Un ouvrage foisonnant pour comprendre comment le mythe médiéval arthurien a été récupéré, adapté et transformé par notre époque à travers films et séries.

Le roi Arthur est une figure majeure de nos imaginaires. Pourtant, nous le connaissons surtout à partir d’œuvres de fictions contemporaines qui ont largement remanié les traditions originelles. Or, ces fictions actuelles, en plus d’investir le personnage d’Arthur de nouvelles identités anachroniques, en font également un véritable symbole du Moyen Âge. Camelot, sa cour, son peuple et son roi cristallisent ainsi tous nos clichés sur cette période.

C’est en partant de ce constat que Justine Breton, à travers Le Roi qui fut et qui sera, édition de sa thèse en littérature médiévale soutenue en 2016, entreprend de décrypter les représentations modernes de l’univers arthurien, à travers les films et les séries. Ce choix s’avère d’autant plus intéressant qu’il s’agit des principaux soubassements visuels des imaginaires contemporains. Les fictions arthuriennes d’aujourd’hui tiennent ainsi un double discours sur le passé médiéval et sur l’époque contemporaine, puisant leurs influences dans l’un comme dans l’autre.

Spécialiste de Terence Hanbury White, écrivain de la première moitié du XXe siècle, à l’origine du cycle de fantasy, The Once and Future King (dont Disney s’est inspiré pour son Merlin l’Enchanteur), Justine Breton procède par un va-et-vient constant entre trois strates de la tradition arthurienne : ce que l’auteure appelle les « hypotextes médiévaux », à savoir par exemple les œuvres de Geoffroy de Monmouth Chrétien de Troyes ou Thomas Malory ; les romans anglo-saxons des XIXe-XXe siècles, et enfin la production audiovisuelle de la seconde moitié du XXe siècle. Il en ressort une étude d’une grande richesse sur l’imaginaire occidental.

 

L’éternel retour du roi

L’auteure commence par un panorama global des œuvres de fiction arthuriennes et constate qu’elles se focalisent souvent sur l’une des deux grandes périodes qui structurent la vie du personnage : soit sa jeunesse et son ascension au pouvoir royal ; soit le crépuscule de son règne, sous les traits d’un souverain affaibli et d’un royaume moribond. À cet égard, la période de formation d’Arthur n’apparaît jamais dans les hypotextes médiévaux, si l’on excepte quelques indications sommaires. Elle est plutôt l’apanage des fictions cinématographiques contemporaines, destinées à un public familial et lui proposant quelques poncifs sur le Moyen Âge de l’enfance avec son esthétique chatoyante. Toutefois, la majorité des œuvres, qu’elles soient médiévales ou contemporaines, sont plutôt consacrées au déclin d’Arthur qui offre un meilleur intérêt dramatique pour les réalisateurs : il s’agit en effet de représenter l’échec et la chute d’un mythe politique. Ces représentations presque tragiques apparaissent déjà en germe chez Chrétien de Troyes où la puissance du roi n’est jamais au centre de l’intrigue, mais toujours un simple élément de décor. Elles sont développées dans la seconde partie du XVe siècle avec Le Morte d’Arthur de Thomas Malory qui sert de base successivement aux romanciers Alfred Tennyson et T. H. White, avant d’être reprises par le cinéma contemporain – comme le Lancelot du Lac de Robert Bresson en 1974 qui s’ouvre sur la déchéance de la Table Ronde –, jusqu’à la série Kaamelott où Alexandre Astier fait d’Arthur un personnage vaincu par la dépression.

Cependant, au-delà du seul personnage, Justine Breton s’intéresse également aux nombreux objets merveilleux qui entourent Arthur et contribuent à façonner le mythe. Plusieurs pages sont ainsi consacrées à la généalogie de l’épée magique, Excalibur. Peu présente dans les hypotextes médiévaux, elle devient centrale dans les fictions contemporaines où elle constitue un objet presque polymorphe que les auteurs adaptent à leur projet scénaristique ou esthétique. Le livre s’attarde notamment sur l’image originale de l’épée plantée dans un géant de pierre, que l’on retrouve dans le téléfilm Merlin de Steve Barron dans 1998, et plus récemment dans le King Arthur de Guy Ritchie de 2017, mais qui semble provenir d’un film d’animation japonaise de 1968 – Taiyou no ouji Horusu no daibouken, « Horus prince du soleil », d’Isao Takahata et Hayao Miyazaki. La célèbre Table Ronde fait également partie des objets du pouvoir analysés dans le détail par Justine Breton, jusque dans ses utilisations plus implicites dans des films qui semblent au départ sans rapport avec la légende arthurienne. X-men Apocalypse donne ainsi à voir une scène où le professeur Xavier, sur son fauteuil roulant qui figure le trône royal, lit The Once and Future Knight de T. H. White à ses élèves qui forment un cercle autour de lui, assimilant les mutants aux chevaliers médiévaux. Ces nombreuses références aux productions de la « pop culture » qui parsèment le livre rappellent combien les motifs arthuriens ont investi nos fictions contemporaines.

 

Les femmes à l’honneur

La seconde partie du livre analyse la galaxie de personnages qui entourent le roi Arthur et la façon dont cinéma et série s’emparent de ces protagonistes. Il est question des différents héros-chevaliers qui peuplent Camelot, mais aussi des « méchants » comme Mordred ou Méléagant, ainsi que de la figure tout en nuances de Lancelot, meilleur chevalier du royaume et en même temps fossoyeur du règne arthurien dans plusieurs adaptations. Toutefois, l’un des éléments les plus remarquables de l’ouvrage de Justine Breton est la place accordée aux protagonistes féminins.

La littérature médiévale réserve un traitement globalement négatif aux femmes, les réduisant souvent à des trophées de guerre, à des êtres fragiles contraints au silence, ou encore à des sorcières manipulatrices. Le cinéma reprend en partie ces motifs, notamment à travers les personnages de Guenièvre – la reine stérile –, et son reflet maléfique, la sorcière Morgane, qui se confond dans certaines adaptations avec sa sœur, Morgause. Plusieurs pages sont d’ailleurs consacrées à la tradition littéraire qui fait de Morgane une enchanteresse séductrice. Cette figure trouve l’une de ses sources dans l’œuvre de Thomas Malory où « Morgan le Fay » séduit chevaliers et seigneurs pour faire tomber le roi Arthur. Elle est convoquée ensuite par T. H. White dans son roman The Queen of Air and Darkness, ou plus récemment dans la série Camelot, où Morgane prend les traits de l’actrice Eva Green. Cette tradition se retrouve également dans Indiana Jones and the Last Crusade, avec le personnage d’Elsa qui constitue un obstacle dans la quête du Graal du héros, ou encore à travers la figure célèbre de la « James Bond girl », selon un double procédé qui diabolise et sexualise tout à la fois la femme.

Néanmoins, à partir des années 1990, alors que les débats sur les discriminations sexuelles s’ancrent dans les sociétés, les adaptations audiovisuelles du mythe arthurien cherchent de plus en plus à valoriser les personnages féminins, provoquant cependant un véritable décalage avec la tradition littéraire médiévale. Certaines productions ne craignent pas l’anachronisme et donnent ainsi à Guenièvre les allures d’une reine guerrière, comme dans First Knight de Jerry Zucker en 1994, et plus encore dans le King Arthur d’Antoine Fuqua en 2004, où l’on voit la reine au milieu de la mêlée combattre les Saxons aux côtés des chevaliers. Par ailleurs, à plusieurs reprises Justine Breton fait référence au cycle de romans de fantasy, Avalon Series, écrits par Marion Zimmer Bradley à partir de 1983, et partiellement adaptés en téléfilm. Ces œuvres ont en effet la particularité de proposer une relecture féministe de la légende arthurienne, en prenant le point de vue des personnages féminins. L’auteure rappelle ainsi que les différents avatars de la légende arthurienne à travers les époques constituent autant de reflets des sociétés qui les produisent.

 

La démocratie à Camelot

L’autre grande évolution du mythe arthurien analysée par Justine Breton est la place croissante occupée par le peuple comme motif ou personnage littéraire. Ainsi la légende arthurienne au cinéma et à la télévision se plie-t-elle de plus en plus aux exigences démocratiques des XXe et XXIe siècles, faisant du peuple une sorte de Tiers-État revendicateur mais complètement anachronique, et valorisant par ailleurs l’image d’Arthur comme souverain juste, éduqué et soucieux de la bonne marche du royaume. Le dessin animée The Magic Sword : Quest for Camelot de 1998 décentre ainsi la perspective, proposant de suivre deux jeunes personnages, Kayley et Garrett, dont les actions héroïques font comprendre à Arthur que « la force d’un royaume ne repose pas sur la force du roi, mais sur la force du peuple ». Sur un ton plus léger et décalé, les Monty Python dans Holy Grail, avec le paysan « anarcho-syndicaliste » Dennis, ou la série Kaamelott avec les personnages de Guethenoc et Roparzh, font écho aux préoccupations politiques contemporaines.

Il faut dire que, dans les sources médiévales, le peuple n’est qu’un décor ou alors un faire-valoir des personnages nobles, que ce soit les bourgeois dans le roman Cligès ou encore les domestiques dans Yvain ou le chevalier au Lion. On retrouve toutefois cette vision de la société dans le cinéma actuel lorsque, dans First Knight, Lancelot, qui n’est pas encore adoubé, remporte de petits duels amicaux contre des gens du peuple, suscitant leur admiration et laissant entendre que le chevalier en devenir est un personnage bien distinct de la populace. Selon la même perception du peuple comme passif, ce dernier est parfois utilisé dans les fictions contemporaines en tant que reflet du bon ou mauvais gouvernement du souverain. Par exemple, dans la série Merlin diffusée entre 2008 et 2012, le règne malheureux d’Uther est représenté par un peuple pauvre, dans l’attente d’un roi capable d’instaurer la prospérité économique. Cette logique a de véritables effets dans nos imaginaires collectifs, contribuant notamment à alimenter le mythe politique de l’homme-providentiel.

Enfin, les représentations du peuple dans les films et séries sur le roi Arthur peuvent également entretenir une autre mythologie, à savoir celle du Moyen Âge obscurantiste. T. H. White dépeint ainsi une période sombre et inquiétante avec sa population analphabète, ce que reprend Disney dans Merlin l’enchanteur à travers la chanson du prologue, ou encore lorsque le truculent magicien parle du « grand bazar médiéval ». Les descriptions du peuple au Moyen Âge dans les fictions contemporaines servent ainsi à critiquer les injustices d’un système féodal caractérisé par des taxes écrasantes et un arbitraire violent de la justice. Dans le roman de Mark Twain, A Connecticut Yankee in King Arthur’s Court, où le personnage de Hank vivant au XIXe siècle se réveille suite à un coup sur la tête dans l’Angleterre du VIe siècle, l’écrivain va jusqu’à présenter la population d’Angleterre comme des « esclaves [qui] arboraient le collier de fer autour du cou ». Cette trame est reprise dans le film A Knight in Camelot où le personnage joué par Whoopi Goldberg, transporté dans le passé, propose de remplacer le système politique de Camelot par une organisation égalitaire sur un modèle américain idéalisé, déclarant « là d’où je viens, chacun est libre ». Le mythe arthurien constitue ainsi également un mythe politique malléable, récupéré en partie dans le cadre du soft power américain.

 

Un panorama complet de l’ouvrage de Justine Breton serait difficile, tant celui-ci est riche. Il livre une belle leçon de « médiévalisme », rappelant combien il est important de décortiquer les héritages culturels médiévaux, afin de leur rendre leur épaisseur historique, mais aussi de mieux comprendre notre propre époque et la manière dont nous transformons les récits traditionnels pour les plier à nos valeurs contemporaines. Un travail similaire pourrait également être mené à travers le support de la bande-dessinée qui constitue un autre médium privilégié de la légende arthurienne, parfois à travers des œuvres d’une grande qualité. En tout cas, les lecteurs et lectrices du Roi qui fut et qui sera auront très certainement envie de se replonger dans l’immense filmographie d’une icône littéraire inépuisable.