La biographie érudite et rigoureuse de l’une des figures les plus importantes, les plus fascinantes et les plus déconcertantes de l'histoire de la musique.

Lou Reed est à la mode ce printemps. Et ce, paradoxalement, grâce à ce qui fut l’un de ses échecs commerciaux les plus cuisants : l’album Berlin. Le récent film documentaire éponyme de Julian Schnabel nous a remis en mémoire cet opéra-rock profondément tragique, repris sur scène par son auteur depuis deux ans. Berlin sera d’ailleurs joué dans quelques semaines à la salle Pleyel de Paris. Hors Collection choisit donc le bon moment pour compléter la première édition de cette biographie, originellement publiée en 2001 chez le Serpent à Plumes.

On connaît Bruno Blum pour son amour du reggae. Outre son travail de production sur plusieurs albums de Serge Gainsbourg (dont le sublime Mauvaises nouvelles des étoiles), il a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Le choix de Lou Reed peut surprendre. Pourtant, Blum le fréquente de longue date : "Quand j'étais adolescent, je me passionnais pour le rock, et c’était le seul qui n'avait pas l'air d'un hippie. Il me mystifiait et me fascinait. J'ai volé tous ses disques", écrit-il.

Un aspect primordial du personnage de Lou Reed est ici soulevé : sa personnalité singulière, qui en a toujours fait un électron libre du rock, et qui constitue la matière première de cette passionnante biographie. À la lumière d’une documentation précise et fouillée, le lecteur suit, année après année, la vie et l’œuvre de ce dandy électrique et électrisant. De sa jeunesse tourmentée à Brooklyn à l’hyperactivité de ses soixante-quinze ans, Blum nous brosse le portrait d’un homme à travers trois grands chapitres : l’autodestruction, la rédemption et la transcendance. Sont ainsi racontées les années d’école, passées à écouter le rock’n’roll américain naissant, puis les électrochocs subis pour "guérir" son homosexualité – et qui le traumatiseront à vie. Viennent ensuite les années universitaires, celles du premier amour de Lou Reed, pour la belle Shelley, et de la rencontre avec les membres du mythique Velvet Underground. Lou Reed est alors lâché en pleine jungle artistique new-yorkaise, à laquelle il injecte son venin et son génie. Les rencontres, collaborations et créations à la fois artistiques et personnelles vont se succéder et s’entremêler, baignées de toxicité. Warhol, la Factory, la drogue, la belle Nico, Bowie, le grand succès de Transformer et l’immense échec d’un Berlin incompris, Rock’n Roll Animal, le scandaleux et réputé inaudible Metal Music Machine, etc. Selon Blum, "Lou peut être très gentil et plein de bonnes intentions", mais peut aussi se révéler un vrai démon. Et bouleverse tous ceux qu’il rencontre. Sa fièvre rimbaldienne et son extrême modernité sont néanmoins souvent incomprises. L’homosexualité, la prostitution, la drogue, le sadomasochisme, les travestis : Lou Reed chante des sujets brûlants avec une distance glaciale qui a fasciné plusieurs générations. "D’autres te croient froid quand tu brûles / Ils croient que c’est ça le problème", dit-il dans sa chanson Vicious Circle. Cette biographie nous révèle ainsi un homme torturé et implacable. "Mieux vaut être de son côté sinon il est cruel et impitoyable, nous confie l’auteur. Il est brillant et talentueux, mais il est aussi prétentieux et en demande constante de reconnaissance."

Puis vient le calme d’après la tempête. Celui que l’on a volontiers surnommé "le parrain du punk" trouve une forme de paix avec les eighties, de nouvelles inspirations, des tournées encourageantes et sa troisième épouse, Laurie Anderson. Il y a aussi Paul Auster, l’éphémère reformation du Velvet, un Perfect Day sorti du placard et qui devient culte, le surprenant Ecstasy…

On apprécie dans cet ouvrage rigoureux et détaillé la constante mise en parallèle de la vie privée et de la vie publique, énumérant les grands et petits événements du parcours de Lou Reed depuis sa naissance. Loin de se contenter de détails intimes et croustillants (et Dieu sait s’il y en a), Blum décortique aussi chacun de ses albums, chanson après chanson. Sur près de cinq cents pages, il réussit donc à plonger le lecteur dans cette existence étrange, ces disques inégaux, ces reprises sans fin, ces colères et ces addictions. Et à révéler une ténacité hors du commun. En effet, "personne ne pensait qu'il vivrait jusqu'à l'âge de quarante ans", plaisante Blum. Tout le monde, une fois encore, se trompait. Éternel phénix qui renaît de ses cendres, Lou Reed est animé d’une inexplicable rage de vivre et d’un pragmatisme déconcertant : "Je suis devenu clean parce que sinon j’en serais mort. Alors j’ai cherché une autre folie. J’ai cherché le son parfait, l’album parfait. C’est juste une autre manière de survivre."


> Voir le programme du concert Berlin du 28 juin 2008, à la salle Pleyel.

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crédit photo : the SUN KING / flickr.com