Une biographie artistique et intellectuelle qui rend hommage au dramaturge Olivier Py et à ses multiples facettes.

Avec cet imposant volume, on tient là la première biographie artistique, intellectuelle — éminemment subjective, sans être hagiographique — consacrée à Olivier Py. Comme le précise son auteur, l’universitaire et dramaturge Timothée Picard, l’essai qu’il signe chez Actes Sud est «  à la fois biographique et analytique  ». De fait, pour l’homme-théâtre Olivier Py, chez qui la scène permet tous les possibles et toutes les aventures, un découpage en « un : la vie ; deux : l’œuvre » aurait été une aberration. L’enchaînement chronologique croise très naturellement l’enchaînement thématique. Car Py se joue des étiquettes, repoussant toujours plus loin les frontières de l’identité. À part éventuellement Patrice Chéreau, peu d’artistes peuvent se targuer de s’être illustrés avec brio dans autant de domaines. Py est poète et écrivain engagé, comédien et metteur en scène, homosexuel et catholique, artiste et militant politique, passionné autant par l’opéra que par le théâtre, partisan de l’éblouissement spectaculaire plutôt que de la provocation, queer plutôt que gay. C’est pourquoi l’essai s’efforce de relier chaque option dramatique à la vie, à la sensibilité et à l’imaginaire — imaginaire dont Timothée Picard est devenu aujourd’hui le spécialiste incontournable. « Témoignage d’admiration » et « aveu de gratitude », ce portrait de l’artiste en humaniste s’appuie sur des sources extrêmement nombreuses et diverses, qu’il s’agisse des écrits de Py sur ses spectacles, de ses romans, de ses pièces de théâtre, des interviews de toutes sortes qu’il a accordées, et même de ses carnets, croquis, dessins et projets déposés à la BnF.

C’est pour le lecteur l’occasion de découvrir en Olivier Py un homme altruiste, fraternel, qui pour penser le théâtre aujourd’hui ne cesse d’interroger l’idée de décentralisation, d’évaluer les poids respectifs de Paris et de la province dans le maillage serré du territoire dramatique hexagonal. Le dernier chapitre, intitulé « Le devenir conjoint du théâtre et de la démocratie », invite à reconsidérer la notion chère à Vilar de « théâtre élitaire pour tous » et, plus généralement, à estimer les mérites respectifs du marché et de l’Etat en matière de politique culturelle. Quant à l’opéra, il est présent en filigrane tout au long de l’ouvrage. Cela n’a rien de surprenant, s’agissant d’un artiste lui-même librettiste (Le Vase de parfums, 2004) et sollicité pour rien moins que 32 productions. L’Avant-Scène Opéra avait d’ailleurs consacré à Py un numéro dès 2013. On ne peut être que sensible aux belles pages qui portent sur Tannhäuser, sur les Contes d’Hoffmann ou sur Ariane et Barbe-Bleue. Et même si l’on n’est pas obligé de suivre Py dans son étonnante méditation sur le timbre des grandes héroïnes lyriques, les rapprochements qu’il s’autorise entre la voix, le sexe et la mort sont toujours stimulants. Sans surprise, c’est le chapitre « Au risque du lyrisme » qui fournit à l’amateur d’opéra les analyses les plus fortes. Sans doute parce que même lorsqu’il met en scène du théâtre, Py se révèle opératique par son goût pour les longueurs, pour l’excès, pour le flamboyant, pour l’« hénaurme ».

Assurément, Timothée Picard fait preuve d’empathie quand il parle d’Olivier Py. Mais cela ne l’empêche pas de se montrer critique, notamment lorsqu’il pointe certains traits qu’il trouve problématiques chez l’artiste : un humour potache parfois douteux et, à force de vouloir trop en faire, le risque de se répéter. Bien qu’étant parvenu à rassembler une documentation considérable, Picard conduit sa démonstration en se gardant de toute lourdeur didactique. On retrouve dans cet essai toutes les qualités auxquelles l’auteur nous a habitués : une connaissance exhaustive de son sujet, l’élégance des formulations, des remarques toujours pertinentes servies par le brio du style. Et surtout l’aptitude permanente à inscrire l’objet d’étude de son livre-somme dans une réflexion sur l’imaginaire qui accorde une large importance aux enjeux socio-culturels et sait mettre en lumière l’intrication entre histoire des arts et cheminement des idées.