Si les valeurs de la classe ouvrière américaine semblent opposées à celles du parti démocrate, il en va autrement de leurs intérêts d’après Joan C. Williams.

Publié au lendemain de l’élection présidentielle de 2016, ce livre (qui vient d'être traduit en français), d’une professeure de droit de Hastings (université de Californie), Joan C. Williams, reconnue pour ses travaux sur le statut des femmes et les enjeux familiaux au travail, a fait date aux Etats-Unis. Depuis, l’élection de Joe Biden a pu sembler conforter certaines de ses analyses et recommandations. 

La colère de la classe ouvrière blanche, que l’auteure situe comme appartenant à la classe moyenne   , est à l’origine de l’élection de Donald Trump, dans lequel celle-ci a reconnu son champion.

 

Des valeurs ouvrières en décalage avec le parti démocrate…

Le problème vient, explique l’auteure, de ce que les valeurs de la classe ouvrière, qui valorise le fait de travailler dur (dans un emploi qui a peu de chance d’être épanouissant), la stabilité, les valeurs familiales et traditionnelles, sont largement en contradiction avec celles des cadres supérieurs qui dominent le parti démocrate. Elles permettent de se forger une identité aux deux tiers de la population américaine qui n’a pas de diplôme universitaire et pour lesquels l’épanouissement au travail, la flexibilité, la mobilité ne présentent guère d’attraits, parce que largement hors de portée dans l’environnement où celle-ci évolue.

La classe ouvrière blanche est souvent dépeinte par les mêmes cadres supérieurs comme nativiste, raciste et sexiste. Pour autant, le racisme n’est pas propre à la classe ouvrière, même s’il peut prendre chez elle une forme plus explicite et peut être renforcé par l’impression que celle-ci retire des difficultés auxquelles elle a été confrontée au cours des dernières décennies, et en particulier la baisse de son revenu, de « s’être fait passer devant par les pauvres et les immigrés ». 

Le genre résonne lui aussi différemment selon le contexte de classe. La baisse des revenus et la mauvaise qualité des services de garde d’enfants ne laissent souvent pas d’autre solution aux parents de la classe ouvrière que de travailler en horaires décalés, l’un de jour, l’autre de nuit. De fait, l’égalité entre les genres n’est pas la préoccupation principale des femmes de la classe ouvrière, qui souhaitent plutôt que leurs maris gagnent bien leur vie et aient un emploi stable, pour pouvoir prendre elles-mêmes un emploi à temps partiel.

La classe ouvrière blanche a connu une situation économique très difficile au cours des dernières décennies, tandis que les élites se concentraient sur des questions sans rapport avec l’économie… Donald Trump en parlant de lui rendre ses emplois et en surfant sur sa colère lui a donné l’impression de comprendre sa situation et l’occasion de restaurer sa dignité.

 

… mais des intérêts potentiellement convergents avec leur électorat 

Pourquoi les démocrates ont-ils plus de mal à comprendre la classe ouvrière que les républicains ? Tout a commencé, rappelle l’auteure, après la promulgation des lois sur les droits civiques à la fin des années 1960 et au début des années 1970, lorsque les blancs du Sud se sont éloignés des démocrates et que ces derniers se sont alors tournés vers d’autres composantes de l’électorat. Pendant que l’élite républicaine se rapprochait des blancs de la classe ouvrière, en promouvant le patriotisme, les valeurs familiales et – avec l’arrivée de Ronald Regan – une hostilité générale au gouvernement. Or, le collège électoral, qui a été conçu pour donner plus de poids au vote rural, confère aujourd’hui aux blancs de la classe ouvrière un pouvoir politique disproportionné. 

Pour autant, il y a moins de contradiction qu’il y paraît entre les intérêts de la classe ouvrière blanche et ceux des « alliés progressistes » du parti démocrate, note J. C. Williams. Les valeurs des noirs de la classe ouvrière sont en effet, à bien des égards, plus proches de celles des ouvriers blancs que de celles des cadres supérieurs noirs. Et les Latinos, comme le montre du reste la part de ceux-ci qui ont voté en faveur de Trump, se sentent concernés par une bonne partie des problématiques qui intéressent aussi les blancs de la classe ouvrière.

Bâtir une coalition suppose de faire des compromis, mais cela requiert aussi d’être bienveillant les uns envers les autres, explique-t-elle à l’adresse des responsables du parti démocrate. Il peut y aller parfois simplement d’une manière de présenter les choses comme à propos des aides du gouvernement (l’auteure évoque en particulier l’aide aux handicapés qui tient souvent lieu de substitut à l’allocation chômage et bénéficie largement à la classe ouvrière), de l’avortement, de l’immigration, des libertés civiques, du changement climatique ou encore de la discrimination raciale dans la police, qui évite de braquer la classe ouvrière et cherche à faire un pont avec les valeurs qu’elle défend. Mais cela suppose aussi de mener une politique plus soucieuse des emplois moyennement qualifiés en favorisant la formation technique notamment, comme elle le suggère à partir d’exemples, car il est important (si l’on croit au progrès), de veiller à ce que les américains sans diplôme universitaire, quelles que soient leurs origines, aient droit à de bons emplois et à la dignité sociale   . Jusqu’ici, le message semble avoir été reçu cinq sur cinq par Joe Biden et ses équipes.