Pourquoi Antonin Artaud revient-il à son nom « véritable » après s’être inventé des pseudonymes et des hétéronymes ?

Contre les surnoms restrictifs qui limitent l’identité subie, Artaud assume qui il est dans ses textes terminaux. Mais de manière paradoxale : dans un langage nourri de ce qu’il nomme des « xylophonies », des « syllabes inventées » pour tenter de remédier à ce qu’il perçoit au sein de la langue standard et mécanique comme un déficit d’être et une perte de pensée.

Pour Artaud, toute sortie de soi semble impossible : « les portes n’existent pas et on ne va jamais nulle part que là où l’on est », écrit-il dans ses Cahiers du retour à Paris. D’où cet enfermement où le nom lui-même n’existe pas, n’existe plus, et ce depuis le début, lorsque la famille du petit « Antoine » (déjà plus Antonin) l’affuble d’un sobriquet en hommage à sa grand-mère qu’il a tant aimée. 

Dès lors le poète lui-même se met à changer son nom – manière, comme il l’écrivait, de « changer de cadre pour changer l’être ». Il y eut bien sûr dans ce but le voyage au Mexique, mais surtout ses « surnoms »  – « Neneka prêt à tout », Arto, Le Momo et bien d’autres jusqu’à ce qu’il demande à Jean Paulhan pour le Voyage au pays des Tarahumaras : remplacer son nom par trois étoiles.

Ces tranformations furent parfois jugées infantiles ou liées à la démence et à la paranoïa. Mais c’était pour Artaud refaire le trajet archaïque des premières intensités du sens. Et les réduire à des postures ferait passer à côté du souffle liturgique et sacré qui anime la langue dernière d’Artaud au milieu des années 40.

Il s’agit alors de refuser toute définition socialisante : « Je ne suis pas Nanaky / Je ne suis sûr que d’une chose, / mes signes / où je me comprends ». Et ce, pour s’emparer de son identité par une autre langue, où il n’est plus une suite d’avatars. Bref, Artaud cherche son acmé dans la glossolalie. Celui qui se nomme « Le ourkente / kaloureno / kalour kenu / kleduri » va trouver là une manière, dit-il, d’ « entrer dans [s]on cœur ».

De la sorte, le feu du poète surgit en langues tordues et ardentes, et transcende l’intelligence verbale. Et en conséquence rend des sensations nouvelles en produisant un babil qui fait flotter la « langue chrétienne » à l’état d’embryon au moment où il accepte son vrai nom.