Les enjeux de la politique monétaire sont aujourd'hui trop importants pour être cantonnés aux discussions entre experts.

Clément Fontan, qui vient de faire paraître avec Peter Dietsch et François Claveau le petit livre Les banques centrales servent-elles nos intérêts ? (Raisons d’agir), que nous avions recensé ici, a accepté de répondre en complément à quelques questions. Souvent présentés comme très techniques, les enjeux de la politique monétaires mériteraient en effet d’être popularisés, pour pouvoir être compris et discutés par un public beaucoup plus large qu’aujourd’hui.

 

Nonfiction : La crise financière de 2007, puis la crise des dettes dans la zone euro ont mis les banques centrales en situation de jouer un rôle beaucoup plus important que pendant la période précédente. Doit-on en déduire que le modèle de la Banque centrale indépendante et à mandat restreint est désormais caduc ?

Clément Fontan : L’objectif de notre ouvrage est en effet de montrer que la crise financière de 2007 a fragilisé significativement les fondations théoriques du modèle de la Banque centrale indépendante à mandat restreint. Les Banques centrales (BC) ont intégré une partie des critiques en changeant de vue sur les capacités de stabilisation des marchés. Mais elles continuent à nier en grande partie l’impact des programmes de rachats de titres (Quantitative Easing) sur les inégalités de richesse, se raccrochant aux justifications théoriques de leur indépendance qui datent pourtant de la fin des années 1970 (chapitre 2) ! De plus, les BC n’ont pas assez fait pour diminuer l’influence grandissante des intérêts financiers privés sur la conduite de leur politique monétaire (chapitre 3). Enfin, le mandat d’aucune grande BC n’a été changé radicalement et celles-ci bénéficient toujours d’un degré élevé d’indépendance. 

 

Cette extension de leur rôle devrait inciter à se pencher à nouveaux frais sur le contrôle politique dont les initiatives des banques centrales font et/ou devraient faire l’objet. Quel type de contrôle serait-il nécessaire selon vous, sur quoi en particulier devrait-il porter, et comment pourrait-il s’exercer ?

Tout à fait, bien que l’indépendance des banques centrales ait des vertus, notamment en termes de séparation des pouvoirs (pensez à Trump qui pourrait ordonner à la Federal Reserve de financer son mur avec le Mexique si celle-ci n’était pas indépendante), le niveau actuel d’indépendance des BC est trop élevé et mène à une coordination difficile et problématique avec les politiques fiscales et budgétaires. Une coordination plus étroite avec ces autorités pourrait aider à reprendre le contrôle sur les activités des banques centrales et maîtriser certains effets distributifs indésirables. Par exemple, les négociations actuelles sur la taxonomie brune et verte menées au sein du Conseil et du Parlement vont déterminer quelles activités économiques ont un impact négatif ou positif sur la transition écologique. Il faudrait alors que la BCE suive cette taxonomie dans ses décisions monétaires et prudentielles (achat d’actifs financiers, analyse des risques dans les portefeuilles des banques…). 

 

L’influence de la finance sur la politique des banques centrales est disproportionnée expliquez-vous et conduit à favoriser hors de mesure les intérêts de celle-ci. Mais la finance compte elle-même des compartiments assez différents. Les assureurs sont par exemple vent debout contre une politique qui a conduit à des taux d’intérêts négatifs. Que pourriez-vous alors répondre à cela ? 

Vous posez une très bonne question que nous n’avons pas assez traitée dans l’ouvrage. Les politiques monétaires ont des effets différenciés sur les acteurs de marchés et créent des gagnants et des perdants parmi eux. Par exemple, même si les petites banques de dépôt profitent de certains effets du Quantitative Easing (notamment sur la croissance), elles en bénéficient moins que les grandes banques universelles, plus portées sur les activités de marché, qui profitent de l’effet principal de celui-ci : la hausse des prix des actifs financiers. En bref, tous les acteurs financiers ne sont pas impactés de la même manière par les politiques de la BCE, mais celles-ci tendent cependant à renforcer principalement les institutions financières dominantes aujourd’hui.  

 

Les experts de la politique monétaire discutent entre eux et les critiques et/ou propositions externes à leur cercle suscitent de leur part peu d’intérêt, mais même des mesures qui pourraient recueillir chez eux un fort consensus comme celles des avancées qu’il faudrait encore réaliser pour conforter l’institution face à la menace de crises futures peinent à se mettre en œuvre. Comment l’expliquer ?

Les enjeux monétaires sont souvent considérés comme étant très techniques, complexes et inaccessibles sans une forte connaissance en la matière. C’est en partie vrai, mais c’est aussi le cas pour les politiques fiscales et budgétaires, qui sont pourtant beaucoup plus débattues sur l’espace public que les politiques monétaires. La scientifisation de la politique monétaire à partir des années 1980 que nous décrivons dans le chapitre 4 est une des raisons principales de cet écart. Je pense que cette absence de saillance politique des enjeux monétaires explique en partie la déconnexion entre le débat public et les experts, qui peuvent alors avoir tendance à réagir de manière défensive aux critiques externes, considérées comme profanes. Un des objectifs de notre livre est de montrer que les enjeux monétaires ont pourtant une dimension politique et éthique instinctive, que nous pourrions tous et toutes chercher à nous approprier.  

 

Parmi les mesures, radicales cette fois, de réforme des banques centrales figure en bonne place tout ce qui tourne atour de la désintermédiation de la politique monétaire. En quoi consisterait-elle et quel est selon vous le degré de maturation de la réflexion sur ce sujet ? 

C’est une vaste question, et sur laquelle il est difficile de se positionner. D’un côté, l’intermédiation bancaire actuelle pose de sérieuses questions éthiques et économiques sur l’utilisation de la liquidité fournie par les banques centrales, comme nous le montrons dans notre chapitre 3. De l’autre, il ne faudrait pas non plus que la distribution directe de liquidités à l’économie réelle soit uniquement décidée par un comité de politique monétaire non élu. La solution se trouve sûrement dans une meilleure coordination entre banques centrales et gouvernements et une meilleure régulation du secteur financier.