Retour sur la vie et la carrière cinématographique du sulfureux acteur-réalisateur américain.

Acteur reconnu, réalisateur oscarisé, personnalité controversée, Mel Gibson a tout de l’être tourmenté. À l’image de nombre des personnages qu’il a incarnés, il semble toujours sur la brèche, entre coup d’éclat, coup de sang et coup de folie. Collaborateur du magazine Sofilm, Matthieu Rostac voit dans cette instabilité une clé de lecture du parcours de la star.

 

Au début, il y avait le père…

Partant du principe que les films interprétés et/ou réalisés par Mel Gibson s’expliquent par des épisodes de sa vie, Rostac construit ce livre sur des va-et-vient permanents entre biographie et filmographie. De manière originale, l’analyse débute 12 ans après la naissance de l’acteur américain. En 1968, avec ses dix frères et sœurs, Mel Gibson débarque en Australie. Le père, Hutton Gibson, a décidé d’émigrer pour changer de vie, mais aussi pour éviter que le fils aîné n’aille combattre au Viêt-Nam.

Ce patriarche est animé par une morale particulièrement austère. Au foyer des Gibson, on ne trouve ni de télé ni de bande dessinée, encore moins de tabac et d’alcool. L’amour de Dieu et le cocon familial sont censés être les garants du bonheur de tous. Refusant les réformes de Vatican II, se plaisant à affirmer que le bilan de la Shoah a été exagéré, le père se distingue par son extrémisme religieux.

Pour Matthieu Rostac, Mel Gibson s’est construit à la fois par sa déférence envers la figure paternelle et par sa volonté de s’extraire de cette tutelle. Sa filmographie en tant que réalisateur montre ainsi une propension à mettre en scène des pères de substitution, bons et aimants (L’Homme sans visage, 1993) opposés à des géniteurs autoritaires, incapables de sauver de la mort leurs enfants (Apocalypto, 2006) ou qui les tyrannisent (Braveheart, 1995).

 

Épiphanie et Apocalypse

À l’âge de 21 ans, alors étudiant en art dramatique, Mel Gibson décroche le rôle principal dans Mad Max de George Miller (1979). Rostac rappelle que ce titre fut un « film guérilla ». Tourné sans moyens, sans autorisations, avec des techniciens payés en packs de bière, Mad Max séduit malgré tout un large public international. La prestation de l’acteur lui ouvre les portes des studios hollywoodiens. Les suites de Mad Max et surtout les trois premiers volets de la franchise L’Arme fatale (1987-92) le consacrent comme une star. Gibson se fait aussi connaître par ses excès, mais les cinq bières par jour avalées sur le plateau de L’Arme fatale n’ont pas eu de conséquence sur le tournage, et il jouit d’une réputation d’acteur fiable, capable de tourner en une seule prise.

Refusant de suivre l’évolution que ses succès semblent lui destiner, Gibson décline des propositions pour des rôles qu’il estime ne pas pouvoir incarner, comme celui de John McLane dans Piège de Cristal de John McTiernan (1988). Matthieu Rostac y voit le signe de la forte volonté de Gibson de construire lui-même son parcours. Il n’hésite pas ainsi à quitter sa zone de confort en interprétant le rôle d’Hamlet sous la direction du réalisateur italien Franco Zeffirelli (1990). À cette occasion, il fait d’Icon Productions, compagnie créée en 1989, une machine au service de ses ambitions, lui permettant une liberté accrue dans le choix des scénarios, sa popularité lui assurant par ailleurs le soutien de grands studios pour le financement et la promotion des films réalisés. Entre 1989 et 2004, sur les seize films dans lesquels joue Mel Gibson, dix sont produits par sa société.

 

La conversion

C’est toutefois avec Braveheart (le deuxième film qu’il réalise après L’Homme sans visage) que Mel Gibson connaît une vraie consécration, le film décrochant cinq oscars à Hollywood, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. Pour Matthieu Rostac, c’est ce film-là qui marque la véritable « conversion » de Gibson, d’acteur à auteur-réalisateur.

Braveheart cristallise également des thématiques qui structureront la suite de sa filmographie : détestation des Anglais (que l’on retrouve dans The Patriot, mis en scène par Roland Emmerich en 2000 et dont il incarne le rôle principal), sacrifice de la rigueur historique sur l’autel du romanesque homérique, exaltation de l’homme seul opposé à la violence d’un groupe, souffrance comme catharsis, etc. (on pourrait ajouter une certaine homophobie latente, palpable avec la représentation d’Édouard II en prince gay, efféminé et velléitaire). Au-delà de ces thèmes appelés à devenir récurrents, le film met en évidence un style particulier de mise en scène : tournage-mastodonte en extérieur, recours à des centaines de figurants, style nerveux, réalisme cru. À tous ces égards, la reconstitution des intérieurs du château royal anglais annonce la reproduction monumentale de Jérusalem dans La Passion du Christ (2004) et de la cité Maya dans Apocalyptico (2006).

En dépit d’un large succès international et d’un souci de plonger les spectateurs dans une expérience immersive de l’Antiquité (Gibson le tourne dans les langues vernaculaires de la diégèse : araméen, hébreu et latin), La Passion du Christ marque une rupture dans sa carrière. Qu’il s’agisse de sa dimension doloriste (la séquence de flagellation est étirée sur de longues minutes), de sa représentation des Juifs frisant pour beaucoup l’antisémitisme, et de son historicité contestée, le long métrage suscite une vague de protestations.

 

Un long chemin de croix

À cette période, Gibson connaît sur le plan privé une sorte de descente aux enfers. Arrêté en 2006 pour conduite en état d’ivresse, sa notoriété lui permet d’échapper à la comparution devant un juge et à des poursuites pour insultes antisémites à l’encontre d’un policier. Cet incident précipite son divorce, une rupture majeure pour un homme sanctifiant la famille. Cette « année terrible » marque le début d’une traversée du désert qui dure jusqu’en 2010.

Mais, même sur la brèche, Gibson a toujours été capable de travailler, notamment sur des projets radicaux comme Apocalypto, tourné sans têtes d’affiches en pleine jungle tropicale, présentant là encore des dialogues dans la langue d’origine et une reconstitution historique monumentale. Si le titre rencontre le scepticisme des universitaires, les Amérindiens saluent sa relecture critique d’une histoire expliquant le déclin de la civilisation Maya par les divisions internes et non par l’arrivée des Européens. Mel Gibson connaît avec lui un nouveau succès international, le film rapportant près de trois fois ce qu’il a coûté.

Ce triomphe est toutefois suivi par de nouvelles frasques. Déprimé, ayant sombré dans l’alcoolisme, Gibson défraie alors surtout la chronique par ses saillies homophobes.

 

La grâce ?

Alcoolique, antisémite, homophobe… En 2010, Mel Gibson pâtit d’une réputation sulfureuse et son destin à Hollywood semble scellé. Une opportunité lui est cependant offerte par Judie Foster (également comédienne, les deux avaient joué ensemble dans Maverick de Richard Donner en 1994), qui lui confie le rôle principal de son film Le Complexe du castor (2011). Gibson y joue un chef d’entreprise dépressif qui parle avec une marionnette. Capitalise-t-il sur sa dépression ? Se met-il en danger une nouvelle fois ? Opère-t-il une stratégie de reconquête des cœurs et des esprits ? Matthieu Rostac note que la rédemption offerte à un homophobe vient d’une réalisatrice ouvertement homosexuelle. Manifestement homme à préjugés, Gibson est aussi un homme de paradoxes, et son patriotisme ultra-conservateur ne l’a pas empêché de prendre publiquement position contre certains élus du camp républicain ou de s’opposer à la guerre en Irak de l’administration Bush.

Quoiqu’il en soit, Le Complexe du Castor lui assure un come back. On voit de nouveau Gibson dans des films d’action (Machete Kills en 2014, Expendables 3 en 2015) ou des polars d’auteur (Dragged across concrete de Craig S. Zahler, 2018). Cette résurrection est accompagnée d’un retour derrière la caméra. En 2016, il réalise Tu ne tueras point, long métrage sur l’histoire vraie d’un objecteur de conscience de l’armée américaine durant la guerre du Pacifique. Avec comme souvent une mise en avant des séquences de bataille (qui occuperont 19 des 49 jours de tournage), Gibson retrouve des thèmes qui lui sont chers, en mettant en scène un homme pieux, ferme dans ses convictions et qui lutte seul pour sauver les membres de sa communauté. Succès commercial, Tu ne tueras point n’est pas accueilli de façon très favorable par la critique. Matthieu Rostac interprète cependant ses nominations aux Golden Globe et aux Oscars (où le film n’emportera que deux prix techniques, celui du montage et du mixage) comme le retour en grâce à Hollywood de Mel Gibson.

 

En conclusion

Avec un certain humour et en mobilisant de nombreux éléments factuels, Rostac dresse le portrait d’un acteur original et talentueux, d’un auteur à la fois intègre et controversé, et d’un être humain tourmenté, aux valeurs et aux comportements contestables. Le format imposé par la collection a sans doute empêché certaines idées d’être plus développées, notamment sur la façon dont Gibson reconstruit l’histoire à l’intérieur des films qu’il réalise, qui aurait mérité un développement spécifique. Il n’en reste pas moins que cette biographie éclaire avec élégance un parcours atypique dans l’industrie du divertissement.