Les belles promesses des ducs de Bourgogne

 

Dans notre république actuelle, les politiques de tous bords ont souvent l’art des belles paroles. Sur les plateaux de télévision, à la radio ou encore dans des livres qui inondent nos librairies, au-delà du programme politique, on trouve tantôt des diffamations pour diminuer l’adversaire, tantôt des promesses visant à gagner le cœur de tous les électeurs potentiels.

Tourner l’opinion publique à son avantage est donc tout un art de la présentation, du discours et de la parole – qu’elle soit tenue ou pas en fin de compte ! Cet art a été largement pratiqué au xve siècle par les ducs de Bourgogne, dans un royaume de France en crise.

 

Quand les Bourguignons nous prennent pour des bœufs

La France du début du xve est ravagée par la Guerre de Cent Ans (1337-1453). Toutefois, entre deux batailles contre les Anglais, les Français se sont également entredéchiré dans une véritable guerre civile qui oppose deux camps : les Armagnacs et les Bourguignons. Ces factions luttent pour diriger le royaume, alors que le roi Charles VI peine à régner car il est sujet à des accès de folie répétés. Or, pour sortir vainqueur de cette guerre intestine, il ne suffit pas d’écraser l’ennemi sur le champ de bataille. Il faut aussi convaincre la population française que l’on incarne le meilleur camp possible.

Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, chef du parti bourguignon, n’hésite pas à mener cette guerre d’opinion. Il pointe ainsi du doigt la gestion scandaleuse des impôts par son adversaire, Louis d’Orléans, qu’il accuse d’utiliser les finances de l’État pour son propre intérêt. En mai 1402, le duc adresse une lettre au parlement de Paris pour dénoncer ces malversations, d’autant plus honteuses que les populations de France sont ruinées par la guerre. Le parlement refuse alors de publier ces lettres, par peur de la réaction du peuple. Qu’à cela ne tienne, Philippe fait envoyer des copies en grand nombre dans tout Paris ainsi que dans les bonnes villes du royaume, notamment auprès des élites bourgeoises, sensibles à ces affaires. Il mène ainsi une véritable campagne de propagande « médiatique » auprès des « contribuables » et parvient à passer pour le « champion du peuple ».

Ses accusations contre Louis d’Orléans sont fondées puisque ce dernier n’a pas hésité à utiliser les impôts extraordinaires pour renforcer ses propres troupes ou encore acheter les droits sur le puissant duché du Luxembourg. Toutefois le « champion du peuple » n’était pas non plus au-dessus de tout soupçon : tout au long de son règne il s’est en effet octroyé des pensions et des dons sur les propres caisses de l’État, afin de financer le luxe de sa cour, à hauteur de plus de 100 000 livres par an !

 

Le changement, c’est maintenant ?

Philippe le Hardi meurt le 27 avril 1404, sans avoir pu l’emporter sur ses adversaires armagnacs. Néanmoins, son fils, Jean sans Peur, a parfaitement compris le maniement de la démagogie pour poursuivre la guerre d’influence. L’année suivante, il décide de se rendre à Paris avec une centaine d’hommes d’armes afin de s’y présenter non seulement en redoutable chef de guerre mais aussi comme le réformateur qui va mettre fin aux prélèvements fiscaux trop lourds imposés par les Armagnacs. Son adversaire, Louis d’Orléans, prend peur face à cette arrivée inopinée et s’enfuit de la capitale en emmenant avec lui la reine Isabeau et le dauphin Louis de Guyenne. L’occasion est trop belle pour Jean sans Peur qui entreprend de rattraper le convoi et parvient à revenir dans Paris accompagné de la famille royale, sous les acclamations de la foule. Il fait ensuite rédiger et circuler dans toute la capitale sa version des faits : le pauvre fils du roi, enfant malade, a été tiré de son sommeil par la brutalité les hommes du duc d’Orléans, mais heureusement Jean est venu à son secours.

Quelques jours après cet événement, le duc de Bourgogne fait rassembler au palais du Louvre une assemblée où il justifie son arrivée à Paris et son recours à la force pour de bonnes raisons : il est venu pour réformer un royaume de France moribond, où l’on paie trop d’impôts, où la justice ne fonctionne pas et où le gouvernement est corrompu alors même que la situation est critique face à la menace des Anglais. Jean sans Peur a su tourner pleinement les circonstances à son avantage. Non seulement, en ce début du xve siècle, les Français ont soif de réformes, en particulier les élites nobles et bourgeoises qui, face à la folie de leur roi Charles VI, veulent être davantage associés au pouvoir. Mais surtout, Jean sait qu’en transformant le gouvernement royal, il peut y diminuer l’influence des Armagnacs qui sont nombreux et, à l’inverse, augmenter l’importance de ses propres partisans à la tête de l’État.

 

Jean sans Peur, mais pas sans reproches

Toutefois, Louis d’Orléans a compris la stratégie démagogique de son ennemi. Il décide de vaincre le feu par le feu et fait publier à son tour un manifeste. Il y accuse tout d’abord le duc de Bourgogne d’avoir enlevé le dauphin. Ensuite, il souligne que la situation du royaume de France n’est pas aussi catastrophique que Jean sans Peur veut bien l’entendre. Enfin, il rappelle que c’est lui, le duc d’Orléans qui s’est vu confier la régence, en tant que frère du roi Charles VI. Des copies de ce texte sont à nouveau envoyées partout dans les bonnes villes du royaume, ainsi que dans les principautés bourguignonnes.

Jean sans Peur organise alors l’assassinat du duc d’Orléans. Ce dernier est massacré dans Paris en pleine nuit, le 23 novembre 1407. Les soupçons finissent par peser sur le duc de Bourgogne qui organise sa défense avec la même habilité dont il a fait preuve jusqu’à présent. Il fait tout d’abord la tournée des villes du nord pour y défendre sa propre version des faits. Puis, de retour à Paris, il arrache le soutien d’un homme d’autorité : maître Jean Petit, docteur en théologie à l’Université de Paris. Ce dernier prononce à l’hôtel Saint-Pol, devant chevaliers et bourgeois un discours en faveur du duc de Bourgogne : certes il a assassiné Louis d’Orléans, mais ce personnage était un tyran, pratiquant la magie et la corruption, dont les vils agissements menaçaient la personne du roi ainsi que le royaume. Jean sans Peur sortait ainsi indemne de cet assassinat : il passait pour avoir accompli un acte licite et honorable en tuant un tyran. Il attendait maintenant la riposte armagnac. En tout cas, des heures sombres, sous le ciel de la démagogie, attendaient encore le royaume de France avant de voir la fin de la guerre civile.

 

L’affrontement entre Armagnacs et Bourguignons fut un grand moment de développement de la communication politique. Notre société, avec ses médias et réseaux sociaux s’avère également propices aux guerres d’opinion ainsi qu’à la démagogie, où la petite phrase l’emporte sur des arguments rationnels et mesurés. On peut espérer à l’avenir davantage d’intégrité de la part de nos responsables ou alors, mieux encore, un nouveau système plus démocratique qui fasse la part belle aux discussions citoyennes éclairées, loin de la tyrannie de l’opinion.

 

Pour aller plus loin

Bertrand Schnerb, Armagnacs et Bourguignons. La maudite guerre. 1407-1435, Paris, Perrin, 2009.

Bertrand Schnerb, Jean sans Peur : le prince meurtrier, Le Grand Livre du Mois, 2005.

Jean-Marie Moeglin, "'Le performative turn', 'communication politique' et rituels au Moyen Âge. A propos de deux ouvrages récents", Le Moyen Âge, 2007/2, 113, p. 393-406

 

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