Une introduction didactique aux principales méthodes de conception ou d’amélioration des politiques sociales.

Les politiques sociales sont souvent considérées, soit du point de vue de la morale, soit du point de vue de leur coût. Plus rarement de leur efficacité, la complexité du « social » rendant toute évaluation plus difficile, pour des raisons culturelles, éthiques ou méthodologiques. Or, l’ascension du nouveau management public a participé du développement ces dernières années de nombreux instruments   visant à renforcer la performance de l’action publique.

Les auteurs peuvent être classés dans le champ des experts, qui contribuent à la fabrique des politiques sociales. Christophe Fourel est chef de la Mission analyse stratégique, synthèses et prospective (MASSP) de la Direction générale de la cohésion sociale, tandis que Sophie Trapitzine est consultante secteur public chez Deloitte.

 

La crise de l’Etat-providence, une crise d’efficacité

Avançant l’hypothèse que la crise de l’Etat-providence est d’abord une crise d’efficacité, ils dressent le constat d’un hiatus entre les besoins sociaux et les solutions apportées, duquel découlerait un problème d’effectivité des droits et des services sociaux. Les travaux de l’Observatoire du non-recours aux droits et aux services (Odenore)   sont cités qui pointent, outre les difficultés d’accès, le non-recours par non demande, c’est-à-dire par défaut d’adhésion aux valeurs et aux normes des politiques publiques. Christophe Fourel et Sophie Trapitzine se concentrent ainsi surtout sur les politiques de solidarité nationale, qui s’adressent aux personnes vulnérables (protection de l’enfance, insertion, handicap) et exigent un accompagnement social renforcé. Ils défendent l’emploi d’un ensemble de « méthodes » permettant de construire des solutions adaptées aux besoins et aux aspirations des publics comme des parties prenantes de l’action publique.

Leur ouvrage outillera les étudiants et les professionnels du secteur de l’action sociale et médico-sociale, qui y trouveront une introduction didactique aux principales méthodes de conception ou d’amélioration des politiques sociales. Chaque méthode est présentée dans le détail, enrichie d’éclairages sur son contexte d’émergence et ses enjeux, ses atouts et ses limites, ainsi que d’encadrés sur des exemples et d’une bibliographie.

Si la variété des méthodes rend toute catégorisation compliquée, il est possible de faire ressortir qu’elles articulent deux principes directeurs : d’une part, la rationalité instrumentale et d’autre part la construction d’espaces publics   . La recherche d’efficacité de l’action publique se conjugue avec sa démocratisation. Le lecteur pourra regretter que la tension entre ces deux pôles ne soit pas traitée, mais là n’est pas la vocation de cet ouvrage à usage surtout des praticiens et des futurs praticiens.

 

Le discours sur les méthodess

Parmi les méthodes, on retrouve logiquement les évaluations ex ante (études d’impact) ou ex post, qui connaissent un intérêt croissant en France depuis les années 2000. La révision constitutionnelle de 2008 a consacré l’évaluation des politiques publiques, tandis que la loi organique du 15 avril 2009 a rendu obligatoires les études d’impact pour les projets de loi. Si son usage est inégal (dans son contenu, son calendrier, etc.), le développement de l’évaluation témoigne d’une recherche, à la fois, d’efficacité de l’action publique et d’éclairage du débat public sur la base des effets des réformes au regard des objectifs fixés. Il est ainsi intéressant d’observer qu’à côté de la tentative d’imposer des normes à l’action publique, à travers par exemple la production de guides d’évaluation, il en va également de la bonne santé des contre-pouvoirs dans un régime démocratique, comme le démontre la revendication de plus en plus pressante du Parlement d’un renforcement de ses capacités d’évaluation de l’action gouvernementale.

L’expérimentation sociale a également été mobilisée sur cette période, les études d’impact devant être complétées pour anticiper les effets comportementaux des réformes. Le droit à l’expérimentation, reconnu dans la révision constitutionnelle de 2003, reste cependant très cadenassé réglementairement et inachevé dans son application, en raison notamment des aléas politiques. Le RSA, expérimenté en 2008, a été généralisé avant la fin des évaluations, alors même que celles-ci pointaient de nombreuses limites. Le déploiement annoncé de l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée » ne cesse d’être retardé, laissant craindre son abandon. Les demandes d’expérimentation du revenu de base par un collectif de départements ont de même été rejetées par la majorité présidentielle.

D’autres méthodes, comme la recherche-action, qui produit des connaissances à partir des pratiques sociales, ou les conférences de consensus, qui permettent à un jury indépendant et pluridisciplinaire d’émettre des préconisations pour résoudre des controverses, visent à croiser les savoirs experts et les savoirs profanes. Cela se vérifie particulièrement dans le domaine du travail social où l’évolution des pratiques est au cœur des enjeux professionnels. Une conférence de consensus a notamment été organisée par le Cnam en 2012 sur « la recherche en/dans/sur le travail social », tandis que la recherche-action est très utilisée dans les formations des travailleurs sociaux.

La participation démocratique est également recherchée. Avec le « dialogue civil », elle peut prendre la forme de la coconstruction de l’action publique, en associant tant la société civile organisée que les usagers. Avec l’intervention sociale, inspirée du community organizing nord-américain, elle peut contribuer à leur coproduction, en mobilisant les méthodes du développement du pouvoir d’agir et du développement social.

Enfin, plus originale et à signaler, est la promotion des sciences comportementales. Prolongeant d’une certaine façon les travaux pionniers de Michel Foucault sur la « conduite des conduites »   , les auteurs soulignent le potentiel des approches comportementales dans les politiques sociales, en insistant sur les combinaisons possibles du design des politiques publiques et des nudges pour infléchir les comportements des personnes. Adaptées à la santé publique, ces méthodes exigent néanmoins au préalable de définir un cadre éthique.

 

Ce plaidoyer pour les « méthodes » est aussi utile que convaincant, en ce qu’il démontre que les phénomènes de bureaucratisation régulièrement dénoncés dans le secteur social et médico-social sont contrebalancés par des efforts, sans doute encore insuffisants mais à encourager, de renouveler les modèles d’intervention publique.