La fin a priori confirmée du monétarisme et une nécessaire régulation des prix signent-elles la mort du néolibéralisme ?

Avec son nouvel ouvrage, l'économiste David Cayla approfondit la critique du néolibéralisme qu'il avait déjà sérieusement entamée dans son livre précédent, Populisme et néolibéralisme (De Boeck Supérieur, 2020), à propos duquel il s'était déjà prêté en 2020 à un entretien.

 

Nonfiction : Vous avez intitulé ce nouvel ouvrage Déclin et chute du néolibéralisme, mais avant d’envisager cette issue, vous rappelez les conditions qui ont permis l’installation du néolibéralisme. Pourriez-vous en dire un mot ?

David Cayla : Rappelons tout d’abord que le principe fondamental de la doctrine néolibérale est d’organiser le fonctionnement de la société à partir des prix de marché. Pour les néolibéraux, les prix sont censés avoir deux grandes fonctions. La première est de déterminer la valeur et de permettre le calcul économique. En effet, tout choix politique suppose un calcul coût / avantage. Mais pour effectuer ce type de calcul, il faut au préalable quantifier la valeur. C’est à cela que servent les prix de marché.

Leur seconde fonction est de coordonner les actions et les choix individuels en établissant un système d’incitations dynamique. Les agents économiques sont ainsi « programmés » par les prix. Ils consomment moins et produisent davantage une ressource dont le prix s’accroit et inversement si son prix diminue.

Si les prix sont si importants, il faut éviter de les manipuler, estiment les néolibéraux. Voilà pourquoi les marchés sont si importants. Ce ne sont pas de simples lieux d’échange, mais des sortes d’algorithmes qui agrègent les comportements individuels d’achat et de vente pour faire émerger des prix. Ce mécanisme suppose néanmoins quelques conditions pour bien fonctionner : une concurrence la plus parfaite possible, une bonne information des agents, une intégration la plus large possible aux marchés mondiaux, une monnaie stable. Ces conditions, c’est à l’État de les assurer. Les néolibéraux n’adhèrent donc pas au « laissez-faire ». Ils souhaitent que l’État se mette au service du marché afin d’en garantir le bon fonctionnement et d’obtenir des prix de marché pertinents.

La doctrine néolibérale fut conçue dans les années 1920 et 1930 pour répondre à la fois à la concurrence des modèles alternatifs que constituaient alors le soviétisme et le fascisme, et pour répondre à la crise des années 1930 qui avait mis à mal le principe du laissez-faire auquel s’accrochaient les libéraux du XIXe siècle. Néanmoins, elle ne fut pas mise en œuvre immédiatement, ou alors seulement de manière partielle dans l’Allemagne d’après-guerre.

Le modèle des Trente glorieuses est fondé sur une logique très différente, celle qui consiste à réguler strictement les prix des moyens de production. En effet, la régulation des Trente glorieuses concerne les taux d’intérêt, les taux de change, l’énergie, les matières premières, les produits agricoles et les salaires. Ce que je montre, c’est que ce modèle émerge de manière pragmatique sans qu’il n’y ait eu de théorisation préalable. Ce qui l’a rendu indispensable, c’est l’économie de guerre. Dès le début de 1940, les États-Unis sont contraints d’imposer un contrôle très strict de l’économie pour faire face à l’impératif du réarmement tout en préservant la paix sociale. Par la suite, l’enjeu de la reconstruction en Europe impose également une planification et perpétue le contrôle des prix des moyens de production. Ce n’est qu’au début des années 1970 que la régulation étatique est remise en cause et que le néolibéralisme s’installe.

Cette victoire du néolibéralisme est directement liée à deux grands facteurs. Le premier c’est la décolonisation et la perte d’influence des économies occidentales sur les pays producteurs de matières premières. Avec la nationalisation du secteur pétrolier par les pays de l’OPEP au tout début des années 1970, puis le choc pétrolier de 1973, les prix des matières premières ne peuvent plus être régulés par les États consommateurs. Ces derniers vont donc faire jouer la concurrence en libéralisant le commerce des matières premières et en organisant de nouveaux circuits commerciaux, notamment avec les pays du bloc communiste. Le second facteur, c’est l’effondrement du système de Bretton Woods qui a lieu au même moment. À partir de ce moment, les États vont renoncer à coopérer sur le plan financier et à administrer les taux de change des monnaies. La libéralisation des marchés financiers devient alors indispensable pour attirer le capital dans un système financier international de plus en plus marqué par la concurrence.

Les libéralisations des marchés du travail, de l’agriculture et de nombreux services collectifs (transports, énergie, télécommunication) viendront par la suite, ce qui m’amène à penser que la transition néolibérale n’est véritablement achevée qu’à la toute fin des années 1990. L’abrogation du Glass-Steagall Act (la loi de séparation entre les banques d’affaires et les banques de dépôt) par Bill Clinton en 1999 ou la création de l’euro la même année peuvent servir de date symbolique du début de l’ère du néolibéralisme achevé, même si le processus se poursuivra par la suite, par exemple avec la libéralisation du marché de l’électricité dans les années 2000.

La révolution néolibérale a elle-même induit son lot de problèmes montrez-vous, dont une montée des inégalités, une instabilité financière et une incapacité à contrecarrer la forte baisse de la croissance…

Le problème principal du néolibéralisme, c’est qu’il affaiblit et délégitimise le rôle de l’État dans l’économie. Lorsque les États contrôlaient les prix agricoles ou ceux de l’énergie, ils pouvaient encore rendre compte de leur action auprès de leurs populations. Ils avaient la possibilité de mener de véritables politiques industrielles. Je montre notamment que le contrôle des prix agricoles fut indispensable pour moderniser l’agriculture européenne à partir des années 1950, alors qu’elle était très en retard sur celle des pays anglo-saxons. Or, depuis l’ère néolibérale, l’État apparaît de plus en plus impuissant pour agir. Cette situation nourrit la défiance et alimente le populisme ainsi que je l’ai analysé dans mon précédent ouvrage.

La montée des inégalités est elle aussi une conséquence logique de l’expansion du règne du marché. En mettant en concurrence les économies et les populations par le biais de la mondialisation, les États sont poussés à mener des politiques d’attractivité en faveur du capital et au détriment du travail. L’abrogation de l’ISF en France est une conséquence de cette logique, tout comme les « lois travail », les réformes de l’assurance chômage ou la réduction des dépenses des retraites. Toutes ces réformes ont été prises pour rendre la France plus attractive que ses voisins et mènent à l’accroissement des inégalités.

Enfin, il est clair que l’ère néolibérale n’a pas été une période de forte croissance dans les pays développés. En effet, la croissance est la conséquence de la hausse de la productivité du travail. Or, ce qui permet d’augmenter la productivité du travail c’est essentiellement la mécanisation et l’automatisation des tâches. Mais cela n’est pas possible dans tous les métiers. Dans les services, en particulier dans les emplois relationnels (le soin, l’éducation, la sécurité, la justice, le spectacle vivant…), il n’est pas possible de mécaniser ou d’automatiser les tâches. Ainsi, la croissance est dépendante de la part de la main d’œuvre qui travaille dans des métiers automatisables et mécanisables, qui sont le plus souvent industriels. Autrement dit, la désindustrialisation d’une économie limite le potentiel de gains de productivité et donc la croissance. Or, la mondialisation commerciale a contribué à la désindustrialisation des pays développés au profit des pays en voie de développement du fait de salaires et donc de coûts de production inférieurs.

Les crises qu’a connues l’économie mondiale depuis quinze ans ont mis à mal la doctrine néolibérale. L’un des principaux, sinon le principal pilier du néolibéralisme qu’est le monétarisme a en effet perdu toute crédibilité, la politique monétaire n’ayant cessé de lui tourner le dos… Puis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, sur fond de crise écologique, ont jeté le doute sur l’efficacité inconditionnée des prix de marché. Pourriez-vous expliciter un peu ces points ?

Le monétarisme est en effet l’un des piliers principaux du néolibéralisme. Comme je le disais plus haut, du point de vue néolibéral, pour que le marché fonctionne, il faut maintenir une certaine stabilité des prix afin d’aider les agents à faire des choix économiques. Or, selon les néolibéraux, lorsqu’elle est confiée à une autorité gouvernementale, la politique monétaire est souvent trop expansive. Les responsables politiques ont en effet intérêt à faciliter le crédit et la création monétaire, estiment les monétaristes, ce qui, selon eux, engendre immanquablement de l’inflation. Pour éviter cette situation, il faudrait donc « dépolitiser » les politiques monétaires, soit en supprimant les banques centrales et en permettant la concurrence des monnaies (c’est ce que propose Friedrich Hayek), soit en les rendant strictement indépendantes du pouvoir politique, ou bien encore en limitant très strictement leurs marges de manœuvre (ce que proposent Milton Friedman ou Wilhelm Röpke).

Dans la plupart des pays, le monétarisme fut mis en œuvre via la sacralisation de l’indépendance des banques centrales dont le mandat s’est concentré sur l’objectif de stabilité des prix. Cela a fonctionné quelque temps, avant que la crise financière de 2008 ne transforme en profondeur les politiques monétaires.

La crise de 2008 est elle-même une conséquence de la mise en œuvre du néolibéralisme et de la dérégulation des marchés financiers. C’est aussi une crise ontologique pour cette doctrine, dans le sens où elle illustre l’incapacité des marchés à remplir leur rôle principal, c’est-à-dire à déterminer une valeur pour les actifs qui étaient adossés sur les créances immobilières américaines. Le déclenchement de la crise des subprimes se produisit lorsque BNP-Paribas a été amenée à reconnaître qu’elle ne parvenait plus à évaluer la valeur de trois de ses fonds. En effet, le marché avait disparu du fait de l’effondrement de la demande. Sans demande, pas de transaction, sans transaction, pas de prix de marché, et sans prix de marché… pas de valeur quantifiable.

Le problème est aussi ontologique pour la pensée économique dominante, incapable d’anticiper et d’intégrer dans ses modèles les phénomènes de croyances collectives, de mimétisme, qui sont fréquents sur les marchés financiers et peuvent affecter la pertinence des prix. Keynes rappelait avec justesse que les prix de marché ne sont, en fin de compte, que des « conventions » et que ces conventions sont parfois extrêmement fragiles car elles peuvent à tout moment être remises en cause.

En somme, la crise financière a montré que l’idée qu’il pouvait exister une réalité économique « objective », indépendante du politique et des institutions, était un leurre, et que réguler la société sur la base des prix de marché était une utopie.

À partir de ce moment, les banques centrales se sont écartées des dogmes monétaristes. Elles sont intervenues massivement non seulement pour sauver les banques, mais aussi pour déterminer les prix de certains actifs financiers ou pour contrôler les taux d’intérêt. C’est ainsi qu’il convient d’interpréter les politiques de « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) qui se sont développées dans le monde entier à partir de 2008. En cherchant à sauver la finance de ses propres turpitudes et à permettre aux États de sortir l’économie du marasme, les banquiers centraux se sont mis à racheter massivement des titres de dettes publiques afin de faire baisser les taux d’intérêt. La crise du Covid en 2020 a renforcé ces politiques, à tel point que la banque centrale européenne, par exemple, s’est mise à détenir plus du tiers des titres de dette publique européens.

Dans le monde de la finance, on a donc été contraints de sortir du régime des prix de marché pour d’entrer dans un régime où les taux longs et courts sont strictement contrôlés par les interventions des banques centrales. Elles sont de ce fait complètement sorties du rôle de garantes de la stabilité des prix que leur imposait la doctrine monétariste. Cela pose d’ailleurs un problème démocratique car, pour jouer ce nouveau rôle, il leur a été nécessaire d’interpréter de manière extensive leur propre mandat.

Le retour de l’inflation a assez peu de chance de remettre en selle le monétarisme, montrez-vous. Et l’idée que l’État doive se mettre au service du marché pourrait bien avoir, cette fois, du plomb dans l’aile. Pourriez-vous expliquer pourquoi ?

Avec le retour de l’inflation, il y a eu un apparent retour à la normalité monétariste. Les politiques de quantitative easing ont cessé et les banques centrales augmentent à nouveau leurs taux directeurs. C’est ce qui fait dire à certains analystes que les banquiers centraux ont fini par solder la crise de 2008.

Mais, en réalité, rien n’est soldé. Parler du retour du monétarisme quand l’inflation est à 7-10 % et que les taux d’intérêt sont à 3-4 % est une erreur. Si les taux d’intérêt nominaux ont augmenté, le vrai prix de l’argent, le taux d’intérêt réel, est lui toujours négatif. Il semble surtout que les banquiers centraux cherchent à maintenir un écart négatif entre l’inflation et les taux nominaux, parce qu’ils ne veulent surtout pas revenir à des taux d’intérêt réels positifs et sortir du régime monétaire accommodant auquel nous sommes habitués depuis 2008. De fait, le coût réel du crédit reste nul ou faible dans la plupart des pays développés. Rappelons, par comparaison, que lorsque Paul Volcker fut nommé président de la Réserve fédérale en 1979, il mit en œuvre une véritable politique monétariste en augmentant les taux directeurs à 20 %, alors que l’inflation est similaire à ce qu’elle est aujourd’hui. On est très loin d’une telle politique aujourd’hui !

La leçon que je retiens de tout ça est qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura sans doute pas, de retour au néolibéralisme des années 2000. Les banquiers centraux ne se mettent plus au service des marchés, ils en ont pris le contrôle, ils les ont désarmés afin d’éviter l’effondrement du système. Pourquoi a-t-on renoncé à laisser les marchés déterminer les taux d’intérêt ? Pas par conviction, mais pour des raisons purement pragmatiques. Un retour à des taux d’intérêt longs « normaux », qui seraient mettons 2-3 points au-dessus du niveau d’inflation pour les taux sans risques, entraînerait inévitablement une faillite systémique. Le monétarisme était possible dans une économie où l’endettement global représentait 1,5 fois le PIB, comme c’était le cas à la fin des années 1970. Il n’est plus possible dans une économie où, comme aux États-Unis ou en Europe, la dette globale représente 3,5 fois le PIB.

Pourquoi l’impératif de transformation écologique serait-il incompatible avec un système de prix de marché ? Et comment concilier l’exigence de régulation mondiale que nous imposent à la fois l’urgence climatique et le fait que la démocratie a partie liée avec la souveraineté et s’entend difficilement sans cette dernière ?

Ce qui est intéressant dans le moment que nous vivons, c’est que le contrôle des prix ne se limite plus aux taux d’intérêt. Dans les années 1970, les marchés financiers furent les premiers à être libéralisés. Aujourd’hui, on voit un mouvement inverse se produire dans la finance, mais c’est un mouvement qui commence à s’étendre à d’autres secteurs. La guerre en Ukraine a montré la dépendance européenne au gaz russe. Résultat, les États européens se sont entendus pour réguler les prix du gaz et la Commission propose de réformer en profondeur le marché de l’électricité. De même, la récente loi américaine sur l’inflation (Inflation Reduction Act) a montré que les États-Unis de Biden ne sont pas décidés à se défaire du protectionnisme de Trump. Partout, les politiques de l’ère néolibérale sont en train d’être remises en cause. Dans l’Union européenne, on se met même à chercher des moyens pour mener des politiques industrielles au nom de la défense de la « souveraineté européenne ».

Beaucoup de choses se font au nom de la transition écologique. À l’origine, la politique climatique de l’UE était conforme au dogme néolibéral. Le marché carbone fut créé dans les années 2000 afin de disposer d’un prix de marché et d'un mécanisme d’incitations censé gérer nos émissions. Il apparait néanmoins aujourd’hui de plus en plus manifeste que les incitations prix sont insuffisantes pour amorcer sérieusement une transition qui implique de transformer en profondeur nos systèmes productifs. Déjà, la question de la compensation carbone aux frontières est posée depuis l’accord européen du 13 décembre. Ainsi, le climat tend à s’inviter de plus en plus dans la mondialisation commerciale.

Il faut bien sûr aller plus loin. Organiser la transition suppose de rendre rentables des technologies qui ne sont pas toujours matures et de transformer en profondeur notre système productif… tout en épargnant le plus possible le niveau de vie des ménages.

En termes d’ordre de grandeur, l’organisation de la transition écologique implique un effort similaire à celui du passage à une économie de guerre, surtout si l’on entend aller vite. Or, le temps presse. Si l’on veut, par exemple, limiter notre consommation d’énergie fossile, on ne peut pas se contenter d’augmenter le prix du carbone. Il faut aussi s’intéresser aux usages les plus pertinents des énergies fossiles. Une hausse des prix du carburant n’empêchera pas Elon Musk de faire du tourisme spatial et de consommer de précieuses ressources qui pourraient être mobilisées pour d’autres fins. En revanche, cette même hausse de prix pourrait empêcher une infirmière de faire sa tournée et d’aller rendre visite à ses patients. Envoyer quelques milliardaires dans l’exosphère est-il plus important que de soigner des milliers de personnes âgées dépendantes ? Si l’on répond non à cette question, comment faire en sorte que le carburant aille de manière prioritaire à l’infirmière et non à l’entreprise de Musk ? C’est exactement à ce type de problèmes que cherchaient à répondre les régulations prises au nom de l’économie de guerre dans les années 1940.

On comprend ainsi qu’il faut sortir de la seule régulation par les prix de marché, car ces derniers sont aveugles aux usages et aux usagers. Quiconque peut payer le prix a le droit d’utiliser une ressource non renouvelable et de spolier ainsi le reste de l’humanité. Cela n’est pas acceptable.

À la fin de mon livre, je propose quelques principes pour mettre en œuvre une économie fondée sur une régulation démocratique. L’idée générale est assez simple. Au lieu d’organiser notre société autour du marché, il faut mettre le marché au service de nos besoins sociaux. L’une des idées que je défends, c’est de limiter le rôle du marché dans la détermination de certains prix en réhabilitant des institutions de concertation.

Il reste encore quelques lois qui permettent de réguler les prix. Tout n’a pas été démantelé par le néolibéralisme. Par exemple, la loi sur le prix unique du livre est assez intéressante. Elle interdit de vendre un livre neuf à un autre prix que celui décidé par l’éditeur. Quand on y pense, c’est une règle extrêmement simple et pertinente. Ce qui lui a permis d’être sauvegardé, c’est le principe « d’exception culturelle » défendu par la France et intégré au droit européen. Autre exemple que l’on a vu plus haut, celui des banques centrales qui contrôlent désormais les taux d’intérêt à long terme. C’est sans doute une bonne chose, sauf que pour l’instant, comme il n’est pas inclus dans leur mandat, ce contrôle se fait en dehors de toute règle. Normalisons donc cette pratique, et encadrons-là par la mise en œuvre d’un contrôle politique de l’action des banques centrales.

En fait, l’idée de dépolitiser les politiques économiques en mettant les marchés au centre de la régulation économique et sociale était absurde. C’était une idée qui partait du principe que l’économie existe en dehors de la société et n’a pas à être influencée par elle. De fait, la grande force du marché, c’est d’apparaître faussement neutre et apolitique, alors même que les forces du marché engendrent une hiérarchie sociale qui est tout sauf apolitique. Changeons donc radicalement de logique, et reconnaissons que l’économie est l’un des attributs de la société et qu’il est vain de vouloir en dépolitiser le fonctionnement. Admettons aussi qu’un prix n’est pas plus légitime lorsqu’il procède de l’offre et de la demande que lorsqu’il est décidé par un représentant élu.

Pour autant, il faut garder en tête que toute décision politique n’est pas forcément perçue comme légitime et que le marché est une institution très pratique pour établir des prix qui sont en général acceptés. L’enjeu, pour construire le monde qui vient et pour organiser la transition écologique, sera de bâtir des institutions perçues comme légitimes afin de réorganiser notre système économique en le démarchandisant. Cela, à mon sens, ne peut se faire qu’à l’échelle où se déroule le débat démocratique et où s’exprime la souveraineté populaire. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé que la transition écologique nécessite la réaffirmation de l’État national comme acteur central de la transition. Ce principe n’est d’ailleurs pas contradictoire avec le fait qu’il faudra organiser des coopérations internationales pour gérer les matières premières et limiter nos émissions. À ce titre, l’organisation la plus légitime n’est sans doute ni l’Union européenne ni le G20, mais l’ONU et le système des COP (conférences des parties). Ces institutions ont en effet l’immense avantage de représenter l’ensemble de la population mondiale et de déboucher sur des pratiques qui cherchent le consensus le plus large possible.

Crédit photo : Manon Decremps