La Provence de Giono a plus à voir avec l’imagination créatrice et la littérature d’Homère, de Virgile, de l’Arioste et de Stendhal, qu’avec l’environnement manosquin « réel ».
Parler de l’œuvre de Giono n’est jamais simple. Mais ce superbe Cahier de l’Herne en hommage à l’écrivain disparu voici un demi-siècle fournit un outil précieux pour approcher une œuvre marquée par les deux conflits mondiaux.
L’auteur connut la première Guerre mondiale, la peur, les tranchées pendant quatre ans, et cela devait rester un souvenir indélébile pour ce pacifiste qui en 1939 sera emprisonné au Fort Saint-Nicolas pour avoir affiché son hostilité à la guerre qui arrivait. Puis, quand la deuxième Guerre s’achèvera, l’ex-poilu des tranchées sera à nouveau incarcéré pour délit de pacifisme, voire d’intelligence avec l’ennemi – et l’auteur de souligner : « Je suis un personnage si dangereux que chaque fois que l’on me met en prison, on me fourre dans une forteresse ! ». Il restera en prison près d’un an et s’occupera de la bibliothèque des détenus de Saint-Vincent-les-Forts, dans la vallée de l’Ubaye.
Certes, en 1941, il avait maladroitement confié son roman Deux cavaliers de l’orage à un périodique douteux. Mais symétriquement, ce numéro de L’Herne présente plusieurs preuves de l’aide fournie par Giono aux résistants de la région.
D'ailleurs, la guerre n’est pas tout, et la littérature occupe bien entendu la place centrale dans ce numéro de L’Herne, qui met en évidence les tourments et les contradictions qui hantent l’âme et l’œuvre de cet auteur qui, quoique ancré dans la Haute Provence terrienne, enrichit son imaginaire d’Homère et d’une Méditerrannée plus métaphysique que réelle. Maître du verbe, Giono combine réel et imaginaire, mais le second est le seul à produire le « mentir vrai » cher à Aragon, puisque la fiction touche toujours plus juste que la réalité dite « objective », laquelle n’est qu’une vue de l’esprit.
Bien avant les débats d’aujourd’hui sur la vérité, les fake news et autres faits alternatifs, l’inventeur d’histoires avait su tordre le cou au préjugé de l’authenticité d’une réalité toujours biaisée par ceux qui l’écrivent. Dans L’Homme qui plantait des arbres comme dans sa « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix », Jean Giono formula des considérations aux accents prophétiques. Il attaqua vigoureusement l’argent, la spéculation financière et le pouvoir, prônant (déjà !) un retour aux économies locales, et tenant la poésie pour l’activité gratuite par excellence.
Preuve que cette œuvre reste – après des années passées dans le Purgatoire des Lettres, dont elle n’est sortie que quand Gallimard a décidé de lui ouvrir les portes du « paradis » de la Pléiade) – d’une acuité qui ne se dément pas.