Si la Russie a connu des moments de difficultés depuis 1991, force est de constater qu'elle joue à nouveau un rôle particulier dans les relations internationales, devenant parfois indispensable.

Vladimir Pawlotsky* revient ici sur les métamorphoses de la puissance russe depuis 1991. La libération des prix, du commerce extérieur et la privatisation de nombreuses entreprises au début des années 1990 ont eu des conséquences terribles. Sur le plan international, la Russie impose un modèle à part. Si le soutien de Vladimir Poutine à certaines dictatures l’a souvent placé en dehors du dialogue des puissances dominantes, il n’en est pas moins devenu un acteur incontournable, notamment au Moyen-Orient. Cette thématique est étudiée dans le cadre de l’Axe 1 du Thème 2 de Première : « Essor et déclin des puissances ».

 

Nonfiction.fr : La fin de l’URSS est souvent présentée en Occident comme l’implosion d’un système. Comment la société russe perçoit-elle l’année 1991 et comment est enseigné ce moment historique ?

Vladimir Pawlotsky : La chute de l’URSS constitue une rupture sur tous les plans – politique, économique, diplomatique, culturel et idéologique – dont on mesure encore aujourd’hui, non sans difficultés, les effets. Mais cette rupture, si elle est décrétée, est en réalité loin d’être nette et effective et l’espace postsoviétique semble encore, à bien des égards, en transition et mû par un certain nombre de tendances partagées. Aujourd’hui en Russie, dans le débat politique, la question de la chute de l’URSS reste sensible dans la mesure où elle constitue le terrain d’affrontements de multiples courants qui tentent d’identifier ses facteurs explicatifs (rôle des puissances étrangères, limite du modèle politique ou économique, indépendantisme régional). D’une part, elle constitue indéniablement une catastrophe et un traumatisme que partagent l’ensemble des citoyens russes et s’associe à un sentiment profond de déclassement du rôle joué par la Russie sur la scène internationale et qui incarnait jusque-là l’un des deux pôles majeurs et un facteur d’équilibre du monde. D’autre part, la chute de l’URSS constitue un évènement libérateur, émancipateur pour de nombreux citoyens ayant été persécutés et notamment pour certaines des ex-Républiques socialistes qui, derrière l’idée d’une communauté de destins, estimaient être sous la tutelle de la Russie. Si les années 1990 ont vu émerger des courants très critiques vis-à-vis de l’URSS, à son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine mène une politique mémorielle qui vise, dans un contexte national post-traumatique, à créer un sentiment patriotique fort. Selon une lecture historique qui privilégie les grandes réussites, notamment celles réalisées pendant l’URSS (industrialisation rapide et massive, victoires militaires, avancées scientifiques), peu de place est laissée aux victimes et aux « perdants » si bien que, selon l’Institut de Sondage « Centre Levada », alors qu’en 1994, 18 % des interviewés jugeaient positivement la période stalinienne, en 2016, ce chiffre était de 40 %. Très politisée, la question de la chute de l’URSS ne fait donc pas consensus et se raconte dans les programmes de la manière la plus discrète et la moins problématique possible : elle occupe à ce titre une place minoritaire voire superficielle dans les manuels qui consacrent rarement plus d’une demi-douzaine de pages (sur 350-400) à cet évènement pourtant crucial.

 

Le début des années 1990 est marqué par une « thérapie de choc » avec l’introduction d’une politique libérale. Les effets sont désastreux et accroissent les inégalités. Comment expliquez-vous cet échec ?

À la suite d’une succession de crises et prenant acte de l’impossibilité de Mikhaïl Gorbatchev à réformer l’économie soviétique, Boris Eltsine déclare à la suite d’autres ex-républiques socialistes l’indépendance de son pays – la Russie – et signe ainsi la fin de l’URSS. Il entame alors d’importantes réformes afin de renflouer les caisses de l’État. La fin de l’économie planifiée associée à des vagues de privatisation rapides – il s’agit d’empêcher tout retour des communistes – et radicales (libéralisation des prix, politiques monétaires strictes) inspirées de l’École de Chicago et portées par des institutions internationales telles que le FMI ou la Banque Mondiale enclenche une vague de pauvreté, de chômage, d’inflation, d’inégalités sociales, de criminalité et la chute de l’espérance de vie, phénomènes qui n’existaient pratiquement pas en URSS. « Il nous faut des millions de propriétaires, pas un petit groupe de millionnaires » ne cessera de répéter Boris Eltsine en fournissant aux populations des coupons censés leurs permettre de devenir actionnaire des entreprises d’État. Si entre 1991 et 1998 on estime que la part du PIB produite par des entreprises privées est passée de pratiquement rien à 70%, seule une poignée d’individus est véritablement sortie enrichie, et cela dans des proportions sans commune mesure. Ceux qu’on appelle les oligarques ont ainsi construit leurs fortunes suivant des schémas largement opaques et ont pu profiter d’un certain nombre de « failles juridiques » du système financier alors en phase d’élaboration. En outre, ils ont bénéficié d’une forme de laisser-aller de la part de l’exécutif dans la mesure où Boris Eltsine a eu besoin de leur appui pour sa réélection contestée en 1996 face au candidat communiste Guennadi Ziouganov, ce dernier étant largement critique vis-à-vis des réformes libérales mises en place par le gouvernement de Eltsine et hostiles aux personnalités qui s’étaient le plus enrichies.

 

L’interventionnisme en Ukraine et Biélorussie montre que la Russie considère toujours les ex-républiques socialistes comme des satellites. Voyez-vous d’anciens pays de l’URSS qui parviennent à se défaire de la tutelle russe ?

Il est certain qu’il existe des liens historiques – qu’ils soient économique, linguistique, politique, culturel ou religieux – entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie de manière très prononcée et plus généralement entre la Russie et ce que ses élites appellent son « étranger proche », c'est-à-dire les 14 États avec qui la Russie formait l’URSS. À la prise d’indépendance des quinze Républiques socialistes soviétiques, dans de nombreux domaines, notamment stratégiques (militaire, cyber, énergétique), les liens noués au cours du siècle ne disparaissent pas, du moins pas entièrement. Notamment, alors qu’en URSS la distribution des infrastructures sur le territoire faisait fi des frontières nationales (internes), celles-ci sont devenues des frontières nationales externes et non poreuses provoquant ainsi de graves incohérences territoriales en matière de répartition et de distribution des infrastructures sur le territoire. A ce titre, nous savons que la Russie, pour continuer à bénéficier du cosmodrome de Baïkonour, paie un loyer au Kazakhstan. Il en allait de même pour le port militaire de Sébastopol avant bien sûr que la Russie n’annexe la péninsule criméenne en 2014. À la distribution des infrastructures, s’ajoute évidemment la question de l’énergie. Peu ou pas de pays peuvent prétendre d’être entièrement indépendant puisqu’ils sont tous, à divers degrés, dépendant d’une ressource qui serait absente ou insuffisante sur leur territoire. Pour ce qui est de l’ex-URSS, ce sont avant toute chose les questions relatives aux hydrocarbures qui prévalent comme on a pu le voir à de nombreuses reprises entre la Russie et l’Ukraine ou la Biélorussie. Ainsi, si les pays baltes, désormais membres de l’OTAN et de l’UE semblent s’être défaits de la « tutelle russe », 100% de leur gaz provient encore et toujours de la Russie. De manière générale, la Russie craint donc de voir ses intérêts stratégiques remis en question par ses partenaires historiques au profit d’accords politco-commerciaux signés avec ses concurrents et adversaires. L’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Biélorussie font à ce titre partie du partenariat oriental de l’UE inauguré en 2009. L’Azerbaïdjan est en outre un pays turcophone et, on peut le voir en ce moment avec le conflit qui se déroule dans le Haut-Karabagh, peut largement compter sur la Turquie dont le président Erdogan ne cache plus ses ambitions. Ces États constituent une mosaïque ethnique, linguistique et politique très diverse, et bénéficient d’un développement de leurs relations économiques, militaires, diplomatiques et infrastructurelles avec la Turquie et l’Iran. Enfin, les pays d’Asie Centrale, sont en lien avec la Chine qui est désormais leur principal partenaire commercial et qui entend développer, principalement via le Kazakhstan, le projet des « Nouvelles Routes de la Soie ». Enfin, la Russie et les ex-républiques socialistes abritent sur leurs territoires de très importantes minorités. Qu’il s’agisse de populations russes en Ukraine (8 millions), au Kazakhstan (4), en Biélorussie (1) en Ouzbékistan (0,7) ou en Lettonie (0,7) et inversement des Ukrainiens (2 millions), Kazakhs (0,6), Azéris (0,6), Biélorusses (0,5) ou Ouzbeks (0,3) en Russie, les liens entre ces États sont donc très puissants et constituent, surtout dans le cas de la diaspora tadjike en Russie, une source de revenus et de devises indispensables à la survie du Tadjikistan.

 

Vladimir Poutine a fini par imposer Bachar el-Assad comme un élément indispensable à la résolution du conflit syrien, ce qui était impensable en 2012. Doit-on y voir un retour de la Russie sur le devant de la scène internationale ?

La Russie a en effet souffert d’un déclassement fort à la chute de l’URSS. Bénéficiant d’une vaste Union, la Russie jouissait d’une position de leader face au « bloc occidental ». Les années 1990, douloureuses pour toutes les raisons évoquées précédemment ont largement détérioré les capacités militaires et l’influence diplomatique du pays. Les avancées de l’UE et de l’OTAN en Europe centrale et orientale ainsi que les bombardements par cette dernière des positions serbes de mars à juin 1999 sans que la Russie, alliée historique des Serbes, ne puisse négocier une sortie de crise, marqueront profondément les élites russes et stimuleront durablement leur volonté de retrouver une position forte sur le plan international. Si la guerre russo-géorgienne de 2008 a constitué un premier pas dans la démonstration de force du retour de l’armée russe sur le plan régional, le conflit syrien – les acteurs et les enjeux qu’il réunit – a en effet signé le retour de la Russie sur la scène internationale. Cela n’est pas totalement surprenant non plus dans la mesure où la Russie entretient avec la Syrie et les acteurs de la région des relations historiques. Le développement d’institutions et d’organismes internationaux (Organisation de coopération de Shanghai en 2001, Organisation Mondiale du Commerce en 2012, Union Economique Eurasiatique en 2015), les exercices militaires internationaux que coorganise la Russie, le soutien aux séparatistes du Donbass, l’annexion de la Crimée, le déploiement d’avions de combat sur le théâtre libyen sont autant d’éléments qui confirment une forme de retour de la Russie sur le plan international, sur fond de retrait du « gendarme américain » d’un certain nombre de théâtres d’opération.

 

Le soft power de la Russie demeure écorné à l’échelle internationale : modifications de la constitution, interventionnisme en Ukraine, Biélorussie, agressions contre les membres de la communauté LGBT. Le pays tente-t-il de modifier cette image ?

Le soft power que l’on reconnait aujourd’hui à la Russie est né lorsque les « Révolutions de couleur », principalement la révolution orange en Géorgie en 2003 et Ukraine en 2004 ont secoué l’étranger proche russe. Elles ont immédiatement été perçues par les autorités russe comme étant des manifestations orchestrées depuis l’étranger – États-Unis principalement – et dont les agences médiatiques, les canaux informationnels, les éléments de sa diplomatie culturelle véhiculaient une image extrêmement critique de la Russie et de ses élites. Alors que le soft power, dans son acception originelle élaborée par Joseph Nye envisage l’influence de manière « positive » (un État x valorise son image auprès de la population y d’un Etat y), le soft power à la russe est davantage « négatif » (l’État x véhicule une image négative d’un Etat y auprès de sa population y). En accord avec la politique menée par le gouvernement russe, son soft power comme le rappelle le chercheur Maxime Audinet repose sur trois principes : souverainisme, conservatisme et multilatéralisme qui répondent à une logique de confrontation avec les discours « mainstreams » déployés par les agences occidentales et qu’il s’agit de relativiser et in fine discréditer. L’instrument le plus notable est bien sûr le conglomérat RT (anciennement Russia Today), développé en 2005 qui comporte six chaines et six sites d’informations multilingues, de nombreux comptes sur les réseaux sociaux et qui en 2018 comptait 100 millions de téléspectateurs à travers le monde pour un budget venant de l’Etat russe de 320 millions d’euros. L’idée n’est donc pas tant de promouvoir à l’étranger la tolérance de la Russie vis-à-vis des communautés LGBT mais de montrer que des Etats qui se revendiquent comme libéraux, progressistes, humanistes et faisant la promotion de politiques, par exemple gay-friendly, pratiquent une répression violente ou une politique très inégalitaire vis-à-vis d’une partie de la population (les Afro-américains ou les « White Trash » aux Etats-Unis par exemple). En France dernièrement, RT a largement couvert le mouvement des Gilets Jaunes en diffusant des reportages « au cœur des affrontements » donnant une large place aux violences policières et la parole à certains manifestants qui s’estimaient largement exclus des médias traditionnels français. Tous ces éléments indiquent donc le renouveau des ambitions russes dans le champ de l’influence dominé par des médias anglo-saxons et français mais il faut rester prudent dans la mesure où il semble encore aujourd’hui extrêmement difficile de mesurer cette influence et d’établir réellement quels effets elle a pu produire auprès de ceux qui l’écoutent.

 

 

Le territoire russe demeure un formidable atout en raison de sa superficie et de ses ressources. Sur quels éléments peut se fortifier la puissance russe, au-delà des hydrocarbures ?

La Russie est un pays extrêmement riche et ses hydrocarbures constituent la principale ressource énergétique et commerciale du pays. Néanmoins, si l’économie du pays repose sur cette manne absolument gigantesque, il est important de rappeler qu’elle apparait aussi comme une forme de malédiction dans la mesure où le prix du baril constitue une variable déterminante dans l’élaboration des budgets de l’Etat et sa volatilité un risque permanent. Outre les hydrocarbures, la Russie bénéficie de ressources – minières, sylvestres – très importantes et notamment près de 20% des ressources mondiales connues des fameuses « terres rares » dont certains éléments sont indispensables à la production de nos téléphones portables et de nombreux appareils électroniques. Le potentiel de son agriculture est gigantesque mais nécessite la mise en valeur coûteuse d’un certain nombre de territoires. Le rôle que la Russie peut jouer dans le trafic de marchandises est aussi crucial. Sa position géographique entre les principales usines du monde en Asie et les consommateurs en Europe constitue un atout fort que les autorités comptent exploiter en développant et modernisant, tant que le prix du baril le lui permet, un réseau d’infrastructures autorisant une jonction rapide et efficace avec le projet des « Nouvelles Routes de la Soie » porté par la Chine. En outre, dans la perspective où la « Route du Nord » serait davantage praticable (elle l’est déjà mais reste particulièrement dangereuse et isolée), le développement des infrastructures, des ports et voies maritimes en Arctique semblent promettre à la Russie une position déterminante dans la gestion des flux commerciaux. A ce titre, pour valoriser ses territoires stratégiques les plus reculés, l’exécutif russe a spécifiquement mis en place un Ministère Fédéral pour le développement de l’Extrême Orient (2012) et de l’Arctique (à partir de 2019). Enfin, la population russe constitue aussi une « ressource » au potentiel très important puisque le taux d’alphabétisation est de 100%, sa population est en moyenne éduquée et peut compter sur un héritage scientifique fort qui représentait à la chute de l’URSS 25% du PNB et employait 23% de toute la population active du pays et qui n’est que partiellement réinvesti. Tous ces éléments constituent ainsi, selon nous, des facteurs de diversification de la « puissance russe ».

 

Vladimir Poutine a modifié la constitution russe à son profit de manière assez ubuesque en 2020. Qu’en est-il de sa popularité ?

La popularité de Vladimir Poutine auprès de son peuple a toujours fait des envieux parmi ses homologues étrangers. Comment se fait-il qu’après 20 ans au pouvoir (avec une éphémère alternance entre 2008 et 2012), cet homme de bientôt 70 ans et que l’on dépeint allègrement comme un ancien espion qui a permis à ses collaborateurs et ses fidèles de s’enrichir dans des proportions rarement égalées, conserve une cote de popularité, fluctuante certes, mais très élevée ? Premièrement, l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000 s’est faite dans un contexte d’augmentation très forte du prix des hydrocarbures ce qui lui a permis d’assurer, au sortir des années 1990, le paiement des salaires, des pensions et des aides sociales qui jusque là n’avaient plus été versés ou trop partiellement, s’assurant ainsi une cote élevée auprès de sa population. Deuxièmement, d’un point de vue institutionnel, il a entrepris de rétablir la « verticale du pouvoir » et la « dictature de la loi » c'est-à-dire la cohérence des lois régionales avec les lois fédérales que Eltsine s’était scrupuleusement attaché à déconstruire pour s’assurer un soutien des régions aux élections de 1996. Troisièmement, sur un registre plus martial, la débâcle des années 1990 a aussi produit des velléités indépendantistes, notamment dans le Caucase russe, que Poutine s’est très rapidement engagé à réprimer et sur lesquelles il s’est formé une image de chef des armées. Ces trois éléments constituent la base de la popularité de Poutine aux yeux de la population dont la mémoire du chaos des années 1990 reste très vivace et que l’on agite comme un épouvantail face à la critique de l’autorité. Alors que son retour à la tête du pays en 2012 s’est fait dans un contexte politique tendu suite aux manifestations des populations urbaines qui ont vu émerger des personnalités telles qu’Alexeï Navalny, l’intervention russe en Syrie, la réception des Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi et l’annexion de la Crimée ont redoré l’image du président auprès de la population russe qui, dans son immense majorité, était favorable au retour de la péninsule dans le giron russe. Mais, une fois le sentiment de fierté national post-Crimée atténué, une inflexion du sentiment général a pu être observée. En effet, la critique d’une large partie de la population vis-à-vis de la politique menée par V. Poutine s’est renforcée avec la détérioration du niveau de vie dans un contexte de sanctions de l’économie russe, d’une volatilité du prix du baril et d’un taux de change du rouble défavorable en termes d’importations pour le pays. Un certain nombre de conflits urbains et environnementaux ont aussi contribué au rejet des élites dirigeantes – essentiellement locales et régionales – forçant le pouvoir à prendre des décisions par crainte de voir les mouvements gagner en puissance. Enfin, ne perdons pas de vue que la cote de popularité d’une personnalité politique, notamment celle de V. Poutine, est largement dépendante du cadre et du contexte dans lesquels elle s’inscrit. Qui est allé dans ce pays a déjà forcément entendu que Poutine n’est peut être pas parfait mais qu’il est le seul en capacité de gouverner. Il faut dire que le pouvoir sort l’artillerie lourde pour limiter l’arrivée de nouveaux acteurs dans le champ politique officiel qui se réduit, à l’échelle fédéral, à une demi-douzaine de partis dont l’engagement contre les mesures prises par le pouvoir exécutif reste sporadique ou cantonné à certains thèmes. Pour reprendre l’exemple du fameux blogueur Alexeï Navalny dont on a pu observer la tentative d’assassinat il y a quelques semaines, ce dernier n’a pu bénéficier d’aucune plateforme médiatique officielle au cours de ses campagnes politiques (municipales en 2013 où il récoltera 27% des voix et terminera second aux présidentielles en 2018 dont il sera exclu) et reste ainsi largement méconnu de la population russe, a fortiori en dehors des plus grandes villes. Si son programme politique se limite essentiellement à la lutte contre la corruption et ne contient pas d’éléments probants sur de nombreuses questions relatives à la gestion de l’Etat, sa mise à l’écart permanente des ressources médiatiques officielles contribue d’une part à maintenir, faute de mieux, un degré de soutien élevé de la part de la population envers le pouvoir en place et d’autre part à polariser l’opinion publique en renforçant la position des soutiens à Navalny, convaincus de participer à un mouvement progressiste et pro-démocratique.

 

* L’interviewé : Vladimir Pawlotsky est doctorant en géographie-géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris VIII et enseignant à l’Université Reims Champagne-Ardenne. Ses travaux portent sur le phénomène de métropolisation, les politiques publiques en matière de transport et de développement urbain, les enjeux de gouvernance urbaine et les conflits d’aménagement du territoire dans l’espace postsoviétique et principalement en Russie.

 

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