Une introduction à la justice climatique qui revient sur ses origines, ses objectifs, les actions en cours (contre des Etats ou des entreprises) et sur la mobilisation de la science dans ce cadre.

Dans l’attente du second jugement dans « L’Affaire du siècle »     , alors que le projet de « loi climat »   fait débat et doit être examiné par le Sénat à partir du mois de juin 2021, que les initiatives lancées par la société civile et les actions en justice climatique se multiplient, l’ouvrage Justice climatique. Procès et actions de la juriste et directrice du réseau Droit et changement climatique Marta Torre-Schaub, apporte un éclairage utile sur cette nouvelle étape de la mobilisation pour la protection de l’environnement que constitue la judiciarisation de la lutte contre le dérèglement climatique par une société civile qui reproche leurs carences à la puissance publique et aux entreprises.

Après une introduction succincte, l’auteure précise les origines, les objectifs et la diversité des actions en justice climatique (chapitre 1) ainsi que le rôle que la science peut y jouer (chapitre 2). Elle étudie plusieurs actions engagées contre les Etats et les acteurs privés (chapitres 3 et 4) puis, avant de conclure, se focalise sur les actions en cours en France (chapitre 5).

 

Les procès climatiques : des actions diverses et multiples

Après avoir évoqué en introduction les premiers mouvements de justice environnementale de la fin des années 1960 et 1970 aux Etats-Unis ou encore ceux organisés par la société civile en marge des COP   à la fin des années 1990, l’auteure se concentre, dans son premier chapitre, sur la notion de « Climate Change Litigation » qui, en l’absence de définition précise, peut rassembler « tout litige administratif ou judiciaire fédéral, étatique, tribal ou local dans lequel les dépôts de pièces ou les décisions du tribunal soulèvent directement et expressément une question de fait ou de droit concernant la substance ou la politique des causes et des impacts du changement climatique »   .

Les objectifs de ces actions, qui montrent que la question du climat ne concerne désormais plus seulement les scientifiques et les négociateurs internationaux, sont multiples : lutter contre les inégalités résultant du changement climatique, faire prendre conscience à la communauté internationale ainsi qu’aux acteurs publics et privés de « la nécessité absolue d’agir de manière ambitieuse », et « influencer l’interprétation et l’application du droit climatique à travers le monde »   .

Ainsi, les quelque plus de 900 procès climatiques lancés dans le monde depuis 2010 sont, eux aussi, très divers. De l’action symbolique à celle visant un projet précis, engagés contre des Etats ou bien des acteurs privés, ils soulèvent des questions tant de droit international que de droit national, se fondant sur des conventions et engagements internationaux, des lois, les plans climats, les droits de l’Homme ou encore les droits de la nature puisque certaines décisions ont ainsi par ce biais protégé des fleuves, des animaux ou, plus récemment, la forêt amazonienne. On y compte, en outre, les procédures relatives à des actes de « désobéissance civile » fondés sur l’urgence climatique.

 

Le tournant de l’affaire « Urgenda »

L’auteure rappelle que, si la plupart des actions sont encore peu suivies d’effet en raison du manque de maturité des systèmes juridiques, du manque de formation des magistrats en matière scientifique ou de difficultés techniques, elles se multiplient et un véritable tournant a été opéré avec l’affaire dite « Urgenda », étudiée dans les premier et troisième chapitres de son livre et engagée par des acteurs de la société civile devant la justice néerlandaise     .

Le juge suprême y confirme l’analyse des juges du fond reconnaissant l’Etat responsable de son inaction en matière de lutte contre le changement climatique et lui enjoignant de réduire ses émissions de gaz à effet de serre en prenant les mesures qui s’imposent afin de remplir les objectifs de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015   , au nom de la protection des droits de l’Homme et notamment des articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Dès la première décision rendue dans cette affaire qui consacre pour la première fois l’obligation d’un Etat de se conformer aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le droit apparaît comme un nouveau moyen d’action de la société civile.

 

La science au secours des « plaignants »

Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, l’auteure rappelle l’importance de la science dans les procès climatiques, soulignant le rôle dans l’argumentation d’études telles que les rapports spéciaux du GIEC   de 2018 et 2019 sur le climat et les océans. La décision d’appel, dans l’affaire « Urgenda », a d’ailleurs été rendue, relève-t-elle, le lendemain de la publication du rapport spécial du GIEC du 8 octobre 2018 qui souligne la nécessité de maintenir le réchauffement planétaire en deçà de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici 2030.

 

Etats et entreprises sur le banc des « accusés »

Dans un troisième chapitre, l’ouvrage de Martha Torre-Schaub offre une étude rapide de plusieurs des contentieux engagés contre les Etats par des acteurs de la société civile qui demandent l’application d’un devoir de diligence et de vigilance face à l’urgence climatique, le respect de l’environnement et la protection des droits constitutionnels et des droits fondamentaux, mais se heurtent à des obstacles divers (séparation des pouvoirs et notion de qualité à agir, lien de causalité, possibilité de la réparation, individualisation du préjudice). Sont ainsi évoquées, outre l’affaire « Urgenda » déjà mentionnée, les actions en cours aux Etats-Unis, en Colombie, en Autriche, en Afrique du Sud ou en Australie.

Dans un quatrième chapitre, l’ouvrage étudie les contentieux engagés contre les acteurs privés et, notamment, contre les principales entreprises de l’industrie fossile. Ces actions, nombreuses aux Etats-Unis, visent à l’indemnisation des victimes des dommages causés par leurs activités, la prévention de dommages futurs ou la participation à l’adaptation au changement climatique. Si ces procès se heurtent à la difficulté d’établir une responsabilité personnelle et individualisée bien qu’ils mettent en avant la connaissance par les acteurs visés, souvent dès les années 1970, de l’impact de leurs activités, Martha Torre-Schaub rappelle comment cette difficulté peut être surmontée par les juridictions. Dans l’affaire Lliuya c/RWE, en 2017   , les juges allemands relèvent ainsi, souligne l’auteure, que la pluralité des acteurs responsables de la dégradation des sols du village du requérant, au Pérou, ne rend pas caduque la responsabilité de celui contre lequel l’action est engagée, ni son devoir d’éliminer les risques liés à son activité.

 

Un panorama de la justice climatique en France

Le dernier chapitre du livre se concentre sur les affaires engagées en France, tant contre l’Etat comme « L’Affaire du Siècle » que contre des entreprises, tels que les recours engagés contre Total en 2020 sur le fondement de son devoir de vigilance   . Il évoque également, au plan pénal, la question des actes de « désobéissance civile » et notamment l’affaire des « décrocheurs » du portait présidentiel qui ont pu, marginalement, être relaxés sur le fondement de l’ « état de nécessité »   .

Dans une conclusion qui sonne comme un plaidoyer, l’auteure souligne que la situation pandémique actuelle « suscite beaucoup de réflexions sur la prévisibilité d’une crise annoncée depuis longtemps – comme la crise climatique – pointant les retards ou défaillances de l’Etat dans sa gestion. Ces parallèles [écrit-elle] devraient nous inspirer [et nous permettre] d’initier une réflexion sur nos rapports à la nature et au non humain. » Elle appelle à ne pas attendre « de vivre des moments aussi désespérés pour agir » et à prendre « dès maintenant des mesures fondées sur la prudence et la vigilance plutôt que d’agir dans la précipitation et l’urgence »   .