Un certain nombre d’erreurs persistantes en matière de gouvernement et de politique économique conduisent le pays dans le mur, explique le journaliste économique Guillaume Duval.

L’ancien rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques dresse dans ce petit livre tonique la liste des erreurs d’Emmanuel Macron et des représentants de la haute fonction publique, dont il est le parangon. Ces acteurs n’ont eu de cesse depuis des années, explique-t-il, de promouvoir une transformation de notre modèle économique et social, décidée d’en haut, dirigée contre les droits des salariés et la protection sociale, et finalement contreproductive.

Accroître la place du privé, y compris en procédant pour cela de manière autoritaire

La première de ces erreurs : « La France a besoin d’un nouveau Bonaparte » appartient en partie en propre à Emmanuel Macron, chez lequel l'assurance des représentants les plus éminents de la haute fonction publique - qui tient notamment à une conception de l’Etat qui place celui-ci en dehors et au-dessus de la société - se double de la certitude d’être l’homme providentiel dont le pays aurait besoin, justifiant ainsi au passage un centralisme et un autoritarisme croissants. Ce qui n'est pas sans tourner le dos, comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, à l’impression qu’il avait voulu donner pendant la campagne qui allait le conduire à la Présidence de la République.

La seconde erreur est plus commune : elle tient tout entière dans l’idée qu’« Il faut baisser les dépenses publiques », à laquelle la plupart des gouvernements auront heureusement renoncé pendant la crise liée à l’épidémie de COVID-19, mais qui revient en force aujourd’hui, en France en particulier. C’est vouloir ignorer, rappelle Guillaume Duval, le besoin croissant de « biens publics » qui caractérise les sociétés et les économies modernes, pour permettre le haut niveau de coopération qu’elles requièrent, mais également les avantages de la socialisation pour couvrir les risques, d’une part, mais aussi promouvoir la cohésion territoriale, d’autre part. Des prélèvements qui sont alors pour l’essentiel, pour ces deux derniers volets, immédiatement réinjectés dans l’économie privée. Comme c’est le cas d’une part importante de la dépense publique, ce qu’on oublie trop souvent. La baisse des dépenses publiques se traduit, lorsqu’elle est mise en œuvre, par une dégradation des services publics (car vouloir réduire les coûts et réformer sont le plus souvent deux attitudes foncièrement antagonistes), un abaissement du niveau de protection sociale dont bénéficient les citoyens (le recours au privé en la matière coûtant souvent beaucoup plus cher) ou encore une perte de cohésion territoriale.

Vouloir à toute force abaisser le coût du travail

Un autre mantra résume la troisième erreur : « Il faut travailler plus pour gagner moins ». Plus que l’évolution du coût du travail, pour lequel on ne constate pas de dérive sur les vingt dernières années par rapport aux autres pays européens, rappelle Guillaume Duval, il faudrait sans doute incriminer, pour expliquer la désindustrialisation qu’a continué de connaître notre pays sur la période, la forte augmentation du taux de change de l’euro avec les autres monnaies entre 2000 et 2008 (il a baissé ensuite). Mais surtout le comportement de bon nombre de dirigeants de grandes entreprises françaises qui, issus des grands corps de l’Etat, se sont montrés de bien piètres défenseurs des emplois industriels. On notera également le rôle déterminant de la priorité donnée aux emplois à bas salaires (en accroissant continument le montant des exonérations de cotisations sociales les concernant), bien peu cohérente avec l’effort mené par ailleurs pour élever le niveau d’éducation. Cela sans y consacrer des moyens suffisants ni remettre en cause une conception élitiste de l’enseignement qui n’avait plus guère de sens au regard de la très forte augmentation du nombre d’élèves suivant des études supérieures.

Le principal moyen de faire baisser le coût du travail consiste pour Emmanuel Macron comme pour la plupart des responsables de droite, qui n’ont cessé de stigmatiser les 35 heures à propos des difficultés que rencontrait l’économie française, d’allonger le temps de travail sans augmentation correspondante des salaires. Et ceux-ci d’invoquer, à l’appui de cette thèse, les écarts qui existent en matière de durée du travail avec nos principaux voisins (dont notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne). Il faut toutefois y regarder de plus près, explique Guillaume Duval. Si la durée de travail moyenne d’un salarié français à temps plein est en effet inférieure à celle de nos voisins, il n’en va pas de même des salariés à temps partiels, qui sont surtout des femmes, qui travaillent légèrement plus et qui sont par ailleurs moins nombreuses. On peut ainsi soutenir que l'écart ci-dessus tient surtout à la manière dont nos sociétés conçoivent la répartition des rôles entre les hommes et les femmes et le fait qu’elles acceptent ou non que ces dernières tiennent des emplois à temps très partiels (même si cela n’est évidemment pas non plus sans impact sur le nombre de chômeurs). 

Réduire le temps de travail des salariés à temps plein est alors un moyen moins inégalitaire de partager le travail, que de multiplier les emplois à temps partiels. C'est ce qu'avait montré le passage aux 35 heures, où la baisse des cotisations sociales avait pu être convertie en emplois (ce que n’ont pas réussi à faire autrement les tenants de ces baisses massives). Cela n’est toutefois pas sans effet sur ceux qui sont en emploi, pour lesquels une contrepartie de la réduction du temps de travail consiste dans une modération des salaires et/ou une intensification du travail, ce qui nécessite d’être expliqué (ce qui n’a pas toujours été le cas), faute de susciter sinon un nombre important de mécontents.

Et baisser les impôts des riches

La quatrième erreur consiste à se persuader qu’« Il faut diminuer les impôts des plus riches » en misant sur l'hypothèse que les revenus correspondant viendront irriguer l’ensemble de l’économie et profiteront in fine à toute la société. Le point est désormais bien documenté : ces baisses d’impôts se sont traduites partout dans le monde par un accroissement des inégalités, sans que l’on constate par ailleurs d’accélération de la croissance, au contraire. La mise en place progressive de mesures limitant l’évasion fiscale et la forte augmentation de l’endettement des Etats pour faire face à la crise liée à l’épidémie de COVID-19 poussent aujourd’hui à faire croître à nouveau les niveaux d’imposition des plus riches. On ne voit toutefois aucun signe d’inflexion de la position d’Emmanuel Macron sur le sujet.

Les Français paient beaucoup d’impôts et de cotisations sociales (cf. ci-dessus) mais le système fiscal français ne comporte guère que trois impôts réellement progressifs. Il s’agit de l’impôt sur les revenus des personnes physiques, des droits de succession et enfin du fameux impôt de solidarité sur la fortune, supprimé par Emmanuel Macron. Au tournant des années 2000, note Guillaume Duval (qui a recours ici à un indicateur astucieux), ces trois impôts représentaient ensemble 5,7 % du revenu des ménages. En 2002, ce taux avait été ramené à 4,9 % grâce à l’action énergique de Laurent Fabius pour baisser les impôts. En 2007, Dominique de Villepin avait abaissé celui-ci à 4,5 %. Et en 2009, Nicolas Sarkozy l’avait réduit à 4,1%, avant qu’il ne remonte sous la pression de la crise de 2009 à 4,9 %. Les mesures prises par François Hollande au début de son mandat l’avaient porté à 5,6 % en 2014, et il était même remonté sous l’effet de la hausse de la valeur de l’immobilier à 5,8 % en 2017, le niveau le plus élevé atteint depuis la fin des années 1990, qui avait ainsi suscité un fort mécontentement chez les plus riches, avant qu’Emmanuel Macron ne s’emploie à le faire baisser…

Décider d’en haut, réduire les dépenses publiques, baisser le coût du travail et diminuer les impôts des riches apparaissent désormais, et la crise du COVID-19 devrait renforcer encore cette appréciation, comme les mesures d’un quarté perdant, qui nous mène dans le mur. Et leur tourner le dos devrait ainsi être une priorité pour la gauche. On notera que les quelques pistes que formule Guillaume Duval à la fin du livre résonnent fortement avec les propositions pour une république sociale que la plate-forme La primaire populaire a réussi à faire adopter par la plupart des composantes de la gauche. Il ne faut toutefois pas se cacher, explique Guillaume Duval, que mener une politique beaucoup plus égalitaire, permettant de retrouver le soutien des classes populaires, ne pourra pas se faire sans mettre à contribution une partie des classes moyennes, des cadres et fonctionnaires, qui constituent la base sociale de la gauche. Le mythe de l’unité du salariat a vécu et l’on ne pourra pas financer ces politiques uniquement en prélevant davantage sur les 1 % les plus riches. Le motif le plus fort pour s’y rallier reste que sans cela Emmanuel Macron et l’aristocratie d’Etat qu’il incarne finiront pas faire exploser la société et le pays, conclut Duval, dont on aura compris qu’il ne mâchait pas ses mots. 

 

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