Un débat entre une sociologue et une philosophe sur la question animale, dont le grand mérite est de dessiner deux positions adverses peu conciliables entre lesquelles le lecteur est tenu de choisir.

Avez-vous déjà entendu parler de ce jeune Américain — star de TikTok, d’Instagram et de Facebook — nommé Kody Antle ? Âgé d’une vingtaine d’années, il est le fils de Doc Antle, célèbre dresseur d'animaux et homme d’affaires dont les pratiques pour le moins douteuses ont été révélées au grand jour dans la série documentaire Tiger King diffusée sur Netflix.

Koby Antle a grandi entouré d’animaux sauvages — tels des tigres, des pumas, des léopards, des panthères, etc. — que son père a réunis dans le parc immense de sa propriété privée située en Caroline du Sud (le Myrtle Beach Safari), prétendument pour les soustraire au circuit des safaris. Sur les vidéos qu’il poste lui-même très généreusement et qui lui valent des millions de followers, on peut le voir ainsi batifoler joyeusement avec ces animaux sauvages comme s’il s’agissait de gros chats parfaitement inoffensifs.

Il est difficile de réprimer un certain malaise en observant ces scènes d’embrassades à pleine empoigne, de gros câlins et de jeux facétieux. Auprès de celui qui n’hésite pas à se présenter lui-même comme un « Tarzan dans la vraie vie » (Tarzan in real life), ces bêtes notoirement féroces n’ont absolument plus rien de sauvages et paraissent plus dociles et soumises encore que les chiens et les chats domestiques. On aurait mauvaise grâce de les plaindre : aucun traitement fâcheux ne leur est, semble-t-il, réservé, et elles jouissent manifestement d’une bien plus grande liberté de mouvement que leurs congénères qui dépérissent à petit feu dans les zoos et les cirques — pour autant qu’il s’en trouve encore en ces lieux, puisque l’on sait que les petits et les grands félins, partout en voie d’extinction, sont désormais protégés.

Mais quel est le danger qui les menace le plus ? Celui du braconnage et de la chasse, ou bien celui du dressage que leur fait subir Doc Antle et son équipe ? Sans doute la menace ne s’exerce-t-elle pas du tout au même niveau : le dressage, à la grande différence de la chasse et du braconnage, n’affecte pas la vie des individus et ne compromet pas non plus la survie de l’espèce. Il faut toutefois poser la question de savoir ce qu’il reste au juste au terme d’un tel processus de domestication qui finit par détruire dans l’animal ses caractères les plus distinctifs. À défaut d’avoir physiquement disparu, l’animal n’aura-t-il pas été annihilé dans son animalité même pour céder la place à une créature qui ressemble beaucoup plus à une peluche animée qu’à un être vivant ?

Il est pour le moins curieux de s’apercevoir que, bien souvent, c’est au nom de cette même idée fantasmatique de ce qu’est un animal, de la place qu’il occupe dans notre vie et du genre de relations que l’on peut nouer avec lui, que certains défenseurs de la cause animale nous exhortent à modifier nos comportements à l’égard aussi bien des animaux domestiques que des animaux d’élevage. Nombre de travaux universitaires portant sur l’élevage ou l’alimentation carnée semblent reposer sur une étonnante ignorance de la réalité des liens entre les humains et les animaux (notamment de la réalité des liens du travail) et ainsi se perdre dans des abstractions philosophiques bien dignes de susciter le rire moqueur de la servante de Thrace, lorsqu’elle vit Thalès tomber du haut du puits pour avoir regardé en l’air trop longtemps.

Tel est du moins le « cheval de bataille » — expression plus que jamais justifiée — de Jocelyne Porcher, sociologue directrice de recherche à l’INRA de Montpellier, qui depuis plus de trente ans travaille et vit avec les animaux. En une quinzaine d’ouvrages et une centaine d’articles, tous consacrés aux animaux, elle se sera imposée comme l’une des meilleures spécialistes du sujet en France, en se tenant soigneusement à l’écart de toutes les modes et de toutes les chapelles.

Ses prises de positions marginales la rapprochent de Francis Wolff et de Dominique Lestel. Jocelyne Porcher, en effet, ne plaide ni pour l’abolition de la corrida, ni pour la fin de l'exploitation des animaux, ni même pour l'adoption d’un régime alimentaire végétarien (et encore moin végan), et cela lui a valu quelques critiques en règle, parfois virulentes. Toutefois, en dépit des foudres des militants qui s'emploient à perturber ses conférences et à la dénigrer sur Internet, le public a chaleureusement accueilli son dernier livre, dans lequel elle dénonce, sur un ton délibérément polémique, les accointances de certaines associations de défense des animaux (telle L214) avec les lobbies de l'agriculture cellulaire et, de manière plus générale, avec le capital   .

C’est dire tout l’intérêt que pourrait présenter la confrontation entre cette chercheuse peu ordinaire et Corine Pelluchon, laquelle a elle aussi manifesté un intérêt croissant pour la question animale, depuis L'autonomie brisée (2009) jusqu'à son livre récemment paru Les Lumières à l'âge du vivant (2021). Sous la forme inusitée d’un échange d’une douzaine de lettres, écrites entre le mois de novembre 2021 et mars 2022, c’est le résultat de ce dialogue entre la sociologue et la philosophe qui paraît ces jours-ci aux éditions Mialet-Barrault, dans la collection « Disputatio » dirigée par Sophie Nordmann et Mazarine Pingeot.

Accords et désaccords

Si le principe même de la collection suppose que les deux auteures en confrontation partagent plus de points de désaccord que de points d’accord, alors il faut reconnaître que ce volume répond à toutes les attentes. Même dans les rangs des adversaires les plus résolus de la cause animale, l’on trouverait difficilement quelqu’un pour contester la nécessité d’en finir avec le modèle industriel qui transforme les animaux en machines, qui s’oppose au sens même de l’élevage compris comme relation au vivant et qui dessaisit les éleveurs de leur savoir-faire.

Personne ne nie que des changements importants sont requis en ce qui concerne la détention des animaux d’élevage et les conditions de leur mise à mort ; personne ne discute non plus l’ignominie des conditions de vie de certains animaux sauvages détenus en captivité dans les cirques itinérants. Et de fait, des avancées significatives ont été effectuées partout en Europe depuis une cinquantaine d’années pour améliorer leur sort   . Mais au-delà de ce socle minimal d’accord — indispensable pour qu’un échange soit tout simplement possible —, force est de reconnaître que la sociologue et la philosophe ne s’entendent à peu près sur rien, sans que la faute en incombe forcément à l'une plutôt qu'à l'autre.

L’une des idées clés des recherches conduites depuis le début des années 1980 par Jocelyne Porcher est que le fondement des relations que les humains ont nouées avec les animaux domestiques, depuis la nuit des temps, est une relation de travail — et non pas une relation de prédation, d’exploitation, de violence ou de domination. Comme elle le note à la fin de l’ouvrage qu’elle a coécrit avec Olivier Néron de Surgy, Encore carnivores demain ?   , la majorité des travaux issus du champ des animal studies considère que la domestication est le « crime originel » de l’humanité vis-à-vis des animaux, en s’aveuglant par là même sur la richesse des relations consenties entre les humains et les animaux.

La compréhension du processus de domestication à la façon d’un piège qui aurait été tendu aux animaux (pour permettre aux chasseurs-cueilleurs du Néolithique d’enfermer leurs proies dans un parc où il leur était loisible de les tuer selon leurs besoins sans plus avoir à les chasser) est une falsification de la réalité de ce processus qui a eu pour effet principal de rendre possible l’émergence ou de consolider l’existence des « communautés mixtes  » réunissant les êtres humains et les animaux.

Comme l’indique Mary Midgley, «  toutes les communautés humaines ont inclus des animaux », et de telles communautés n’auraient pas pu exister si les êtres humains et les animaux n’avaient pas réussi à nouer entre eux des liens affectifs et personnels. Les animaux ont été apprivoisés « non pas seulement par peur de la violence, mais parce qu’ils ont montré qu’ils étaient capables de nouer des relations individuelles avec ceux qui les ont apprivoisés, en comprenant les signaux sociaux qui leur étaient adressés. (…) Et si les animaux ont été capables de le faire, ce n’est pas seulement parce que les personnes qui les ont apprivoisées sont des êtres sociaux, c’est parce qu’eux aussi le sont »   . Il n’y a aucune raison de tenir la domestication pour la ruse d’une raison perverse qui viserait à embrasser les animaux pour mieux les étouffer.

Les êtres humains ont bien plutôt cherché à domestiquer les animaux pour pouvoir vivre avec eux et créer un lien social dans le cadre d’une communauté mixte. À ce titre, la domestication doit être comprise, non pas comme une entreprise unilatérale de domination des animaux consistant à les faire entrer de force dans des formes d’organisation humaines, mais comme un processus bilatéral de socialisation qui affecte les animaux aussi bien que les êtres humains, engendrant des relations sociales inédites dans le cadre d’une culture matérielle renouvelée, au sein de laquelle les relations de travail sont prééminentes.

C’est cette dernière thèse — centrale dans la perspective anthropologique de Jocelyne Porcher — que Corine Pelluchon s’efforce de soumettre à la critique, sans véritablement y parvenir, faute, nous semble-t-il, de bien saisir le sens du concept de travail mobilisé par la sociologue (et la théorie du don/contre-don qui lui est liée, pour l'élaboration de laquelle Jocelyne Porcher renvoie à Marcel Mauss). Faute également de réussir à remettre en question le présupposé selon lequel la mise à mort des animaux d’élevage, quelles que soient les conditions dans lesquelles celle-ci est administrée, ne peut pas être autre chose qu’un meurtre — même si ce meurtre, précise-t-elle, demeure incommensurable à celui de mon frère humain.

Les animaux : leur vie, leur travail, leur mort

Pour Jocelyne Porcher, un « travail  » désigne toute relation que noue un animal domestique avec un être humain, par laquelle se stabilise un rapport social susceptible de bénéficier aux deux partenaires. En ce sens, la présence fidèle d’un animal de compagnie est un « travail », lequel n’a rien de naturel, mais implique au contraire un travail sur soi de la part de l'animal en question. Si « exploitation » des animaux il y a, alors il faut dire qu’elle commence avec celle des animaux de compagnie, dont le mode de vie est, à de nombreux égards, bien plus déplorable que celui de certains animaux d’élevage — tels ces chiens et ces chats, innombrables, dûment stérilisés ou sexuellement isolés, limités dans leurs exercices physiques, privés presque entièrement de contact animal et nourris d’aliments artificiels. 

En lieu et place du concept réducteur d’« exploitation », Jocelyne Porcher propose celui, autrement plus fécond, de « travail », en entendant par là, non pas bien sûr une relation contractuelle à laquelle les animaux auraient consenti de leur plein gré (sur le modèle du « contrat domestique », réfuté une bonne fois pour toutes par Clare Palmer   ), mais toute activité productive douée d’une forme de rationalité, incluant essentiellement un engagement des affects, de l’intelligence et du corps, une relation de coopération et de reconnaissance, dont résulte un service, un bien ou une valeur d'usage.

Comme l'écrit Christophe Dejours, qui constitue l'une des références centrales de Jocelyne Porcher sur ce point : « Le travail est ce qu'implique le fait de travailler : des gestes, des savoir-faire, un engagement du corps, la mobilisation de l'intelligence, la capacité de réfléchir, d'interpréter et de réagir à des situations, c'est le pouvoir de sentir, de penser et d'inventer »   , par lequel l'« individu-au-travail », qu'il soit un être humain ou un animal, se transforme lui-même en se confrontant aux autres et au monde. Ainsi défini, le travail apparaît à la fois comme constituant le fondement historique de la domestication des animaux avec lesquels les hommes ont coopéré depuis des millénaires pour l'entretien, la fumure, les labours des sols, etc., et comme étant au principe de la dynamique de la coévolution des espèces. L’ampleur actuelle et la richesse des liens que nous avons noués avec les animaux, et le fait même que nous puissions partager avec eux un monde qui soit véritablement notre oeuvre commune, reposent, dans une large mesure, sur le nombre incalculable d’activités dans lesquelles ils sont impliqués.

Le pari initial de Jocelyne Porcher, qui a été depuis brillamment relevé par de nombreux chercheurs un peu partout dans le monde   , est, pour le dire dans les termes de Donna Haraway, que « nous pourrions mieux cultiver la responsabilité avec et envers d'autres animaux si nous creusions la catégorie du travail davantage que celle des droits, laquelle s'accompagne d'une inévitable préoccupation pour la similarité, l'analogie, le calcul et l'appartenance honorifique à l'abstraction élargie de l'Humain. Envisager les animaux comme des systèmes de production et des technologies n'est pas nouveau. Prendre au sérieux les animaux en tant que travailleurs sans le confort des cadrages humanistes des humains est peut-être plus novateur et pourrait enrayer les machines à tuer  »   .

Ce qui rend la mise à mort des animaux d’élevage si scandaleuse de nos jours tient précisément à ce qu’elle ne s’inscrit plus dans le cadre des relations de travail multiséculaires établies entre l’éleveur et ses bêtes (seul susceptible de lui donner un sens), mais qu'elle répond à des finalités étroitement économiques et à une logique industrielle de productivité. La mort n’est pas et n'a jamais été le métier des éleveurs : si elle se situe au bout du travail qu’ils effectuent avec les animaux, elle n’en est pas pour autant le but. Réclamer, comme le fait Corine Pelluchon, la fin de l’exploitation animale au nom de la considération due aux créatures sensibles, et promouvoir, corollairement, l’adoption d’un régime végane, revient à réduire la relation de travail avec les animaux à la production de viandes ou d’autres produits animaux. Autrement dit, à ne considérer ces relations que du seul angle de leur rationalité productive, en perdant de vue le fait que la première des rationalités est relationnelle.

Plutôt que de vouloir à toute force abolir l'ensemble des relations de travail nouées depuis des millénaires avec les animaux d'élevage, grâce auxquelles il nous a été donné de pouvoir vivre avec eux, ne conviendrait-il pas de s'employer à réinventer ce lien précieux, pour les animaux comme pour les humains, que l'obsession des profits, la violence industrielle et capitaliste, ont fini par détruire ? Comme le dit fortement Jocelyne Porcher : vouloir sortir les animaux de ferme de notre alimentation, vouloir sortir les animaux domestiques du travail, c'est vouloir les sortir tout simplement de notre vie. Le paradoxe que ne veulent pas comprendre certains défenseurs des animaux et, tout particulièrement, les promoteurs d'une agriculture cellulaire, c'est que supprimer la mort des animaux revient à supprimer leur vie. Pas de mort, pas de vie. Penser la mort des animaux, c'est nécessairement penser leur vie et la penser dans le champ du travail  

L’étonnant est que ce cauchemar d’une vie sans les animaux puisse nous être proposé le plus sérieusement du monde comme une solution envisageable par certains théoriciens de la question animale. N'est-ce pas ce que font les auteurs de Zoopolis, Sue Donaldson et Will Kymlicka, lorsqu'ils font le projet d'une société dans laquelle les animaux, sans cesser de vivre parmi nous, seraient soustraits au travail et à toute forme d'exploitation ? Dans des pages étonnantes, ils expliquent ainsi que les moutons auront à l'avenir tout loisir de manger l’herbe du jardin, à condition qu’ils ne se reproduisent pas et qu’on ne vende pas la laine qu’ils ont sur le dos. Quant aux vaches, avec lesquelles il est difficile de vivre sans les « exploiter » d’une manière ou d’une autre, pas de rémission : il faudra qu'elles se raréfient !

« Cela ne signifie pas », écrivent les deux auteurs, « qu’il n’y aura plus de vaches, simplement il y en aura peu. [...] Ces animaux seront de moins en moins nombreux à faire partie de la communauté des humains et des animaux »   . Autant dire qu'elles sont vouées à disparaître à court terme, puisque seule l'existence de troupeaux (pôles de diversité génétique) garantit la viabilité des individus.

Un animal, des animots

Si Corine Pelluchon, ici comme ailleurs   , se défend naturellement de partager de telles conclusions, il faut avouer qu'on ne saisit pas bien ce qu’elle oppose au juste aux analyses concrètes et précises que développe Jocelyne Porcher. Il n’est pas sûr que les concepts quelque peu ronflants de « Schème de la domination  » et de « Schème de la considération », les notions nébuleuses de « trans-ascendance » et de « trans-descendance  », l’invocation insistante d’une « dialectique des Lumières » censée être responsable du basculement de la rationalité vers l’irrationalité, la lourde armature conceptuelle de l'ontologie heideggérienne du souci, et les idées mêmes de vulnérabilité, de finitude et de corporéité soient d’une grande utilité en cette affaire.

Jocelyne Porcher, malicieusement, à la manière de la servante de Thrace, semble s’amuser de cette forme d'ébriété spéculative, et se plaît à souligner que ce n’est pas parce que nous vivons dans une société régie par le « Schème de la domination » que les chats, au grand désarroi de leurs maîtres, rapportent à la maison toutes sortes de petites bêtes qu’ils ont tuées, mais parce que les chats sont des carnivores et qu’ils sont des prédateurs — et qu’il est tout bonnement insensé de vouloir qu’il en soit autrement et de rêver que les chats puissent un jour se nourrir de croquettes véganes, comme le souhaite expressément Corine Pelluchon (sauf, précisément, à vouloir s’entourer de quelques animaux, devenus de plus en plus rares, qui ressembleront davantage à ces peluches animées, dont nous parlions au commencement, qu’à de véritables animaux).

Et c’est bien en ce point, au final, que nous paraît se situer le cœur des divergences entre les deux auteures. De quel type d’animal est-il question, au fond, lorsqu’on nous invite à réformer nos comportements dans le but d'améliorer les conditions de vie de nos bien nommés frères inférieurs ? L’animal conçu comme être essentiellement sensible et vulnérable, comme créature sentiente faite comme nous de chair et de sang, méritant en tant que telle pitié et compassion, ne constituerait-il pas une abstraction philosophique de plus — un mot et rien qu’un mot, un «  animot » comme le disait Jacques Derrida ?

Sous couvert d’élever leur statut et de leur garantir une forme de protection morale et juridique, la présentation des animaux (limitée, la plupart du temps, aux seuls animaux de compagnie) comme de ravissantes boules de poils ou de plumes douées de sensibilité ne le ferait-elle pas le tort irréparable de déconsidérer leur altérité fondamentale et la richesse de leur mode d’existence ? Les animaux, dans leur propre existence, leur propre caractère, leurs propres potentialités, leur propre forme d’excellence, leur propre intégrité, leur propre grandeur, sont réduits à rien — et c’est ce rien qui est pour eux le plus menaçant.

Il nous paraît en ce sens extrêmement révélateur qu'il puisse être aussi souvent question, sous la plume de Corine Pelluchon, de sa chatte nommée Boulie, adoptée en 2010, dont elle dit volontiers qu'elle ne peut plus se passer d'elle, au point de l'emmener en voyage même à des centaines de kilomètres de son domicile parisien. De lettre en lettre, Boulie ne cesse de pointer le bout de son museau, alors qu'il n'est pas fait mention une seule fois de ce que peut être la vie des animaux de ferme et d'élevage (si ce n'est pour dire, très rapidement, qu'ils sont tous promis à l'abattoir).

Les animaux « d'hommestiques  », comme les appelait plaisamment Lacan, et, plus précisément, les animaux de compagnie, sont le paradigme même de ces animaux « trop mignons » que l’on peut caresser et cajoler, tellement familiers (ou « familiers familiaux  », comme le disaient Gilles Deleuze et Félix Guattari) que l’on finit par les confondre avec des membres de la famille auxquels ne manqueraient plus que la parole. Bref : l'archétype de ces animaux-peluches dont on ne perçoit même plus l’animalité.