Un questionnement des finalités des banques centrales et des propositions pour réaligner leurs objectifs avec les intérêts du plus grand nombre.

Trois chercheurs en philosophie et sciences politiques, spécialisés en économie et éthique, Peter Dietsch, François Claveau et Clément Fontan se penchent dans ce petit livre, tout d’abord publié en anglais au Canada, sur le fonctionnement des banques centrales au regard de l’intérêt public.

L’ouvrage, après un premier chapitre qui décrit de manière très claire le rôle des banques centrales, aborde successivement trois problèmes. Tout d’abord, l’absence de prise en compte des effets redistributifs, en faveur des individus les plus riches ou des plus grandes entreprises, induits par la politique monétaire. Ensuite, l’influence disproportionnée des acteurs financiers sur la politique monétaire. Enfin, les conflits d’intérêts qui peuvent entacher l’expertise produite par les banquiers centraux. Il faut bien sûr y voir un approfondissement de la critique, qui remonte des effets aux causes, même si les auteurs privilégient un traitement distinct de chacun de ces thèmes.

Le livre propose pour finir des mesures qui pourraient être mises en œuvre immédiatement, ou encore mises à l’étude s’agissant de mesures plus engageantes, pour remédier à ces différents problèmes.

 

L’élargissement des missions des banques centrales

Dans le modèle d’indépendance de la banque centrale qui prévalait dans les années 1990 et au début des années 2000, les banques centrales étaient essentiellement en charge de la stabilité des prix. Depuis la crise de 2007, elles ont toutefois dû assumer d’autres tâches, pour prévenir un effondrement financier, puis faire redémarrer l’économie. Les effets secondaires de leur action ont ainsi été amplifiés. Leurs achats massifs d’actifs financiers ont, par exemple, contribué à un boom du prix des actifs, qui a largement profité à leurs détenteurs, c’est-à-dire aux plus riches.

Ces effets collatéraux justifieraient de rouvrir le débat, expliquent les auteurs, concernant la manière dont ils devraient être pris en compte dans la définition de la politique monétaire. Clément Fontan avait déjà traité ce volet dans un article pour La vie des idées en 2016.

 

Des banques centrales sous tutelle de la finance

Pour que ce débat puisse avoir lieu encore faudrait-il que les banques centrales puissent s’émanciper de la domination de la finance. Or c’est loin d’être le cas comme le montrent à la suite les auteurs.

Les banques centrales ont soutenu la financiarisation du secteur bancaire, qu’elles ont le plus souvent vu comme un moyen d’atteindre leurs objectifs, cela jusqu’en 2007. Elles sont ensuite peu intervenues pour restreindre celle-ci après la crise, lorsqu’il était devenu clair qu’elle était un problème. De fait, les banques centrales sont dépendantes des institutions financières pour la mise en œuvre de la politique monétaire. Ce qui les conduit à assurer la disponibilité de la liquidité sur les segments de marché enclins à l’instabilité (comme on en a encore vu un exemple récent lorsque les taux sur le marché américain du repo [de refinancement des actifs financiers négociables] se sont envolés à la mi-septembre) ou encore à devoir faire miroiter aux banques commerciales un profit pour obtenir que celles-ci veuillent bien leur prêter la main en assurant la transmission de leurs initiatives. Sans doute faut-il y voir également, notent les auteurs, une des raisons pour lesquelles les banques centrales n’ont pas beaucoup œuvré ces dernières années pour réduire le problème d’aléa moral associé aux banques « trop grosses pour [qu’on les laisse] faire faillite ».

 

Des experts sous influence

Le dernier volet de l’ouvrage concerne l’expertise que produisent les banques centrales. Les auteurs pointent notamment la forte prédominance des banques centrales dans les réseaux scientifiques qui discutent de politique monétaire et de régulation financière, où les chercheurs non affiliés d’une façon ou d’une autre à celles-ci sont aujourd’hui très minoritaires. Cela conduit à privilégier les sujets qui ont un intérêt immédiat pour celles-ci et leur activité de régulateur financier, au détriment d’autres sujets qui pourraient être d’un tout aussi grand intérêt à moyen ou long terme.

 

Comment réformer les banques centrales ?

Les auteurs scindent les mesures qu’ils proposent à la fin du livre pour remédier à ces différents problèmes entre celles qui pourraient être adoptées immédiatement (même si ce terme apparaît très optimiste) et celles qu’il conviendrait d’étudier plus sérieusement en vue d’une application ultérieure éventuelle.

Au nombre des premières, figurent alors ainsi : un ciblage des achats d’actifs par les banques centrales, cela de façon à en canaliser et en orienter les effets, un ensemble de mesures visant à diminuer fortement le degré de financiarisation de nos économies et des mesures visant à diversifier les projets de recherche concernant le rôle et l’action des banques centrales. Peut-être certaines d'entre elles pourraient-elles être examinées dans le cadre de la revue stratégique que lance la BCE. Les secondes, beaucoup plus radicales, concerneraient l’élimination des intermédiaires de la politique monétaire que sont les institutions financières, qui pourrait elle-même prendre plusieurs formes, qui nécessiteraient alors d’être analysées en détail, ou encore (pourquoi pas ?) la constitution des départements de recherche des banques centrales en entités indépendantes.

Il faut sans doute lire comme un trait d’humour que les auteurs se placent alors sous le patronage de Milton Friedman qui invitait (en 1962) à imaginer d’autres politiques dans l’attente qu’une crise rende leur mise en œuvre nécessaire, en saluant le succès qu’allait connaître cette stratégie après l’effondrement du système de Bretton Woods. Après tout la roue tourne et comme une nouvelle crise financière majeure arrivera tôt ou tard, il n’est certainement pas idiot de prendre date !

 

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