lumière sans fin »   , au cœur de laquelle Théodose retrouve Constantin, « premier empereur à croire au Christ »   et Gratien.

La signification religieuse du psaume se double ici d’une signification politique, puisque l’empereur est présenté aux yeux de ses héritiers comme un modèle absolu de piété, l’exercice du pouvoir politique ne prenant sens dès lors qu’à la lumière de cette dimension. Théodose sera ainsi la nouvelle référence du bon gouvernement d'un Empire chrétien.

L’élégance sacrée du style

Que l’on replace le discours d’Ambroise dans la longue tradition de l’hommage funèbre portée par les rhéteurs de l’Antiquité, et l’on observe que l’oraison funèbre de l’évêque s’en démarque assez nettement, dans la mesure où il ne retrace pas la carrière de l’empereur à travers ses actes, mais seulement par touches successives, dont le seul dessein est de mettre en perspective la dimension chrétienne de la vie et de la mort ainsi que la valeur parénétique qui lui est intimement liée.

Servie par une traduction   de qualité, la présente édition   permet au lecteur français de saisir la dimension proprement éblouissante du style de l’évêque de Milan. Pénétré par la puissance du verbe ambroisien et dans le même temps ému au point de voir prendre vie devant lui les visages d’Honorius et d’Arcadius, le lecteur pourra difficilement rester insensible à la fulgurance de certaines formules antithétiques (« Tu es encore ballotté sur terre, et tu as une propriété dans le ciel ! »)   ou comparatives (« Vous lui devez plus, maintenant qu’il est mort, que vous ne lui deviez lorsqu’il était vivant.»)   .

Par-delà l’élégance sacrée de la langue se dessinent les premiers traits d’une pensée chrétienne qui, sûre de sa force et de sa légitimité (grâce à Constantin notamment), affirme fièrement et glorieusement - n’en déplaise au pouvoir politique - l’autonomie de la sphère religieuse. L'affirmation d'Ambroise préfigure ainsi ce que sera désormais la tradition ecclésiale de l’Occident.

La découverte de la Croix et la naissance des reliques

C’est précisément dans cette perspective qu’il faut sans doute interpréter, dans cette oraison funèbre, la présence très particulière d’un long développement narratif concernant la découverte à Jérusalem, par Hélène, mère de Constantin, de la Croix et des clous de la Passion. Si ce thème sera repris par Rufin d’Aquilée   , Sozomène   ou encore Jacques de Voragine bien plus tard   , c’est véritablement Ambroise qui en fait un topos de la littérature chrétienne, non seulement en considérant la Croix comme un frein à l’orgueil des empereurs   , mais aussi en affirmant l’absolue et définitive supériorité du christianisme sur le judaïsme (voir à ce sujet le thème du Verus Israël). Dans ses termes, le « clou [de la Croix] fait la joie de l’Église, la honte du juif. »  

Dans le prolongement de ces découvertes se développera, de manière pérenne, le culte des reliques dont Ambroise se plaît déjà à souligner l’ambiguïté : « Elle trouva donc l’inscription ; elle adora son roi ; non pas bien entendu le bois, car c’est là l’erreur des païens et la vaine croyance des impies ; mais elle adora celui qui a été suspendu au bois. »