Après « Fugitive parce que reine » en 2018, la romancière poursuit sa quête identitaire et raconte sa traversée du Sahara après une rupture amoureuse.

Le rose des bleus, ou l’histoire d’une passion violente

Le premier roman de Violaine Huisman sur sa mère bipolaire, fantasque, destructrice mais aussi merveilleuse lui avait valu un beau succès critique et public. Dans ce deuxième livre, entre autobiographie et autofiction, elle continue à s’interroger sur ce que signifie être une femme aujourd’hui, dans toutes les dimensions du féminin, notamment la vie sexuelle, ce qui entraîne des pages à la fois très belles et très crues sur sa relation toxique avec un éditeur rencontré à New York où la narratrice est agent littéraire. Après un Bastille Day (c’est ainsi qu’on appelle le 14 juillet outre-Atlantique) où elle se serait intéressée à un autre homme, il la frappe : « Les traces de sa correction ont mis des semaines à disparaître. Il se pâmait en baissant ma culotte, béat d’admiration devant la rose – pourpre, verte, beige fané – qu’il avait peinte sur mon cul : Si tu savais, chérie, comme c’est beau. Si tu savais, mon amour. » Il se défend pourtant de l’aimer : « lust, not love », dit-il de leur liaison où ils se quittent sans cesse pour se réconcilier dans le sexe. « Comment était-ce possible d’aimer un homme à ce point ? Jusqu’à n’avoir plus aucun respect de soi, jusqu’à jouir de lui être soumise, jusqu’à baiser ses pieds avec adoration pourvu qu’il me relève et me plaque contre un mur. » Le rose du titre vient pourtant bien du désert, même si la violence des coups et des traces qu’ils laissent lui donne une polysémie complexe : « C’est en Mauritanie que des chercheurs ont découvert la plus vieille couleur au monde. Un rose profond, issu des pigments de fossiles moléculaires produits par d’anciens organismes photosynthétiques, qui auraient habité un océan disparu depuis des billions d’années. » C’est peut-être aussi une référence au roman Rose poussière de Jean-Jacques Schuhl, paru en 1972, soit sept ans avant que Violaine, « née le 8 mai 1979 », vienne au monde.

 

Un roman d’éducation

Le voyage du Maroc au Sénégal, avec un long séjour mauritanien et une traversée du Sahara, sans aucune connaissance géopolitique ni aucune conscience des dangers encourus, est l’occasion de jouer avec des clichés postcoloniaux et de dessiner des figures de baroudeurs qui se prennent pour Rimbaud en Afrique. Le roman se présente également comme une éducation sentimentale, un récit de jeunesse au tournant des années 2000, entre Paris et New York, sous la protection de la sœur aînée, et dans l’amour fou de la mère : « Bois de l’eau, bois, me répétait maman quand je sanglotais de manière incontrôlable. Bois, me dis-je, dans un torrent de larmes. […] J’entends maman me rappeler que c’est insupportable ce que je peux être pleurnicharde, que je chiale sans arrêt pour un rien, qu’il y a des guerres, des hommes qui crèvent de faim, et moi, pauvre petite connasse pourrie gâtée, c’est quoi mon problème ? J’aimerais mourir. » Cette écriture abrupte fait également une belle place à la figure du père, notamment dans l’évocation d’un de ses messages téléphoniques.

 

Baigné de littérature, ce roman fait entendre une voix singulière et sincère jusqu’à l’impudeur, poétique et crue à la fois et qui fait penser à la phrase bien connue d’André Breton dans L’Amour fou (1937), qui ferait un très beau sous-titre à Rose désert : « Je vous souhaite d’être follement aimée. »