Nathalène Reynolds décrit le quotidien de la population du Cachemire, entre rejet des forces de sécurité indiennes et pression des groupes qui revendiquent son rattachement au Pakistan musulman.

Il est un ancien État princier du Raj (Empire) des Indes britanniques qui continue de préoccuper chercheurs, observateurs et journalistes : celui du Jammu-et-Cachemire. L’ancienne principauté du Maharajah Hari Singh est aujourd’hui divisée en trois zones. Un premier ensemble, placé sous administration indienne, est formé par le Cachemire et le Jammu d’une part, et le Ladakh d’autre part   . Un deuxième ensemble regroupe trois régions sous administration pakistanaise : l’Azad Kashmir (ou « Cachemire libre ») d’une part, ainsi que le Gilgit et le Baltistan d’autre part   . Enfin, la République Populaire de Chine s’est emparée d’une troisième zone, constituée par l’Aksai Chin   , suite au court conflit frontalier qui l’opposa à l’Inde à la fin d’octobre 1962.

Enjeux de l’Inde musulmane

Ce que l’on nommait les Divisions du Cachemire, du Jammu et du Ladakh constituaient, jusque il y a peu, l’État indien du Jammu-et-Cachemire. Quant à la vallée du Cachemire et aux districts à majorité musulmane de la plaine de Jammu (Doda, Poonch et Rajouri), ils retiennent l’attention de la « communauté internationale »   , des organisations humanitaires ainsi que des défenseurs des droits humains, depuis la fin des années 1980 et le milieu des années 1990 respectivement.

Le 7 août 2019, le gouvernement – à dominance nationaliste hindoue – du Premier ministre Narendra Modi décide, par la voix du Président de la République Ram Nath Kovind, d’un règlement unilatéral de la problématique du Jammu-et-Cachemire. Il abroge l’alinéa A de l’article 35 et l’article 370 de la Constitution du pays, qui garantissait la pérennité d’une autonomie – dont la population musulmane du Jammu-et-Cachemire déplorait, au demeurant, le caractère purement symbolique...

Le 31 octobre de cette même année, les chambres haute (le Rajya Sabha ou Conseil des États) et basse (le Lok Sabha ou Chambre du Peuple), réunies en Parlement, adoptent à la hâte la Jammu and Kashmir Reorganisation Act (Loi sur la réorganisation du Jammu-et-Cachemire), procédant ainsi à la dissolution de l’État du Jammu-et-Cachemire. Ce dernier a, en quelque sorte, fait place à deux territoires (celui du Jammu-et-Cachemire, et celui du Ladakh) que le gouvernement central de New Delhi administre directement. Le Pakistan, pour sa part, a vainement tenté de saisir le Conseil de Sécurité de l’ONU, rappelant que celui-ci avait recommandé – au début des années 1950 – l’organisation d’un plébiscite qui autoriserait les populations de l’ancien État princier du Jammu-et-Cachemire à s’exprimer.

Inde-Pakistan : de l’inimitié au conflit

Dans un premier ouvrage intitulé Le Cachemire dans le conflit indo-pakistanais (1947-2004), Nathalène Reynolds s’était penchée sur la problématique du Jammu-et-Cachemire sous administration indienne, de l’indépendance du sous-continent indo-pakistanais au début de la décennie 2000. Elle avait tout particulièrement tenté d’analyser le phénomène de la réécriture de l’histoire récente de cette région qui, au lendemain de l’éclatement du mouvement armé dans la vallée du Cachemire, devait renforcer les revendications respectives des trois parties au conflit : l’Inde, le Pakistan et les Cachemiris partisans de l’azadi – vocable ourdou et cachemiri qui désigne ici la quête de liberté des populations musulmanes de l’ancien État princier du Jammu-et-Cachemire.

Dans La vie quotidienne des Cachemiris au temps de la militance (1988-2009), publié au mois de décembre dernier, l’autrice s’attache à décrire le sort de la population civile cachemirie, partisane de la fin de ce qu’elle qualifie d’« occupation indienne ». Cette population est otage des forces de sécurité indiennes mais également d’une militance qui prône non plus l’indépendance du Jammu-et-Cachemire mais son rattachement au foyer musulman par excellence, à savoir le Pakistan.

Ce second ouvrage est divisé en deux longs chapitres. Le premier, outre des esquisses de scènes de la vie quotidienne des Cachemiris et des drames qui la hantent, revient sur les paradoxes de l’azadi, la quête de liberté, alors que la population consent à une collaboration avec la « puissance occupante » indienne, qui augure mal de son départ.

Le second chapitre examine la problématique de l’« interrogatoire » qui, dans la vallée du Cachemire, est synonyme de torture, et la politique de répression que New Delhi y a engagé en 1990. Nathalène Reynolds examine ainsi de front une question souvent éludée lorsqu’il s’agit des pratiques policières et militaires de « la plus grande démocratie du monde ». Symétriquement, elle développe une analyse historique et politique de la stratégie pakistanaise au Jammu-et-Cachemire – qualifiée par l’Inde de proxy war (ou « guerre par procuration ») – qui remet en cause le mythe de l’allié pakistanais dévoué à la « cause » cachemirie.