Retour sur l'édition 2019 du plus grand festival metal d'Europe.

Désormais incontournable dans le paysage des festivals estivaux, le Hellfest est devenu une très grosse machine. Sur le terrain, cela se traduit par une organisation impeccable, un decorum superlatif et une affluence... pathogène (180.000 personnes sur trois jours). Peu d'espace pour les festivaliers sur le site, donc, et en même temps peu de trous dans une programmation qui, à quelques exceptions près (Electric Wizard, Neurosis), intègre à peu près tous les groupes significatifs qui tournent le même été. Preuve de la puissance du feu mobilisée : même le désistement de dernière minute d'une des têtes d'affiche (Manowar, remplacé au pied levé par Sabaton, qui avait joué la veille au Knotfest organisé sur le même site) n'ébranle pas la teneur d'une édition par ailleurs marquée par le dernier concert français de Slayer (un set d'une intensité impressionnante) et le retour sur scène de Tool, douze ans après leur dernière tournée (pour un magnifique spectacle musico-visuel, toutes LED dehors, les lasers et les projections d'images compensant sans peine le statisme assumé des musiciens).

Si chaque année le vivier des têtes d'affiche potentielles (principalement des groupes de hard & heavy fédérateurs des années 1970/1980) se dégarnit (Kiss et Lynyrd Skynyrd effectuaient également en 2019 leur dernier passage sur scène), et si on peut se demander quels seront les groupes plus jeunes qui pourront comme eux, à l'avenir, remplir les jauges des Main Stages le soir venu, on observe que des pistes se confirment, comme l'ampleur neuve et pleinement assumée prise par Gojira. Enfin prophète en son pays, après avoir conquis une grande partie du globe avec son metal extrême racé, conscient et panthéiste, le groupe bordelais revenait en patron sur les terres clissonnaises, au terme d'une journée du vendredi où la Main Stage 2, singulièrement, n'accueillit que des groupes hexagonaux (Dagoba, No One is Innocent, Mass Hysteria, etc.).

 

La scène doom mise à l'honneur

Malgré l'annulation des Américains de The Obsessed, cette édition 2019 a surtout brillé par la teneur et la constance de sa programmation de doom metal (et de ses dérivés), au premier rang de laquelle nous pouvons citer le très beau concert des Suédois de Candlemass (auxquels on doit d'ailleurs le terme de "doom", apparu sur la couverture de leur premier album en 1986). Un live plus agressif que leur prestation de 2013 au Hellfest, à l'image du registre vocal plus "hard" du chanteur originel, Johan Langqvist, revenu très récemment dans le groupe pour assurer la tournéee, en remplacement de ses successeurs Messiah Marcolin et Mats Leven, au registre plus lyrique. L'entame du morceau The Well of Souls a vite donné le ton d'un set qui se voulait un concentré du doom primitif du groupe (chant épique, riffs assommants, changement de tonalités événementiels, etc.), puisque ce sont ensuite des titres des quatre premiers albums (et notamment de leur chef d'œuvre Nightfall) qui ont été joués.

Les spectateurs du Hellfest ont également eu la chance de profiter du concert de Yob, sans doute le plus grand groupe de doom de ces dix dernières années. La formation, portée par Mike Scheidt et Travis Foster (respectivement guitariste-chanteur de génie et un des meilleurs batteurs doom au monde), n'a pas failli à sa réputation et a livré un set monstrueux : cinq titres représentatifs de ce que les américains réalisent depuis leurs débuts, à savoir un doom psyché, plus violent et plus complexe que ce que proposent des groupes de référence comme Electric Wizard ou Windhand, tout en touchant une puissance émotionnelle rare (https://www.youtube.com/watch?v=KYuFFhE10TE).

Dans un registre un peu plus attendu, Acid King a exécuté avec beaucoup d'efficacité un set doom psyché contemplatif et hypnotique, déployant une grande science des riffs saturés autour de morceaux principalement tirés du magnifique album Busse Woods de 1999.

Dans un registre plus death lorgnant sur le doom, le supergroupe Vltimas a livré, devant une assistance un peu clairsemée pour de tels musiciens (David Vincent de Morbid Angel, Rune Eriksen d'Aura Noir, Flo Mounier de Cryptopsy), un live très carré, défendant avec conviction et engagement les compositions ambitieuses de l'excellent récent album Something Wicked Marches In.

De la conviction et de l'engagement, il n'en a pas non plus manqué au duo allemand de Mantar qui a proposé son sludge survolté, à un public très réceptif. Ce groupe, formé en 2012, s'impose comme un cador du genre, aux côtés de formations plus évidentes comme Eyehategod ou Noothgrush.

Du sludge, on a pu en entendre aussi avec Sumac, mais dans un registre très différent, preuve de la richesse d'un genre musical dont il représente une convaincante piste d'évolution. En effet, le groupe porté par Aaron Turner (entre autre guitariste d'Isis) évolue dans un univers musical plus expérimental et exigeant que ce que proposent habituellement les formations de sludge. Cette musique, qui peut faire penser à celle de The Body, ne se laisse pas apprivoiser facilement, et implique une écoute attentive. Elle se joue des conventions du genre, prend son temps, et navigue volontiers vers le post-metal, l'influence d'Aaron Turner n'étant bien évidemment pas étrangère à cette direction (https://www.youtube.com/watch?v=rohacvlEMWs).

Bien moins subtil ou cérébral, mais tout aussi jouissif, Conan, digne représentant du doom anglais, revenait au Hellfest pour défendre son dernier album Existential Void Guardian. Une prestation sans concession, d'une massivité impressionnante (https://www.youtube.com/watch?v=GLReZbithUg).

Contrairement à d'autres éditions du Hellfest, il y eut, cette année, peu de représentants du genre stoner, si ce n'est les Californiens de Fu Manchu et les Anglais de Uncle Acid & The Deadbeats, qui évoluent dans un registre plus rock et proposent une musique d'une grande sensibilité, à l'image de ce Pusher Man : https://www.youtube.com/watch?v=K7joq33KQqI

 

Une scène black metal moins relevée

Alors que la scène black metal jouit depuis quelques années d'une foisonnante vigueur, la programmation 2019 du Hellfest est apparue en peu en retrait. Bien sûr il y eut de beaux représentants (citons notamment Tormentor, première formation d'Attila Csihar et pionnier du black, les Grecs de Lucifer's Child, Carpathian Forest, digne représentant du true norvegian black metal, Cradle Of Filth dans un style symphonique plus inoffensif) mais rien de très attendu, si ce n'est Tormentor, mais manque de bol, ils jouaient pendant Tool.

Cela laisse le champ libre pour apprécier la prestation assez "sauvage" de Wiegedood, qui nous avait habitué à des albums plus atmosphériques. Ce jeune collectif belge issu de Church Of Ra, et qui réunit des membres de Amenra, Rise And Fall et Oathbreaker, maîtrise parfaitement son style, un black metal émotionnel et atmosphérique, lorgnant vers le post-metal. On retrouve ici, dans un genre différent, quelque chose de l'énergie du Amenra des débuts, avec des ruptures bien senties et un chant hurlé charriant avec lui une profonde noirceur (https://www.youtube.com/watch?v=OnZu7UI1KJA).

Et surtout pour retrouver les seigneurs d'Emperor, qui ont joué quasiment en entier leur Anthems to the Welkin at Dust de 2017, avant de finir leur set par trois morceaux du chef d'oeuvre In the Nighside Eclypse de 1994. Un concert prenant, malgré un son désastreux (impossibilité de distinguer les guitares, clavier très en retrait, etc.). On était donc loin du live épique joué sur la Main Stage en 2014 pour les 20 ans de In the Nightside Eclypse.

 

Des propositions "hors-sol"

Comme les années précédentes (cf. les mémorables prestations de Magma, Prius ou Chelsea Wolfe), les surprises de la programmation sont venues venir de groupes naviguant dans des genres moins évidents, et pas toujours affiliés au "metal" stricto sensu. Cette année, ce sont les Japonais de Envy qui ont emporté le morceau, avec leur screamo survolté, d'une énergie folle, qui atteint de poignants sommets d'émotion. Un des concerts les plus marquants du festival. Belle réussite également pour les Néerlandais de Dool, évoluant dans un dark rock très classieux, qui ont joué pratiquement l'ensemble de leur unique album Here Now Then Then, ainsi qu'une reprise inattendue de Killing Joke, Love Like Blood, qui a fait s'enthousiasmer le public dès les premières notes.

Ce n'est pas peu dire qu'on aime l'album Eternal Kingdom de Cult Of Luna, mais on a ressenti cette fois une petite lassitude à l'écoute de morceaux comme Olwood et Ghost Trail, pourtant parfaitement exécutés. Il en va de même pour le monumental Finland, tiré de l'album Somewhere Along The Highway. Sans doute, les avons-nous trop écoutés en live. L'intérêt du concert fut donc plus profond pour les deux morceaux du nouvel album A Dawn to Fear (pas encore dévoilé au moment du concert), augurant un retour à un post-metal ample et solide, même si moins expérimental.

Une vraie déception pour le live de The Sisters of Mercy, dont le post-punk gothique n'a pas bien passé la barrière de la scène. Mais au rang des bonnes surprises, on peut mentionner Jo Quail, qui avait la tâche de pallier à l'annulation de Myrkur: Flokesange, et qui a dompté un chapiteau entier de metalleux armée de son seul violoncelle. Assistée par un matériel de création de boucles, la Britannique prend son temps, installe ses boucles et développe ses variations poétiques. La notion de live prend avec cette musicienne tout son sens, tant elle donne la sensation de sculpter en direct sa musique, s'étonnant elle-même du rendu de certaines de ses pièces. À noter la présence rassurante de Thomas Hedlund (batteur de Cult Of Luna) sur le morceau Adder Stone qui a apporté une tonalité encore plus rock à un set qui n'en manquait pourtant pas.