Histoire d'une association de protection des enfants juifs, fondée par des résistants venus d'Europe de l'Est et devenue organisation de jeunesse de masse contrôlée par le Parti communiste.

Cet ouvrage, publié à l'initiative de l’Association des Amis de la Commission Centrale de l’Enfance, est à la croisée des chemins entre l’histoire du communisme et celle de la Shoah. Il propose un retour sur une organisation de masse du PCF : son histoire, sa dimension éducative et pédagogique, puis sa mémoire.

Une organisation contrôlée par le PCF

Émanation de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), la Commission centrale de l’enfance (CCE) est née en 1945, comme l'un des cercles concentriques du système communiste.

La CCE s’occupe des maisons d’enfants pour les orphelins juifs au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La direction en est confiée à des cadres Juifs communistes, issus pour la majeure partie d’entre eux des milieux yiddishophones traditionnels. La plupart ont quitté la Pologne après avoir été pourchassés par le gouvernement pour leur engagement. Ils ont souvent plongé dans la clandestinité, parfois pour fuir, souvent pour travailler pour l’appareil du Komintern, l’Internationale communiste. Arrivés en France, ses cadres se sont fondus dans la vie juive communiste parisienne, via par exemple la Kultur Liga et les sections de la Main-d’œuvre étrangère du PCF fondée en 1924 et devenue la Main-d’œuvre immigrée (MOI) en 1932. Lors de la dissolution du PCF en 1939 (en raison de son refus de condamner l’accord entre Hitler et Staline), une partie de ses membres se lance dans la lutte armée après le début de l’opération Barbarossa. Parallèlement, l’UJRE organise des sauvetages des enfants.

À la Libération, il s’agit pour le PCF de conquérir le monde juif — comme il cherche à contrôler le monde ouvrier — par l'intermédiaire de ses organisations satellites. L’un des enjeux est de faire main basse sur les organisations qui prennent en charge des 12 000 enfants – orphelins dans leur immense majorité ou dont les parents ne peuvent s’occuper. Les communistes, via l’UJRE, tentent de se fondre dans l’Organisation de secours aux enfants, née en 1941. Mais les tentatives d’organisations unifiées sont un échec ; les méfiances sont déjà trop grandes. L’entrée dans la Guerre froide rend finalement toute organisation unitaire impossible, d’autant que l’UJRE s’aligne immédiatement sur les positions soviétiques, mettant fin au financement de l’Americain Jewish Joint Distribution Commitee. La CEE se développe donc de manière autonome. Elle fonctionne selon la double dimension du communisme : téléologique et sociale. L’objectif premier est de transformer la société. Pour y parvenir, il faut remplir une fonction sociale, en l’occurrence humanitaire : placer les enfants, les aider et les éduquer.

Sociabilité et communisme

Entre sa fondation en 1945 et sa disparition en 1994, la CCE remplit plusieurs fonctions. Elle gère notamment l’éducation de plus 400 orphelins, à laquelle une partie du personnel est spécifiquement dédiée. Les enseignants mettent en œuvre les principes du pédagogue soviétique Anton Makarenko, qui mêlent esprit de classe et éducation individuelle, obéissance et autonomie. En raison des origines d’une partie des éducateurs, l’influence du pédagogue polonais Janusz Korczak est également forte, de même que celle de Maria Montessori ou de Célestin Freinet. La CCE est un véritable système éducatif : chacune des maisons d’accueil couvre une tranche d’âge pour les orphelins. Leur objectif est de panser les plaies et d’offrir une insertion professionnelle. Mais le nombre de foyers diminue rapidement, et le dernier ferme en 1958.

Entre-temps, la CCE est également devenue organisatrice de colonies de vacances, laissant des souvenirs joyeux à ses anciens participants. On y retrouve toutes les caractéristiques des colonies de vacances traditionnelles : chanson, spectacle, jeux, sport, etc.

L’ouvrage insiste sur la place de la CCE dans le monde de la culture, évoquant le film « Nous continuons » qu’elle produit en 1946. L’association bénéficie du soutien des artistes, comme en témoignent les listes de versements effectués et des cadeaux offerts. La majeure partie des artistes et des intellectuels communistes ont versé leur obole, mais la liste des donateurs et soutiens s'étend au-delà : on y retrouve Georges Duhamel ou encore le galeriste Daniel Henri Kahnweiler.

Jusque dans les années 1970, les maisons d’enfants puis les colonies ont entretenu la mémoire de la Résistance et de la répression, davantage que celle de l’extermination. La part de la propagande est particulièrement importante et l’incrustation dans la contre-société communiste transparaît. Chacun des grands moments de l’action du PCF apparaît dans les reproductions des dessins d’enfant : l’exaltation de la Résistance et des bâtisseurs – avec par exemple des dessins du futur dessinateur d’Hara-Kiri et humoriste Roland Topor – le pacifisme du mouvement de la paix pendant la guerre froide, les luttes syndicales parfois tragiques comme lors du conflit social à Brest en 1950 ou encore les hommages à Maurice Thorez. L’histoire juive ne disparaît pas totalement, comme le montrent les commémorations de l’insurrection du ghetto de Varsovie ou les dessins accompagnés de texte en yiddish ; mais la mémoire du génocide reste toutefois secondaire. En témoignent le slogan même de l’association (« les enfants de fusillés et de déportés »), qui englobe toutes les victimes, indifféremment.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’Association des amis de la CCE, chargée d’entretenir une flamme mémorielle dans laquelle la dimension juive surgit comme un retour du refoulé. L'association organise des commémorations, des rencontres et des publications d’ouvrages. La distinction opérée entre histoire et mémoire permet, d'une manière sans doute involontaire pour les auteurs, de faire apparaître les différences entre le communisme réel et perçu.

À la lecture de cet ouvrage richement illustré, il est néanmoins possible d’émettre quelques regrets. Les liens avec d’autres mouvements de masse du PCF comme les Pionniers n’ont pas été établis. L’utilisation au moins temporaire des propriétés appartenant aux organisations proches du PCF (comme Famille nouvelle ou le Secours ouvrier international, devenu après sa fusion avec le Secours rouge international le Secours populaire) est absente. Enfin, et peut-être surtout, l’encadrement initial de la Commission centrale de l’enfance, fortement marqué – dans les premières générations du moins – par la place des Kominterniens et d’une grande partie de l’appareil clandestin du PCF et de l’IC, n’est pas analysé. Ce qui vient confirmer la réserve qui peut naître à la lecture de la présentation introductive, intitulée « la mémoire prend le relais de l’histoire » : la mémoire ne rend malheureusement pas compte de l’histoire dans toutes ses dimensions.