Ces textes élaborés dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master « Écopoétique et création » de l’Université d’Aix-Marseille nous ouvrent les yeux sur les fragiles beautés du monde vivant.

Pour ou contre les ateliers d’écriture ?

Faut-il former les écrivains, comme le font les Américains et plus largement les anglophones depuis belle lurette ? Ou faut-il compter, encore et toujours, sur le génie d’invidus qui sauront toujours apprendre à écrire par eux-mêmes ?

On connaît les arguments en forme de clichés ou d’analogies des uns et des autres : imagine-t-on Musil, Kafka, Joyce étudiant l’art d’écrire à l’université ? Non, certes, mais on apprend bien aux compositeurs à composer, aux peintres à peindre, aux sculpteurs à sculpter, aux architectes à architecturer… Et outre l’exemple classique de Raymond Carver, Flannery O'Connor, Kazuo Ishiguro ou encore Philip Roth ont fréquenté des ateliers d’écriture où ils ont appris à fabriquer les vitamines du bonheur qu’ils administrent à leurs lecteurs.

En théorie, les uns ont raison, et les autres aussi. Alors faisons comme Ésope, et mettons fin aux arguties en mangeant des figues, c’est-à-dire en lisant.

Les éditions Wildproject ont été pionnières en matière de défense d’une littérature soucieuse de l’environnement et attentive à ce qui n’est pas humain, et notamment à l’animal – Anne Simon, la papesse de la zoopoétique, y a récemment publié un essai marquant sur les bêtes que l’on rencontre en lisant entre les lignes. Ces éditions viennent de publier un recueil de textes élaborés dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master « Écopoétique et création » proposé par l’Université d’Aix-Marseille.

Et le résultat en est pour le moins convaincant. On ne remarque, à la lecture de cette série de textes, aucune trace d’uniformisation, de nivellement, d’arasage. Au contraire, on a le sentiment que chacun des auteurs a appris à cultiver son idiosyncrasie, à coller au plus près de sa personnalité, à être inégralement fidèle à lui-même. De là un recueil qui, fidèle à l’éthique des écopoéticiens, est placé sous le signe de la diversité – des sujets, des tons, des styles, des rythmes, etc.

Réveiller les consciences écologiques

On ne voudrait pas gâcher le plaisir de ceux qui auront la bonne idée d’acheter le livre (lequel, soit dit en passant, donne aussi à voir de belles images qui, bien plus que des illustrations, constituent des œuvres à part entière qui ne se contentent pas de faire écho aux textes, mais entrent en dialogue avec eux, sans qu’on puisse établir la moindre hiérarchie entre le vu et le lu). Mais donnons tout de même un petit aperçu – largement lacunaire – des trésors que renferme ce volume.   

Qu’est-ce que les « fagnes » ? On le saura – peut-être – si on lit les trois pages que signe Sandra de Vivies – on saura ce qu’elles sont, qui elles sont, ou du moins, on aura entendu leur voix, à la première personne qui plus est.

Quelle est le vrai nom de Mururoa ? On l’apprendra – ou pas – en découvrant le texte de Cathy Jurado, placé sous l’égide inquiétante de Saint-John Perse : « L’été de gypse aiguise ses fers de lance dans nos plaies, / J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisons, / Et, sur toutes grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante. »

De quoi Ada est-il, est-elle le nom (à part d’une héroïne ardente de Nabokov, bien entendu) ? C’est ce qu’on entraperçoit en lisant les phrases en forme de fulgurances d’Alice Baylac : « Ada dans l’appartement. Et dans le même temps Ada dans un bois. Ada sur un sentier. Ada bord de mer. Ada la mer ça te prend. » On n’en dira pas plus, pour laisser à la meute des lecteurs le plaisir d’éventer le gibier.

Qu’est-ce qui se cache dans ou sous le pergélisol ? Émile Poivet nous le dit – mais il ne nous dit pas, en revanche, ce que nous réserve l’avenir, même si on tremble à lire les dernières lignes de son écofiction hélas trop peu fictionnelle : « Le pergélisol fondu a libéré le cadavre d’un renne mort au haut Moyen Âge. Au contact de l’air, le renne reprend le cours de sa vie, c’est-à-dire le cours putréfiant de sa longue mort. Des spores et des gaz enfermés dans le cadavre du renne tout au long de son séjour en dehors de l’espace-temps, se mélangent à l’atmosphère et dérivent dans les courants froids au-dessus de la banquise. Quelques kilomètres plus au sud, un troupeau de rennes succombe à un mal inconnu. »

Bref, on sera sans doute plus savant en refermant ce livre qui prouve, si besoin était, que la littérature peut instruire sans rien perdre de sa littérarité ; mais, en revanche ou en contrepartie, on sera moins tranquille. Tant pis si la formule de Kafka est galvaudée – « un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. » On la paraphrasera tout de même : ce recueil fait fondre le pergélisol de l’indifférence et du déni écologique en nous. Et ce réchauffement du climat moral est bien le seul qui soit acceptable en 2022.