Dans ce premier roman à la construction inquiétante, l’auteure, née en 1991, suit Gabrielle pendant sa difficile adolescence dans le Sud-Ouest.

Même si aucun lieu n’est nommé, le lecteur reconnaît cette région, car il est question de la Ville Rose, de la Ville des fous, de la Ville du Jazz, d’un « pèlerinage à la Grotte », dans le parcours de la jeune héroïne. Le prologue est suffisamment angoissant pour qu’il ait envie d’en savoir plus : « Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champs. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s’élance minuscule dans un labyrinthe de maïs, poussée par une urgence aiguë, par le besoin soudain de voir, d’être sûre. » Il faudra attendre la fin du roman pour identifier la voix narrative, et comprendre cette course éperdue dans les champs et la nuit. Cette construction romanesque est une belle prouesse dans un premier roman et permet pour finir d’en relier tous les fils.

 

Dans un corps adolescent

Le lecteur suit l’héroïne dans sa croissance au milieu de cette campagne où elle est née et se demande ce que sont ces araignées dans son souffle, toutes ces bêtes noires qui l’empêchent de respirer, qu’elle cache et que personne ne remarque, ou trop tard. Il la voit cesser de manger tout en faisant croire qu’il n’en est rien. Il assiste à ses entraînements de gymnastique, mais ne la suivra pas dans la section sport-études où ses parents refusent finalement qu’elle s’inscrive. Ses silences, son énergie, sa vitalité qui vient buter contre le monde entraînent le lecteur dans une quête qu’il ne comprend pas toujours, où il s’agit de quitter l’enfance, au prix d’initiations douloureuses.

 

Portrait de groupe avec fille

Ce roman est aussi l’occasion d’un tableau de famille sur quatre générations, avec un regard particulier posé sur les femmes et les événements d’une vie. La naissance de l’héroïne est difficile : « Gabrielle voit le jour un soir de mai, trois mois avant le terme. Elle devait naître en août, elle devait être lionne, et je crois qu’au fond elle l’a toujours été, orgueilleuse et pressée, entrée dans la vie avant l’heure, les poumons pas complètement finis, le cœur affolé et le souffle court. Depuis la première seconde Gabrielle est une résistante : un œuf qui a creusé sa survie dans le ventre de sa mère. » On la suit à son baptême, à sa communion, à l’école ou dans ses exploits de gymnaste. Les femmes autour d’elle sont habituées à se dévouer et à se taire. Et le silence grandit autant qu’un corps.

 

Ce premier roman séduit par ses qualités de construction et son écriture sensible et énigmatique qui renouvelle la perception que l’on peut avoir de l’adolescence, par une plongée intime dans un corps en mutation et plein de terreurs.