Décédé en avril 2021, Marc Ferro laisse une œuvre conséquente. Historien rigoureux, il a aussi travaillé à une vulgarisation ambitieuse.

L’historien Marc Ferro nous a quittés.

Enfant de l’étranger, il naît le 24 décembre 1924, à Paris, d’une mère juive ukrainienne et d’un père grec qui le laisse orphelin à cinq ans. Enfant de la catastrophe, il est plongé dans les heures noires de l’histoire de France lorsque la politique antisémite du régime de Vichy le force au départ à Grenoble, sur les conseils de son professeur du lycée Carnot, Maurice Merleau-Ponty. Pétain, Vichy, et les nazis le privent d’une mère, déportée et assassinée au centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Enfant de la Résistance, lorsqu’étudiant à Grenoble, où il prépare le concours pour devenir enseignant d’histoire géographie, il refuse à 20 ans le départ au STO. Avec l’aide d’Annie Kriegel, active auprès des Jeunesses Communistes et de la Main d’œuvre immigrée, il s’engage. La répression terrible le force à quitter Grenoble pour le Vercors. Expérience brève du maquis éponyme, car il doit se soustraire à la menace allemande qui détruit méthodiquement ce réduit de courage. Il fait le coup de feu à Lyon, dont il contribue à la libération, puis devient — enfin — enseignant d’histoire et de géographie.

Marc Ferro est un professeur, un historien libre et un passeur d’histoire, soucieux des sources et de l’archive dont il participe à l’explicitation, à la télévision dès 1989, dans Histoires parallèles. Il enseigne à Oran jusqu’en 1956 et y prend conscience du fait colonial — dans ce laps de temps il participe à la fondation de la Fraternité algérienne — puis, à Paris, aux Lycées Montaigne puis Rodin, et dans diverses institutions : le CNRS par l’intermédiaire de son directeur de thèse Pierre Renouvin, l’EPHE, l’École Polytechnique et l’EHESS. Marc Ferro n’est ni normalien, ni agrégé mais, plus qu’un diplôme, l’histoire est une méthode. Il multiplie les terrains d’études, tant historiques qu’historiographiques. En 1962, il rencontre Fernand Braudel, qui fait de lui le secrétaire de rédaction de la revue des Annales en remplacement de Robert Mandrou. Il participe au développement et à l’influence de la revue dans l’historiographie française, notamment lorsqu’il en devient le co-directeur. Marc Ferro est d’abord un historien qui se pose des questions et cherche des réponses. Il consacre ses travaux à l’histoire de l’URSS qu’il aborde sans parti pris, il devient directeur de l'Institut du monde soviétique et de l'Europe centrale, il est également membre élu de l'Academia Europaea. Presque deux dizaines d’ouvrages, attachés à l’histoire sociale, sont consacrés à la révolution russe et aux Romanov. Historien, aussi, du fait colonial, historien des guerres mondiales, il est l’auteur de la meilleure étude en son temps consacrée au maréchal Pétain. Marc Ferro est le pionnier de l’analyse historique du cinéma, et anime un séminaire consacré aux liens entre histoire et cinéma, montrant que l’étude des images et des films est une interrogation importante des études historiques.

Marc Ferro, qui a tant souffert du siècle, se refuse à en juger ses acteurs et actrices. Certes, il ne fut pas passif en la Cité : en février 1979, il défie le négationnisme aux côtés de Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet ; historien opposé aux lois mémorielles, il défend la Liberté pour l’histoire ; historien de gauche, il s’engage auprès de Jean-Pierre Chevènement, puis soutient Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007. Mais défenseur de l’éthique de l’historien, il rappelle volontiers que l’histoire n’est pas un procès et que lui-même n’est pas juge : « L'historien doit conserver, expliciter, analyser, diagnostiquer. Il ne doit jamais juger » écrit-il.

Marc Ferro est parti, et avec lui une certaine idée de l’histoire et de la méthode historique, faite de blessures intimes, de curiosité, d’interrogations et de questionnements. Historien des recherches sans périodisation, hors des écoles et des carcans, non pas chercheur sur le siècle mais historien des siècles.