Au cœur de l’ « année Napoléon », qui commémore le bicentenaire de sa mort, ce livre, écrit comme un récit, héroïse, à travers quelques moments choisis, les luttes de Napoléon Bonaparte.

« A de multiples reprises [Napoléon] défia la mort » : voilà le postulat de l’ouvrage de David Chanteranne, historien non universitaire, rédacteur en chef d’une revue sur le souvenir napoléonien et de nombreux ouvrages sur l’empereur. Avec en fil conducteur le récit des dernières années à Sainte-Hélène, chaque chapitre reprend, sous forme de flash-back, un moment-clé de la vie de Napoléon, où tout aurait pu basculer…

 

Le crépuscule de Sainte-Hélène

L’ouvrage est construit comme un long récit des derniers mois de Napoléon Ier, depuis la défaite de Waterloo jusqu’à sa mort, le 5 mai 1821. Ainsi, au début de chaque chapitre, le lecteur revit les derniers moments de l’empereur déchu. Sur l’île d’Aix, trois semaines après Waterloo, alors qu’il espère encore rejoindre les États-Unis, il constate que les navires britanniques rendent impossible son projet : il négocie alors avec le roi anglais une installation en Grande-Bretagne, puis embarque en direction de Londres. Mais très vite, les cours européennes s’entendent pour le contraindre à un exil à Sainte-Hélène, où il arrive en octobre 1815 : il est alors forcé de s’installer en résidence surveillée au sein de cette île isolée et inhospitalière en plein atlantique sud.

C’est bien ici le récit d’une déchéance : « cet aigle monté si haut avant de se brûler les ailes à s’être cru Icare au milieu de cieux trop grands pour lui ». L’auteur s’attache ensuite à nous raconter son quotidien, entouré de certains fidèles, et où il tente, dans les premiers temps, de reproduire un semblant de vie de Cour. Parmi les proches, Las Cases et son fils, qui recueillent au quotidien ses mémoires, une des principales sources de cette partie du livre : s’il a perdu son empire, il est bien décidé à gagner la bataille du souvenir et s’occupe dans son exil à construire sa propre légende. Surveillé de près par le Britannique Lowe, qui le soupçonne en permanence de préparer une évasion, il jardine, se promène, mais constate que, peu à peu, son univers se délite, notamment lorsqu’en 1820, une grande partie de ses proches quitte Sainte-Hélène pour l’Europe.

Sa dernière année est celle d’une lente agonie : malade, seul, il se sait condamné à court terme. « Avant de quitter de monde, l’Empereur met de l’ordre dans ses affaires » : ses dernières forces sont consacrées à la rédaction de ses mémoires, « sorte de Bible laïque, manifeste politique et moderne ». C’est un homme brisé que nous décrit ici avec emphase David Chanteranne, qui reproduit des paroles ou des écrits de l’ancien empereur. Après son dernier souffle, son corps est autopsié : « [il] présentait […] plusieurs cicatrices, à savoir : une à la tête, trois à la jambe gauche, dont une sur la malléole externe, une cinquième à l’extrémité du doigt annulaire ; enfin […] un assez grand nombre sur la cuisse gauche ». Puis, il est inhumé, d’abord à Sainte-Hélène avant de rejoindre enfin les Invalides sous la Monarchie de Juillet, où « il atteint l’éternité ».

 

 

Un survivant ? La bataille du souvenir

Puis, à chaque chapitre, des rétrospectives nous sont proposées, comme autant d’anecdotes qui suivent l’itinéraire du jeune Napoléon Bonaparte devenu l’Empereur Napoléon Ier, et visent à corroborer le postulat de l’ouvrage. Tel un chat, tout au long de sa vie, par de multiples occasions – douze au moins - l’homme a échappé à une mort certaine.

Dès le départ, « il avait survécu à sa naissance, rien ne lui résisterait. Son prénom resterait à jamais sa marque unique. Sa spécificité. Mieux : son intemporelle signature ». Très vite, il entreprend une carrière militaire dans le cadre des opérations de la France Constitutionnelle contre l’Europe absolutiste et échoue à rallier les troupes sardes. Puis, en Corse, son opposition à l’indépendantiste Paoli, conduisant à sa mise hors-la-loi,  « signe son arrêt de mort » et le contraint à fuir l’île. La même année, à Toulon, encore inconnu, il parvient à renverser une situation délicate pour les troupes françaises alors que la ville est envahie par les Britanniques qui veulent restaurer les Bourbons : le jeune Napoléon devient général et populaire, mais est doublement blessé. « En quelques mois, d’exilé et inconnu, il s’était mué en homme fort d’une armée enfin victorieuse, principal espoir d’une République en devenir ». 

Si certains de ces épisodes paraissent un peu artificiels et par beaucoup d’aspects téléologiques, d’autres nous dépeignent un homme qui sait prendre des risques et se met en scène dans le danger. Ainsi, en 1798, lors de la campagne d’Égypte, il n’hésite pas à se rendre au contact des pestiférés de Jaffa, dans un contexte où « la mort rôdait partout ». Deux ans plus tard, le jour de Noël 1800, devenu un des plus importants dirigeants du Directoire, il échappe de peu à l’attentat qui le vise devant l’Opéra. Comme empereur, c’est ensuite sur les champs de bataille qu’il construit sa légende : il survit à une flèche lors de la bataille de Ratisbonne en avril 1809 puis à l’incendie de Moscou en 1812.

Les épisodes nous dépeignent certes un homme courageux mais qui a surtout le sens de l’utilisation politique de ses actes de bravoure : sa naissance est ainsi illustrée par une lithographie le représentant sur une peau de lion, devant une tapisserie représentant une scène de l’Iliade, plaçant sa naissance dans la continuité des grands mythes. De la même manière, la scène des pestiférés de Jaffa est réutilisée en France et mise en scène après le couronnement, en 1804, par Antoine-Jean Gros dans un célèbre tableau, tout à la gloire du général Bonaparte, devenu thaumaturge. Dans l’ouvrage figurent également des représentations de l’attentat de 1800 et de campagne d’Autriche, qui participent à la légende napoléonienne, de son vivant, puis après sa mort.

 

En somme, c’est un sentiment ambivalent qui traverse le livre autour d’un personnage héroïsé dont les derniers jours paraissent bien ternes : les allers-retours entre ses expériences glorieuses et sa fin de vie reculée contribuent à cette impression. Le livre se situe dans la continuité des hommages rendus à l’ancien empereur, qui semble dès le départ destiné à une existence glorieuse.