Ce mois de novembre 2019 est l’occasion de se replonger dans l’œuvre écrite et filmée de cette figure majeure du cinéma expérimental.

Rétrospective en salles de ses films (unique occasion de les visionner dans leur format 16mm original), édition DVD, publication de textes théoriques inédits, colloque international dédié… En novembre, les Parisiens auront plusieurs occasions de mesurer l’ampleur de l’œuvre de Claudine Eizykman.

 

Une oeuvre multiformes

Cette œuvre ne se limite pas aux films qu'elle a réalisés, elle s'étend aussi à sa pensée théorique (son incontournable ouvrage « La Jouissance Cinéma », paru 1976), à son enseignement, à ses programmations, ou encore à la fondation avec Guy Fihman de la Paris Films Coop en 1974 (devenue Cinédoc http://www.cinedoc.org/ en 1979) et à la création de la revue haute en couleurs « Melba » (1976-79), aventure partagée avec, entre autres, Dominique Willoughby, Prosper Hillairet (spécialement remercié pour sa contribution à l'écriture de ce texte) et Pascal Auger.

Claudine Eizykman a passé sa vie à défendre un « cinéma pur » ou « absolu », dans la lignée tracée notamment par la cinéaste et théoricienne des années 1920-1930 Germaine Dulac (dont on peut consulter les Ecrits sur le cinéma dans une nouvelle édition), dont elle appréciait particulièrement le propos concentré sur des composantes plastiques propres au Septième art (mouvement, rythme, jeux de lumière, effets visuels), indépendamment de tout contexte narratif ou figuratif, déconstruisant ainsi l’hégémonie du cinéma « Narratif-Représentatif-Industriel » (N.R.I.), comme Eizykman le nommait.

 

L'expérience cinéma

Les films d'avant-garde des années 1920, période essentielle dans la conceptualisation théorique du cinéma, constituent d’ailleurs un des piliers de sa réflexion. Pour peu que l’on ne saisisse pas bien, au premier abord, l’intérêt profond d’un film comme le Rythme 21 de Hans Richter (1921), métrage de trois minutes exclusivement constitué de formations, apparitions et disparitions de formes géométriques planes en mouvement, il suffisait d’écouter Eizykman en parler, inviter l’auditoire à se dégager de son obsession de « comprendre » pour simplement se laisser porter par le rythme, les effets visuels, les variations des images, et ainsi à profiter sans encombrantes préconceptions de cette expérience esthétique très pure et radicale.

Ce type d’expériences, Claudine Eizykman va le travailler à l'extrême dans ses films, et notamment dans son fameux V.W. Vitesse Women, qui gagna le prix du jury de sélection à la dernière édition (1974-75) du Festival international de cinéma expérimental de Knokke-le-Zoute. En observant le rouleau de pellicule de ce film, on constate la minutie presque mathématique d’une entreprise qui a pour finalité d'aller au-delà des « seuils d'acceptabilité du cinéma standard, (…) seuil fixé au-dessous de 6 photogrammes en continuité » (voir son texte dans l’ouvrage Le film après-coup), et qui aura pour effet « le dérèglement des sens souhaité par Rimbaud, ouvrant la voie à un autre mode de perception » (selon les mots de Michel Nuridsany dans Le Figaro du 31 octobre 1975).

Outre cette organisation rythmique unique, il faut noter aussi la splendeur plastique de films formés d’évènements visuels étonnants et poétiques. Dans Bruine Squamma, ce sont « des flashes, explosions, extinctions, taches d'images, qui se succèdent, se décalent, se superposent, comme dans un jeu de cartes transparentes » (Boris Lehman, La relève, 25 novembre 1977). Tandis que pour Lapse, le plus beau aux yeux de Dominique Noguez (dans 30 ans de cinéma expérimental en France, Arcef, 1982), la cinéaste « recouvre (...) son image d'une cristallisation de points et ce pailletage, ce poudroiement cotonneux (...) donne, en même temps qu'une concrétude supplémentaire à l'image, des arrangements colorés plus miroitants, mais également son ciment, sa pulsation au film ».

 

Une passeure d'exception

Pour Eizykman, montrer des films fut quasiment aussi important qu’en faire. Telle a été une autre facette de son œuvre, qui a permis de faire découvrir un pan très varié du cinéma d'avant-garde et expérimental. Ainsi, dans son « Cabinet d'amateur » à la Cinémathèque française, dans son « Panthéon du cinéma » ou dans ses « Rendez-vous du cinéma expérimental » au Forum des images, ont été montrés des films de l'avant-garde française des années 1920 (Man Ray, Marcel Duchamp, Henri Chomette), des films de pionniers et inventeurs en matière d'animation (Alexandre Alexeïeff, Norman McLaren, Len Lye), ou encore des expérimentations « pop » (Kenneth Anger, Pierre Clémenti, Adolfo Arrieta). Ces programmations ont aussi été l'occasion de mettre en lumière des noms comme Ed Emshwiller, Pat O'Neill, Bruce Baillie, Maya Deren, ainsi que des constellations de cinéastes par pays, comme la République Tchèque, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique et la Pologne.

Au milieu des années 1990, dans le cadre du Master Valorisation des Patrimoines de l'Université Paris 8, Claudine Eizykman a institué un Ciné-Club, dans lequel, à partir d'un thème (Récits / Ruptures / Frontières / Poursuite / Enfance / Déserts / Indépendances...) se dessine une programmation de films toutes « catégories » confondues. Le but était justement d’éviter tout cloisonnement, de faire se rencontrer et résonner les films entre eux. Ainsi, sur un même thème pouvaient cohabiter des films d’Eisenstein, de Duvivier, d’Eustache, de Luntz, de Cocteau, de Pialat, de Visconti. Sa curiosité pouvait aller aussi vers des films plus populaires comme La Fièvre du samedi soir, et elle témoignait d’un profond intérêt pour les innovations techniques (effets spéciaux, 3D) dans des films à grand spectacle comme Avatar.

Dans l'hommage qu'il a rendu à Claudine Eizykman (Jeune Cinéma, n°390 - septembre 2018), Prosper Hillairet évoque le « choc » de la projection de V.W. à Vincennes dans les années 1970 : « Pour la première fois je voyais les images sortir de la toile, flotter devant l’écran, envelopper notre vision. Nous étions dans l’image ».

Nous serons encore ensemble dans l'image en ce mois de novembre 2019.

 

 

RETROSPECTIVE FILMS CLAUDINE EIZYKMAN

Tous les films seront projetés en 16 mm.

25 novembre 2019 - 20h - Studio des Ursulines : Ultrarouge-Infraviolet de Guy Fihman / & VW Vitesses Women de Claudine EIzykman

26 novembre 2019 - 20H - Grand Action : Bruine Squamma, de Claudine EIzykman séance accueillie par le Collectif Jeune Cinéma - projection suivie d'un cocktail

27 novembre 2019 - 20H - Reflet Médicis : L'Autre scène ; Maine Montparnasse ; Lapse de Claudine EIzykman

 

Rencontre avec Dominique Willoughby le jeudi 14 novembre, 18h30 à la Librairie du Cinéma du Panthéon autour de la sortie du livre "Le film-après-coup" réunissant les textes théoriques de Claudine Eizykman ainsi que de la sortie du coffret dvd présentant l'intégral de ses films.

 

27 et 28 novembre - Colloque international "Claudine Eizykman - Faire penser le cinéma" à l'INHA, Paris 2e.

Avec Guy Fihman, Dominique Willoughby (PR - Université Paris 8), Francis Haselden, (ENS-Paris), Françoise Coblence (Université de Picardie-Jules-Verne, Société psychanalytique de Paris), Paolo Bertetto (Università La Sapienza-Roma), Grégoire Quenault (Université Paris 8), Dario Marchiori (Université Lumière Lyon 2), Patrick de Haas, Mireille Laplace (Grains de Lumière, Marseille), Prosper Hillairet (Université Paris 8) Jennifer Verraes (Université Paris 8), Federico Rossin (programmateur indépendant)

 

Contact Mélanie Forret/Garance Rigoni

cinedoc@wanadoo.fr

Informations

cinedoc.org

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