Un livre qui mérite d'être vu, offrant un regard essentiellement esthétique sur Paris occupée. Ce qui peut choquer. Y manque une mise en contexte critique.

Les Parisiens sous l’Occupation, Photographies en couleurs d’André Zucca est le catalogue d’une exposition polémique   , qui se tient jusqu’au 1er juillet à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Le livre retient 170 des 270 photographies couleurs exposées. Sur une alternance de fonds blancs ou beiges, apparaissent les images d’André Zucca (1897-1973) dans une grande sobriété. La préface de Jean-Pierre Azéma, qu’on aurait voulu plus longue, remet dans leur contexte les seules photographies en couleurs faites par un photographe français pendant l’Occupation. Mais le livre est d’abord un livre d’images, avec très peu de texte. Le lecteur est tout de suite confronté aux images. Et il peut s’en étonner.

Quelle est cette atmosphère au calme et à l’élégance insoupçonnés qui se dégage de la capitale et de ses habitants ? Les enfants jouent, les femmes sourient, les gens se baignent, s’assoient au café, font leurs emplettes. Pourtant, il y a aussi ces photographies d’affiches de propagande, de défilés militaires, de la milice, de Juifs contraints au port de l’Étoile jaune (seulement deux), de drapeaux nazis… Tout cela coexiste chez Zucca. A part le Sud de Paris, l’objectif de Zucca a bel et bien balayé la capitale. On l’imagine assez bien à vélo ou à pied, son appareil en bandoulière, se mêlant aux passants par de belles journées, car son Paris est toujours ensoleillé, négatifs couleur de l’époque obligent.

Le livre se déroule en six promenades dans la ville de Paris. Toutes partent de la place de la Concorde, point apparemment névralgique pour Zucca. Les six photographies de la Place, qui lancent les chapitres, annoncent à chaque fois dans quelle direction le lecteur va partir. La première promenade trace vers l’Ouest. L’œil de Zucca déambule sur les Champs-Elysées, au bois de Boulogne et à Longchamp, où se pressent des élégantes. Après cette visite des quartiers huppés, retour à la Concorde, mais cette fois-ci pour remonter vers l’opéra Garnier et suivre les Grands Boulevards jusqu’à République. Une troisième pérégrination regroupe les photographies des bords de Seine, du Trocadéro au Quartier Latin. L’objectif nous promène alors le long des quais, sous le pont des Arts, et bifurque vers le boulevard Saint-Michel et le jardin du Luxembourg.

Puis, il est temps de quitter la rive gauche pour une autre traversée d’ouest en est, cette fois depuis Rivoli jusqu’à Vincennes, en passant par les Halles et le Marais. Après l’harmonie des jardins du Palais-Royal, on retrouve l’agitation populaire du quartier des Halles et de la foire du Trône. La dernière véritable promenade du livre nous dirige vers les quartiers Nord de Paris, toujours depuis la Concorde, mais cette fois, l’itinéraire rejoint la place de Clichy et Ménilmontant, n’oubliant ni Montmartre, ni les Puces. Puis, tout s’arrête très vite à la Libération, le dernier temps du livre, notamment parce que Zucca est en procès et risque l’indignité nationale. Il photographie à peine la liesse populaire, montrant plutôt une foule en marche, pas si souriante que cela. L’équilibre est partagé entre les gens et les lieux. Zucca nous offre tantôt une ville quasi-déserte, comme ces photographies enneigées de l’hiver 1942, tantôt un Paris animé, rempli d’une foule de gens.

A l’intérieur de ces parcours, aucune progression chronologique ou dramatique, seules les légendes signalent le temps et le lieu. Elles ne sont pas de Zucca, sauf dans quelques rares cas. Chose frappante, le regard du photographe est resté inchangé de septembre 1941 à août 1944. C’est face à cet aplanissement de la réalité qu’on aurait voulu que le livre soit plus critique. On en ressort un peu déboussolé : il y a cette femme qui tend à son compagnon de belles cerises bien rouges, assorties à ses lèvres peintes, ou ce couple riant aux éclats au Jardin du Luxembourg, un exemplaire de Signal posé sur la table devant eux. Précisons que Signal était le magazine bimensuel diffusé par la Wehrmacht, pour lequel Zucca photographiait, qui n’était autre qu’un journal de propagande allemande destiné à l’Europe occupée, et au titre duquel il pouvait se procurer les rares pellicules Agfacolor.

Ce livre mérite sans aucun doute d’être vu. Il met sous nos yeux des photographies uniques, inédites, surprenantes. Mais il ne permet que trop peu de remettre ces images dans leur contexte. Si ce qui rend ces images exceptionnelles est certes la couleur, il ne faut pas pour autant se laisser piéger par leur beauté. Cette possibilité de photographier en couleurs n’allait pas sans une certaine compromission de Zucca, et disons le mot, sans sa collaboration. Au fil des pages, on regrette donc l’indigence de l’appareil critique, avec ses légendes laconiques et ses têtes de chapitres maigres et un peu décalées. On aurait attendu par exemple une biographie plus conséquente de Zucca. Le titre gêne aussi. Pourquoi l’appeler "Les Parisiens sous l’occupation" ? Ce sont plutôt "Des parisiens sous l’Occupation", ceux que l’objectif d’André Zucca, qui privilégie dans ces photos l’esthétique avant tout, a bien voulu voir. Il s’agit de sa propre vision de Paris sous l’Occupation. C’est le regard d’un photographe doué qui a préféré les visages souriants et poupons aux visages émaciés et tristes, les cafés chics aux files d’attente devant les magasins... C’est le regard d’un homme qui a refusé de regarder la guerre en face.


> Voir le programme de l'exposition à la Bibliothèque historique de la ville de Paris.
> Ce livre a fait partie de la sélection officielle du Mai du livre d'art. Voir notre dossier.


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crédit photo : tangi_bertin / flickr.com