Ce n'est pas à un récit d'anecdotes que se livre Thierry Le Rolland, mais à une approche de ces marges de la littérature où l'écrivain puise son énergie.

Collecter, coller, rassembler, associer les objets auxquels se sont attachés des écrivains : tel est le travail littéraire auquel s’est livré Thierry Le Rolland. Collectionner apparaît souvent comme une manie, une forme de fétichisme aussi. On y voit aussi la trace d’un plaisir enfantin. Peut-être, mais l’explication demeure trop légère. C’est par la rencontre avec l’intimité au monde des écrivains que Thierry le Rolland, établit entre chacun le fil d’une association, celui de la cocasserie et de son aura, la marotte, étymologiquement, « un sceptre surmonté d’une tête coiffée d’un capuchon garni de grelots »   .

Walter Benjamin définissait ainsi le collectionneur : « Aux yeux du collectionneur, en chacun de ses objets le monde est présent. Et ordonné. Mais ordonné à travers des connexions surprenantes, voire incompréhensibles au profane. » Les papillons de Nabokov, le boomerang de Gracq est à son tour une collection d’écrivains : des histoires singulières, des lieux hors et à la marge du commun, un autre temps qui ouvre sur l’intimité de l’écriture.

Ecriture du déplacement

Raymond Roussel voyageait dans sa roulotte automobile « à cultiver sa mélancolie de poète reclus »   . Se tenir à l’écart de la banalité impersonnelle du voyage en train et de ses arrêts prévisibles, voilà qui explique son souci de singularisation. Ce grand lecteur de Jules Verne, amateur de vulgarisation scientifique, dessinera lui-même les plans de cette « villa nomade » qui se déplace à quarante kilomètres heure. Elle lui permet de voyager au coeur de son intimité au monde, faisant de ce « yacht sur terre » selon l’expression d’un journaliste, la métaphore de son travail d’écrivain. Traduction du Nautilus ou encore « métaphore du bateau et de sa cabine, symbole de clôture et d’enfermement »   , très vite la « maison roulotte » subit le destin de toute métaphore. Admirée , elle est poursuivie par le public, rompant avec l’intimité recherchée. Raymond Roussel l’abandonne sur une voie de garage.

 

S’abstraire du réel

La roulotte est fille du cirque. Avec Alfred Jarry, le cirque est ce circuit où le cycliste, libéré de la pesanteur poursuit la course jusqu’à épuisement, proche en cela des jeux du cirque. Excentrique et concentré sur sa bicyclette, Alfred Jarry, dans un jeu d’équilibre tendant au surplace entre en « homme vélo »   dans la littérature, s’installant jusque dans les mots du texte de Thierry Le Rolland. Traces de la force d’inertie portée par l'homme et la machine, qui font oeuvre commune. Le vélo ouvre à la présence d’un monde libéré de tout paysage. Le vélo est dépaysement et tient la géographie à l’écart. Pur espace de cycles : « Ces cyclistes qui roulent derrière des entraîneurs en tandem, triplette,quadruplette, quintuplette, sextuplette […] atteignent des vitesses vertigineuses    ».L’effort fourni par les cyclistes au moment de la course voit triompher le second principe de la thermodynamique: « L’un des cinq coureurs, Jeweys Jacob, meurt d’épuisement pendant l’épreuve mais sa rigidité cadavérique se transforme peu à peu en énergie motrice. »   La mécanique se fait organique, dépassant le jeu clownesque du père Ubu. Son goût pour la vitesse en fait « un centaure moderne qui par tous les temps, fuse, déboule, jaillit »   . Les mots fusent à leur tour, portés par leur propre énergie.

 

 

Se dissimuler, se travestir

Pierre Loti porte des costumes, à la façon d’un Monsieur Loyal ou encore d’un acrobate. Mais paradoxalement l’attrait de l’écrivain pour les costumes et le folklore qui s’y rattache, est une volonté de passer inaperçu. Il s’agit de se fondre dans le paysage local.

Jusqu’à devenir une œuvre. L’ultime est atteint avec « le déguisement de pierre »   . Il transforme sa maison natale à Rochefort-sur-Mer en Temple de l’exotisme, lieu accumulant toutes sortes d’objets où chaque pièce porte les souvenirs du cours de sa vie. Protégé par l’oeuvre, il se fait démiurge, maître du temps dans un éternel retour à soi.

Les figurines, nouveaux personnages littéraires

Thierry Le Rolland procède à un inventaire des marottes à la limite de la manie, des écrivains. Découvrant au hasard d’une biographie la passion d’un auteur pour les soldats de plomb, il est touché par l’énergie investie et le temps passé pour « quelque chose qui peut paraître futile et insignifiant »   . Valéry Larbaud, puisque c’est de lui dont il s’agit, voit plus qu’un passe-temps dans la collection. Inactuelle, à distance de la mode éphémère par définition, elle participe du renouvellement des personnages Si on a reproché à l’écrivain de ne « plus écrire », absorbé par sa passion, n’était-ce pas plutôt du fait d’une conception étriquée de la littérature? Lorsqu’on déplore de le voir perdre tout son temps à « des trivialités »   , on néglige les textes qu’il consacre aux soldats de plomb et le démarquent d’un auteur comme Wells qui réduit ces derniers à un jeu pour grandes personnes.

 

Inventorier cette « hallucination lilliputienne du monde »

L’intérêt de Larbaud pour la variété des couleurs des uniformes qu’il développe dans son ouvrage Aux couleurs de Rome », paru en 1938, valorise le détail et  s’installe dans la jouissance « de la vue des couleurs »   . Plaisir qui cesse avec les uniformes militaires de l’uniformité. Ou du moins qui cesse pour se transformer. C’est le même plaisir qui se dégage de cette collection – à la limite de la collation- qui se dégage de ces divers visages du monde rassemblés par Thierry Le Rolland. Plaisir des sens qui nous renvoie à une esthétique, une réorganisation du réel en fonction d’une vision atemporelle, inactuelle.

« La petite monnaie de l’art »   , c’est ainsi que Paul Eluard qualifiait à tors les cartes postales. Elles sont des mondes en miniature. S’il procède comme les surréalistes, grands chasseurs d’objets eux aussi, en suivant le « hasard objectif », il découvre par la carte l’existence d’un art poétique ou artistique, affranchi des contraintes culturelles.

La liste continue

Thierry Le Rolland continue d’énumérer des noms d'écrivains, au risque de se perdre. A moins que l’âme du collectionneur soit de s’égarer dans l’objet, d'en perdre l'usage comme condition de la littérature et se retrouver à l'issue de l'histoire.